Stéphane De Groodt mis en joue et en Jeu : « Jouer ce n’est pas forcément dire, c’est tout aussi faire ou ne pas faire… et ne pas dire! »

Lors de la toute récente 33e édition du Festival International du Film Francophone de Namur, Fred Cavayé et une partie du casting du film « Le Jeu » s’étaient rendus au cœur de la Capitale wallonne pour présenter en exclusivité ce nouveau long-métrage. Stéphane De Groodt, qui est l’un des protagonistes de ce huis clos choral, et Fred Cavayé ont répondu à nos questions (et à celles du public de la salle bondée du Caméo où s’est déroulée l’avant-première). 

Par Régis Filieux et Alexis Seny

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Bonjour Stéphane De Groodt. Avant tout, merci d’avoir prit le temps de répondre à nos questions pour les lecteurs de Branchés Culture. Alors qu’est-ce qui vous a donné envie d’intégrer le casting de ce remake du film italien Perfitti Sconosciuti de Paolo Genovese proposé par Fred Cavayé ? 

Stéphane De Groodt: Un film, c’est toujours une alchimie ! Ou plutôt une recette de cuisine. Il y a différents ingrédients. Et « Le jeu » condensait un certain nombre d’éléments qui me plaisait. Que ce soit le réalisateur, que ce soit l’histoire et le personnage que Fred me proposait. Le casting aussi me donnait vraiment envie d’intégrer ce projet. Le fait de faire un film choral en huis clos me plaisait beaucoup. Je n’avais jamais fait cela donc ça me tentait bien.

De plus, j’aimais bien les films que Fred avait réalisés. J’avais particulièrement apprécié Mea Culpa. C’est d’ailleurs à l’occasion de sa sortie de ce long-métrage que l’on s’est furtivement rencontré. Le courant est directement passé. Et quand j’ai reçu le script, je me suis dit que ce serait drôle de retrouver Fred Cavayé. L’idée de pouvoir travailler avec lui me plaisait énormément.

© Mars Films

Hormis sa comédie « Radin », où Dany Boon tenait le premier rôle, Fred Cavayé est plus vraisemblablement un réalisateur de thrillers, à l’instar de ces films À bout portant, Mea Culpa et, surtout, Pour Elle. Qu’est-ce qui vous a motivé à le suivre dans ce projet ?

Stéphane : Fred a surtout fait des thrillers mais il s’est essayé  à la réalisation de comédie avec Radin. Quand j’ai lu le scénario du Jeu, je me suis dit: « C’est un thriller de comédie » ! Le Jeu réunit parcimonieusement tous les genres de cinéma. Je pense réellement qu’il était la bonne personne pour faire fonctionner cette histoire.

Enfin, l’histoire m’intéressait vraiment vu le rôle qu’ont les GSM dans nos vies à l’heure actuelle. Cet engin est central. C’est un sujet de société et j’avais envie de le traiter.

Fred, même si vous avez voulu changer de genre, vous aventurer sur le terrain de la comédie, la dimension du thriller reste très prégnante ici. Auriez-vous fait le même film si vous n’aviez pas tourné Pour elle, À bout portant ou Mea Culpa par le passé ?

Fred Cavayé : J’ai construit ce film, dès l’écriture, comme un thriller. Je dis souvent, comme une boutade, que c’est une comédie à suspense mais c’est vraiment ça. C’est construit dans l’écriture, dans la mise en scène, comme dans mes films précédents. Ma principale inquiétude était de réussir à rendre ce huis clos, cette unité de temps, cette unité de lieu, aussi passionnante que si c’était un film « normal » dans lequel les décors varient et les actions aussi. Je devais réussir à varier ce que le spectateur reçoit visuellement. Je devais donc, tout le temps, découper et mettre en scène pour éviter la répétition, varier les axes. Après, j’étais cinq semaines et demie autour de la table avec les autres, donc varier les axes… voilà…

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Le challenge était d’autant plus passionnant qu’au cinéma, on dit toujours qu’il n’y a rien de plus chiant que les scènes de dîner. En l’occurrence, tout le film en était une. Effectivement, je n’aurais pas pu faire ce film sans avoir fait de thriller avant. Du moins, pas comme ça. Et même, je n’aurais pas pu faire ce film sans avoir fait d’autres films avant. C’était mon film le plus compliqué à faire mais il fallait que ça paraisse simple, que le spectateur oublie la mise en scène, que ce soit immersif, qu’on soit vraiment avec les personnages. La séquence dans laquelle Stéphane est au téléphone avec sa fille, il fallait que le spectateur ait l’impression de voler quelque chose, comme si on était assis autour de la table. La mise en scène devait être narrative et aller dans ce sens, souligner. Le talent des comédiens y contribue aussi, forcément.

