Livre reste, d’autres partent. En ces temps de fin d’année, à grandes gorgées de petites gouttes offertes ci et là, il n’est pas rare de devoir se parer d’un Bob (un Sam suffit en France) pour tenir en échecs les contrôles de police. Mais, c’est une toute autre ivresse que nous procure Stéphane De Groodt. Livresque.
Aux idées noires, souvent lumineuses
Aux idées reçues que je n’ai pas toujours rendues
Aux idées qui nous portent haut, et aux idéaux, surtout
Résumé de l’éditeur : Par amour des mots, on sème tant, que la récolte livre parfois quelques pensées fugaces. C’est donc le fruit de cette cueillette que je vous propose ici, en ouvrant le bal par l’exercice de la dédicace. Mais comme il me fallait choisir celui ou celle que je souhaitais honorer de cette tradition littéraire, j’ai choisi de ne pas choisir… C’est ainsi que je dédie ce livre « au Goncourt qui ne l’aura pas, et réciproquement », mais aussi « à Einstein, qui m’a appris à relativiser », « au pain perdu et au plaisir retrouvé », ou encore à ces autres, couchés sur papier au « hasard du je et de l’amour ». En fait, cet ouvrage est dédié à vous. Emois…
À mes rêves d’enfant qui me tiennent encore éveillé
Revenu de la jongle et de l’absurdie mais continuant ses expérimentations francophiles (à la patte), Stéphane De Groodt (par ailleurs bien occupé à l’écran, total, grand ou petit) a mis un peu de temps à revenir dans les rayons des librairies avec ce qui est sans doute le plus light de ses cinq livres. « Lis tes ratures », disent certains sur Amazon. Ce à quoi Stéphane répond en De Groodt dans le texte : « Je gagne aux échecs, et je perds aux réussites. Cherchez l’erreur ». Et pourtant.
Au père Noël qui m’a fait croire aux mensonges
Aux menteurs qui m’ont fait croire au père Noël
C’est vrai qu’au premier abord, ce recueil peut sembler bien creux et avoir l’heur de déplaire à certains tant il s’ouvre sur une somme de dédicaces. Soit septante-huit pages, chacune jouant le jeu à fond (et à fondre) proposant une ou deux lignes de texte. Pas plus. Des mots insulaires laissant le reste de la feuille en jachère. En océan à conquérir, vaste et vierge.
L’ombre, c’est l’image de soi sans âme
Alors, oui, tout ce blanc sur des pages quasi vierge (ce qui n’est plus le cas de la forêt qui a généré ce papier), ça laisse dubitatif. Et actif. Car, du coup, on essaie de le prendre à son propre jeu, notre trublion, et nous aussi. Car, après quelques pages de dédicaces pas comme les autres, force est de constater que Stéphane tient sa Langue pour mieux l’étirer, bien pendue. À force de la triturer dans des formules et des expressions dont il a le secret, et le sucré, Stéphane justifie l’étendue immaculée qui entoure ses phrases. Parce que c’est du costaud et du costard, des mots sur leur 31, dont le sens paraît inextricable parfois à la première lecture. En effet, il faut, à notre tour, retourner les mots et leurs significations pour tenter de comprendre ce que nous dit l’aucteur.
Il y a plus de sensation à ralentir rapidement qu’accélérer doucement. Alors à quoi bon bouder le plaisir de foncer vers la lenteur
Et la banquise sur laquelle Stéphane De Groodt grave ses pensées, elle nous est profitable. Parce qu’on la remplit de nos interrogations, de notre enquête pour dénouer l’énigme littéraire en face de laquelle cet ivre fort nous met. Dans son laboratoire, savant fou sachant tout, Stéphane De Groodt ne vit pas en ermite et inclut ses lecteurs au processus. Il les invite à prendre leur plume, à digresser (comme Antoine Moreau-Dusault, l’illustrateur invité qui ponctue quelques citations de dessins fort à propos), leur donne l’envie d’avoir envie, et soif d’avoir soif de la richesse incroyable du français. C’est prodigieux. Laissons le dernier mot à cet ancien pilote automobile devenu « obsédé textuel »: « Des pensées, sans compter ».
Lorsque sonne automne,
hiver lui prête une oreille attentive
Auteur : Stéphane De Groodt
Genre : Humour, Pensée
Éditeur : Éditions de L’Observatoire
Nbr de pages : 240
Date de sortie : 13/11/2019
Prix : 14€