En 2017, Harry Cleven avait repris le chemin des salles obscures après douze ans d’absence, en tant que réalisateur, pour présenter « Mon Ange », un long-métrage qui vit le jour grâce à une collaboration avec Thomas Gunzig, Olivier Rausin et Jaco et Juliette Van Dormael. Malgré des critiques souvent trop sévères et un accueil mitigé, ce petit bijou philosophique fit des émules hors des frontières du plat pays. Branchés Culture a été à la rencontre d’Harry Cleven pour découvrir les pérégrinations de sa dernière création que La Trois (RTBF) a la bonne idée de programmer ce jeudi 9 avril à 21h10.
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Bonjour Harry ! Avant tout, merci du temps que vous nous consacrez. Comment fut reçu Mon Ange par les spectateurs belges ?
L’accueil n’a pas vraiment été celui que l’on escomptait. Le film est sorti dans des petites salles et, au niveau du public, ce ne fut pas une aventure extraordinaire. Mon Ange a fait plus ou moins 5 000 entrées en restant 10 semaines à l’affiche. Présentant cette réalisation en été, nous pensions qu’il y aurait trois fois plus de spectateurs que lors de n’importe quelle autre période de l’année. Ça devait être le bon moment pour un petit film comme celui-ci. Sans être réellement déçu, nous ne pouvions pas non plus forcément dire que nous étions heureux.
Le proverbe veut que nul n’est prophète dans son pays. Beaucoup de grands acteurs et réalisateurs belges ont gagné leurs lettres de noblesse ailleurs. L’accueil fut il plus joyeux à l’étranger ?
Mon Ange fut distribué dans près de vingt pays. Il s’est très bien exporté en Asie. L’accueil en Corée du Sud fut génialissime. Je n’ai malheureusement pas pu me rendre sur place mais le film a visiblement reçu de bonnes critiques là-bas. Ensuite, Mon Ange a eu l’occasion d’être projeté au Japon. Je n’ai pas beaucoup de détails sur le bonhomme de chemin qu’il fit au pays du Soleil Levant. Selon le distributeur local, vingt copies furent distribuées et le film réussit à décrocher la place de numéro un des films étrangers au box office japonais.
Initialement, le film ne devait pas sortir outre Atlantique. Une projection fut organisée à Los Angeles car Juliette (Van Dormael) avait été sélectionnée par Camerimage pour son travail sur le film. Elle remporta d’ailleurs ce prix de la meilleure photographie. Le Syndicat Américain sélectionna aussi Mon Ange dans la catégorie Spotlight et il fut aussi en course avec trois autres œuvres dans la catégorie du meilleur film étranger. Je sais que Juliette fit le déplacement mais je n’ai pas reçu énormément de retour sur cette aventure. Il n’y a que les gens qui ont aimé le film qui m’en parle (rire).
Il y eut aussi des projets de sortie en Amérique du Nord car plusieurs distributeurs se sont portés acquéreurs des droits.
À Montréal, notre long-métrage a reçu un très bon accueil. Mon Ange fut cité parmi les dix meilleurs films de l’année par deux revues de critiques cinématographiques. Je me suis rendu au festival du nouveau cinéma, là-bas. L’accueil et les critiques étaient formidables. Comme vous l’avez signalé, on n’est rarement prophète en son pays. Les journalistes étrangers ont plus apprécié le film qu’ici, en Belgique. Heureusement, chez nous, que certaines rédactions culturelles comme la vôtre ont pris plaisir à défendre notre projet.
Il y a quelques mois, nous apprenions que vous aviez vendu les droits de Mon Ange pour une adaptation coréenne. Que pouvez-vous nous dire de ce projet ?
Il y eut trois propositions de remake en provenance de Corée du Sud. Les offres venaient de trois boîtes différentes pour des remakes à petits budgets comme le cinéma asiatique en a le secret. Je n’ai aucun droit de regard sur l’avenir du projet. Le contrat spécifie simplement que mon seul droit est de voir mon nom et le titre de l’œuvre originale crédités au générique de l’adaptation.
Vous avons aussi reçu une offre pour adapter Mon Ange… en jeu vidéo. L’intention était de jouer sur le côté très subjectif du film. Il y a aussi eu un proposition de remake allemand pour une réalisation en anglais mais rien ne fut signé à l’heure actuelle.
Face à la réussite en demi teinte en Belgique, il semble que l’exportation de Mon Ange à l’étranger fut au-dessus de toutes attentes. Quelle sensation cela vous a procuré?
Il est certain que la réussite de ce long-métrage a l’étranger compense les revers vécus en Belgique. Comme vous le signalez, cet accueil hors du plat pays était devenu impensable. Pourtant, le film commença son voyage en étant distribué en Russie et en Pologne puis il fut projeté dans de nombreux pays. Ce fut vraiment rassurant. La sortie japonaise n’eut lieu que l’an dernier. Et, lors de cette « renaissance » de l’œuvre, ce fut très gai. Mon Ange a vraiment vécu par son parcours à l’étranger. Et, maintenant, grâce aux divers projets de remakes, ce film à petit budget, qui n’aurait jamais dû voir le jour, a véritablement existé. L’épilogue de ce récit est vraiment enthousiasmant.