Aussi, c’est avant tout une comédie mais c’est vrai qu’il y a une part sombre. Des gens avec autant de dossiers dans leur portable, ça n’existe pas ! La bande d’amis du film, c’est un bon échantillon.

Le Jeu est le remake du film Perfitti Sconosciuti de Paolo Genovese qui a déjà eu droit à sa refonte espagnole (Perfectos Desconocidos d’Alex de la Iglesia). Avez-vous regardé ces films avant le tournage.

Stéphane : Non. Pas du tout ! J’ai été tenté de les voir mais Fred nous a dit qu’il aimerait sincèrement que nous ne les regardions pas. Pour éviter que ça nous donne un référent. Sinon, soit vous voulez faire pareil, soit vous essayez de vous en éloigner. Vous n’êtes en tout cas pas libre car il y a une démarche par rapport à ce qui a été fait auparavant. Le fait de ne pas voir ces versions m’a permis de mettre en place mon rôle de la manière dont je l’imaginais, d’après la situation autour de la table. Cela m’a d’ailleurs offert la chance d’avoir le plus de spontanéité possible. Au final, je n’ai plus envie de voir l’Italien. Il semblerait en plus que cette version soit moins dans la comédie que ce que Fred en a fait. Je ne veux pas voir l’alter ego italien de mon personnage car je n’ai pas envie de me dire « Oh, j’aurais dû faire cela ». Je ne veux pas être perturbé par cela.

La thématique de ce long-métrage est un sujet contemporain relativement important et très complexe. Votre personnage et celui qu’incarne Bérénice Béjo offrent aux spectateurs les deux morales possibles de ce récit. Êtes-vous en adéquation avec les propos de Vincent ? Selon vous, faut-il tout dire à son partenaire ou faut-il garder des tabous ?

Stéphane : Je pense que ne rien se dire n’est pas forcément un tabou. Le non-dit n’en est pas une forme. Je crois que pour se protéger soi, pour protéger les autres même, il ne faut pas tout dire. À quoi cela servirait-il ? Et puis, la Vérité est-elle vraiment la Vérité ? On travestit toujours un peu le réel quand on l’exprime. La manière de dire change déjà ce qui est énoncé. Quand vous dites quelque chose d’une façon, ce dire est déjà tout autre que ce qu’il est ! La façon de s’exprimer compte aussi. La manière et le ton habillent les dires.

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Je pense franchement qu’il ne faut pas tout dire à l’autre. C’est même un principe très important, au contraire. Il faut avoir un jardin secret, avoir ses propres fantasmes et ses propres délires. Avec « Le Jeu », on parle du téléphone mais le gsm est un peu le journal intime moderne. C’est exactement le même principe. Il ne serait jamais venu à l’idée de personne de lire le journal intime d’autrui. Qui aurait eu l’idée de proposer que tout le monde amène son journal intime, que l’on s’assied autour d’une table et qu’on les lise à tour de rôle à haute voix ? C’est totalement insensé. On peut faire la même analogie avec le portable de nos jours. Je crois que ce n’est pas parce qu’on a des secrets que l’on aime moins la personne. Parfois, c’est même le contraire ! Vous imaginez si on devait lire dans le cerveau de chacun ? Je suis sûr que l’on serait très surpris. Il faut garder une part de mystère. Le fait de ne pas dire, ou plus exactement de ne pas savoir dire, est très courant chez l’être humain.

Pourquoi on aime un tableau ou un  roman ? C’est parce qu’il y a des clés… mais on ne comprend pas toujours tout. Il reste le mystère de l’auteur et la question de ce qu’il a voulu nous signifier. C’est pareil pour le voyage ! L’excitation qui découle du voyage provient du fait de ne pas savoir ! On ne sait pas ce qu’il y a derrière et c’est la quête de quelque chose. Voyager, c’est apprendre à connaitre. C’est similaire avec la rencontre avec autrui. Si tout est vu et que tout est dit, il ne reste plus de chemin à parcourir !