Si Jaco, Thomas et Olivier vous proposaient une nouvelle fois de reformer cette équipe pour lancer un nouveau film « qui ne devrait jamais voir le jour », signeriez-vous de suite ?
Cette collaboration fut extraordinaire car, comme je l’ai dit, ce film était un petit projet qui devait nous permettre de travailler ensemble le temps qu’une autre production plus conséquente puisse être mise en chantier. Au départ, Mon Ange ne devait d’ailleurs pas sortir en salle. Nous pensions directement le diffuser sur internet. Mais grâce à la persévérance et à la dévotion d’Olivier (Rausin), l’enveloppe de 50 000 euros qui nous était allouée initialement augmenta et cela nous permis de remanier le projet.
Par contre, pour ce qui est d’un nouveau projet collégial, je sais que l’équipe ne pourra certainement pas être la même car Jaco (Van Dormael) déteste porter la casquette de producteur. C’est un très bon ami et il l’a fait pour me donner un coup de main mais je sais que ce n’est pas une fonction qu’il chérit. Il a initié le projet car c’est lui qui m’a convaincu de faire un « petit film » mais il était très content qu’Olivier prenne les manettes de la production par la suite.
Jaco s’était déjà frotté au métier de producteur pour ses propres œuvres mais ce n’est pas un travail qu’il aime faire. Il est séduit par mon nouveau projet mais je sais qu’il ne se voit pas le produire. C’est un réalisateur avant tout autre chose. Puis il sait qu’Olivier est toujours partant pour produire nos films. Olivier est un soutien et un moteur irremplaçable pour trouver les financements.
Mon futur projet sera très certainement crédité du nom Van Dormael car Juliette est partie prenante pour intégrer la nouvelle équipe.
Quant à Thomas (Gunzig), dès que que j’aurai de nouvelles possibilités de collaborer avec lui, je le ferai. Il a déjà co-écrit mon nouveau projet. Il possède un style et un univers incroyable qui se marie très bien avec mes idées.
Alors, justement, ce nouveau projet, pourriez-vous nous en toucher quelques mots ? Est-ce le fameux « Through Love » dont vous nous aviez parlé lors de la projection de Mon Ange au Bifff ?
Le film qui est en projet est effectivement « Through Love » mais, depuis notre dernière rencontre, ce long-métrage a changé de titre. Ce projet co-écrit par Thomas Gunzig s’intitule maintenant « 32 juin, mon amour ». Ce film est fortement lié à Mon Ange car c’était le film que j’avais initialement prévu de faire. À l’époque, le projet aurait coûté trop cher. D’après les calculs prévisionnels, « Through Love » aurait coûté plus de 5 millions d’euros. Mes films n’ayant jamais fait des scores d’entrées historiques dans les salles de cinéma, on m’a clairement dit que ce serait compliqué de trouver les investisseurs pour finaliser le budget.
C’est alors que Jaco m’a motivé pour faire un film à petit budget, le temps de pouvoir solutionner les soucis liés à la mise en projet de « Through Love ». Après la sortie en salle de Mon Ange, Olivier a fait une étude de marché pour savoir comment nous pourrions réaliser cette production. La conclusion fut qu’il fallait trouver le moyen de faire ce projet pour un budget d’un million.
Ce qui est devenu « 32 juin, mon amour » est un conte imaginaire avec, comme personnage principal, un poulpe qui nous narre son récit sur une banquise.
Nous avons trouvé une multitude d’idées et nous avons pensé à plusieurs techniques pour que, petit à petit, nos personnages inanimés deviennent humains. Nous souhaitons faire une réalisation digne d’un Brazil.
Je pense que cette comparaison à Terry Gilliam est plus que cocasse car ce nouveau projet a un parcours similaire avec son fameux Don Quichotte. L’histoire du cinéma est pavée de nombreux récits qui n’ont jamais vu le jour à cause de diverses infortunes et/ou à cause du hasard.
Au début du projet, ayant conscience du coût important que représentait la production de « Through Love », nous avions l’intention de réaliser ce long-métrage en anglais. Pour que ce film ait une aura internationale, nous avons même tenté de convaincre une star hollywoodienne de nous rejoindre. Étant séduit par le charisme d’Elijah Wood, nous avons essayé de l’approcher. Son imprésario nous a promis qu’Elijah lirait le scénario mais nous devions débourser 20 000 dollars. Jaco a donc avancé l’argent mais 6 mois après nous n’avions toujours pas de retour du héros de la trilogie du Seigneur des anneaux…
Merci Harry et bonne route.
Mon Ange
De Harry Cleven
Avec Hannah Boudreau, Maya Dory, Fleur Geffrier, Elina Löwensohn, François Vincentelli
Drame, Fantastique
76 minutes
Diffusion télé : le 9 avril sur La Trois