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Fred : Le film pose des questions mais je voulais que les spectateurs trouvent les réponses. Il n’y a pas une seule réponse, il y en a une par personne. Quand on touche à l’intimité, la question du mensonge, de ce qu’on doit se dire ou pas, mais ça dépend de chacun. Le curseur n’est pas au même endroit, d’une personne à l’autre. Tous les personnages ont un truc. Même Doria qui pensait être blanc comme neige dans ce film, une spectatrice lui a répondu lors d’une projection : mais si, vous ne dites pas que vous voyez votre ex. Pour elle, c’était un gros mensonge. On a tous des notions différentes de ce qu’il faut cacher en amour et, peut-être aussi, en amitié. Moi, en tant que spectateur, je n’aime pas les films avec des fins trop ouvertes mais j’aime bien qu’on me dise d’inventer les réponses. Vous dire qu’en amour, il faut faire ci ou ça, ce n’est pas très intéressant. Ce film devait, pour moi, impliquer celui qui le regardait.

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Stéphane : Après, on vous conseille quand même de ne pas tout montrer.

Fred : Vous avez un exemple de ce qu’il se passe quand on montre tout.

Stéphane : Je fais toujours la nuance entre voir et regarde. Voir, c’est bien, c’est ce qu’on vous propose. Regarder, c’est plus proactif, c’est aller chercher quelque chose. C’est perso, je préfère voir… et avoir.

Fred : Dans nos portables, on cache plus ou moins de trucs. Après, c’est aussi une question de comment on regarde l’autre et on l’interprète. Vous savez, les smileys, les trois petits points… Si ma fiancée envoie à un garçon « à bientôt, peut-être… et un « :-p », ça va fuser. « Ça veut dire quoi ça ? » Tout est sujet à interprétation. Même si on n’a rien à cacher.

Stéphane : La notion de portable et le fait que ce soit un portable biaisent un peu le propos. Imaginons-nous, vingt ans auparavant, à un même dîner, tout le monde aurait sorti son journal intime, ces vieux carnets secrets ? On les aurait mis au milieu de la table pour tout lire à haute voix ? Ça aurait été un peu spécial, non ? Vous auriez accepté de jouer à pareil jeu ? Forcément, non. Le portable, juste parce qu’on le tient en main et qu’il est visible, on pense pouvoir s’autoriser à en dévoiler son contenu. Ben non, c’est pareil, il y a des cadenas, des codes sur les journaux intimes, faut pas aller chercher les choses là où elles ne sont pas… parce qu’on en crée aussi.

Fred : De quoi donner une base de cinéma très intéressante. On revient au thriller, ces portables donnent une roulette russe. Sauf qu’ici, pas de balles mais des SMS. Un prétexte à un film très ludique.

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« Le Jeu » est un huis clos en mode choral. Il y a principalement sept acteurs, et sept premiers rôles (8 si on prend en compte le portable comme personnage). Comment se passe le tournage d’un tel film ? Le fait d’être constamment là pendant que les scènes des autres acteurs sont tournées ne crée-t-il pas de la tension ?

Stéphane : Effectivement, ce type de film est très particulier à jouer car on reste continuellement actif. Même quand on n’est pas dans le champ de la caméra, on est en interaction constante. On n’apparaît point à l’image mais on doit, par exemple, donner la réplique. Au cours du tournage, il est arrivé que, pendant trois jours, on n’ait rien à dire. Mais on était là car on devait faire des actions. En plus, ces gestes doivent être hyperprécis. Si on se trouve en amorce pour la caméra dans le déroulement de la scène, il faut être très synchrone. Même si on est toujours assis autour d’une table, ce type de tournage est extrêmement fatigant. Il y a des moments très compliqués car on finit par être usé dans ce que l’on doit faire. Il faut donc retrouver de l’énergie et de la fraîcheur quand c’est à vous d’être au premier plan de l’histoire.

C’est vrai, des tensions peuvent survenir, comme quand on reste deux mois avec une bande de copains dans une maison de vacances. Même si ce sont des vacances et que ce sont des copains, à un moment donné, c’est la vie ! Ça peut partir en vrille. « Le Jeu » est un film sur la vie. Et dans la vie, ça peut aussi se passer comme cela. Au cours des tournages de la version italienne et du remake espagnol, il semblerait qu’il y ait eu un moment où les acteurs « se sont mis sur la figure » jusqu’à ne plus se parler. Avec l’équipe que Fred a castée, on s’en sort donc relativement bien. (rire)

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Vous avez travaillé en continuité sur ce tournage ?

Fred : C’est super précieux, c’est la première fois que j’ai l’occasion de tourner un film dans l’ordre logique des séquences, pendant sept semaines, avec sept acteurs dans la même pièce. C’est magique, ça permet de construire les personnages avec l’aide des comédiens et de réécrire à la lumière de ce qui a été produit la veille. Ça demande beaucoup travail, il faut dérusher, débriefer tous les soirs mais c’est formidable. On peut améliorer sans cesse et préciser la direction.

Ce qui permet d’aller chercher des instants, des expressions en temps réels chez les comédiens. Vous avez truffé l’appartement de caméras ?

Stéphane : C’est pour ça qu’un film tel que celui-ci, où tout le monde est assis autour d’une table, prend deux mois de tournage. Parce que Fred va chercher des axes en permanence, à dix centimètres près, dans des valeurs plus proches, plus éloignées, plus à droite, plus à gauche… Nous sommes devenus fous, nous, à la fin. Il faut le dire. Parce que c’est répétitif, que le cadre ne change pas, qu’on passe les journées de tournage à faire tout le temps la même chose, à saisir la fourchette et à répéter le même geste. Du matin au soir. Vous rentrez chez vous, vous prenez le coussin de la même manière et vous vous mettez la brosse à dents en pleine poire. C’est compliqué (rires). Fred a fait des plans dans tous les sens, tout en tournant un certain temps pour saisir un instant. Le film est une succession d’instants, il n’y a pas de plans très longs. C’est assez rythmé et c’est pour ça qu’avec tous les codes d’une pièce de théâtre, Fred est parvenu à faire un vrai film de cinéma, une prouesse.

C’est au montage que ça s’est joué, ça ? Après le tournage ?

Fred : J’ai beaucoup découpé en amont, j’ai même fait construire les décors par rapport aux endroits où je voulais placer les caméras, pour chaque moment. Effectivement, je me suis rendu compte que pour être tout le temps dans la sincérité, l’authenticité du jeu, je ne pouvais pas faire de pickup, dire à l’acteur : là, tu vas faire l’étonné. Je devais laisser vivre les séquences et découper les moments importants. Six minutes en 3×2. Je tournais l’intégralité des réactions pendant ces deux minutes. Ça permet d’avoir des choses très variées. Admettons qu’on fasse trente fois ça, à jouer autour d’une phrase pour habiter le reste, le comédien oublier et réinvente des choses tellement c’est répétitif. Le cerveau ne réagit même plus, c’est le naturel qui revient. C’est une démarche très naturaliste.

Stéphane : J’ai joué sans mon cerveau, certaines fois. C’est vrai qu’à force de faire l’étonné trente fois, la trente-et-unième, vous êtes un peu moins… surpris.

Fred : Ça ne marche pas à tous les coups mais parfois ça accouche de choses étonnantes.

Stéphane : On peut être étonné de sa surprise… ou surpris de son étonnement.

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Fred : J’étais le premier spectateur de ce que le spectateur va pouvoir découvrir. Ma principale inquiétude était de choisir. Bien choisir. En dérushant les caméras, je me rendais compte qu’il y avait des choses partout. Des pépites de jeu, des choses extraordinaires. J’étais super inquiet, j’ai failli faire un film de 17 heures pour mettre tout. Le montage en était passionnant. Je montais la prise idéale de chaque comédien, après quoi je revenais en arrière pour chercher autre chose, je tombais sur quelque chose d’encore mieux… Je démontais et remontais. On a monté longtemps.

Du coup, les dialogues étaient-ils coulés dans le béton ou avaient-ils la possibilité d’évoluer, de s’improviser ?

Stéphane : Il y a un peu d’impro mais tout est assez écrit. Pour l’anecdote, au début du tournage, Fred me disait : tous les dimanches soir, n’hésite pas à m’envoyer tes remarques et propositions de réécriture des répliques tout au long de la semaine. Les 2-3 premières semaines, je passais ainsi mon dimanche après-midi à trouver des nouvelles choses, à aménager des répliques, à m’approprier des répliques ou à en trouver pour d’autres… à changer le film, en fait. (rires) J’envoyais ça le dimanche soir et Fred me disait: C’est super, non vraiment, c’est super ! Et le lundi matin, toutes mes corrections étaient mises de côté, Fred n’en tenait pas compte. « Vraiment, c’est super !  » Et ainsi de suite, pendant trois semaines, pas un mot de ce que j’ai proposé n’a été retenu. Fred, je t’en remercie, grâce à ça… le film est réussi. (Il sourit).

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Fred : C’est compliqué, dans un film autour d’une table, de dire à Stéphane, dès le premier jour: ce qui va être formidable dans ton personnage, c’est que c’est lui qui va le moins parler ! Je ne pouvais pas lui dire ça. Il allait se demander ce qu’il allait bien pouvoir faire. Cette proposition que je lui ai faite de prendre ses notes et faire ses corrections a aussi aidé à ce qu’il s’ancre, à ce qu’on le sente créer le personnage. C’est dans les dialogues qu’on retirait qu’on trouvait la vraie couleur de ce personnage. La réalité du personnage de Vincent, c’est qu’il est dans autre chose que la parole. C’est le plus sage du film, il se situe ailleurs. Voilà pourquoi je n’ai pas pris tes suggestions, Stéphane. Mais dans Le Jeu 2, promis, il y aura tout !

Stéphane : Quant à l’impro, quand on est sept autour d’une table, cela devient très dur d’improviser. L’impro, ce n’est rien d’autre que de l’écoute et du rebond sur ce que l’autre dit. Il faut donc être en position d’attente, un certain silence, une concentration… l’impro répond à pas mal de règles de structure pour nourrir quelque chose. Quand vous êtes sept autour d’une table avec des profils et des personnalités très différentes, des cheminements différents, c’est très compliqué. Il faut bien se connaître pour y arriver. D’autant plus que la trame était magnifique, une partition écrite sur laquelle on venait juste nous avec nos instruments pour essayer de jouer… la plus belle des mélodies.

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Fred : Enfin, quand on parle d’impro, je leur ai quand même demandé d’improviser avant et après les séquences, toujours dans la volonté de donner de la vérité et du réalisme. Ainsi, l’arrivée d’un texto, le téléphone qui sonne, je déclenchais ça à volonté et je laissais les comédiens s’aventurer dans des discussions. Je leur disais de parler de leurs vacances, par exemple. J’attendais et, clac, j’envoyais le texto qui viendrait interrompre la discussion. On a gardé certaines choses nourries de l’impro comme le « Pourquoi tu veux faire du canoë, tu ne sais pas nager ». Ces impros servaient à créer quelque chose qui est compliqué à créer de manière artificielle : la convivialité d’un groupe autour d’une table, pour qu’ils soient comme nous. Même si j’ai enlevé la plupart de ces impros de début et de fin, elles transpirent l’état dans lequel étaient les comédiens à l’attaque des scènes, le texte écrit.

Il y a une réelle alchimie entre Bérénice Béjo et vous. Après la pièce de théâtre « Tout ce que vous voulez », vous êtes une nouvelle fois « en couple » avec elle dans « Le Jeu ». Qu’est ce qui fait que votre association fonctionne si efficacement ?

Stéphane : C’est vrai que nous nous sommes beaucoup côtoyés ces dernières années. On a joué la pièce. Ensuite, on a tourné « Le Jeu ». Et puis, on s’est retrouvé car il y avait une tournée programmée avec la pièce de théâtre. Le fait de jouer « Tout ce que vous voulez » pendant plusieurs mois a créé des liens. Et dans le cinéma, quand ça se passe bien avec un autre acteur ou une actrice, on crée de véritables liens.

Je suis devenu très ami avec Bruno Chiche avec qui j’avais fait « L’un dans l’autre ». Après ce film, j’ai tissé une vraie amitié avec Louise Bourgoin.

Vous savez, c’est ce pourquoi je fais ce métier. Ce qui me plait avant tout dans ce travail, ce sont les relations humaines. Ces relations sont le moteur fondamental de mon envie de faire ce travail. Un tournage, c’est constamment comme rencontrer une nouvelle bande de copains. Et, au théâtre, avec Bérénice, c’est ce qui s’est produit. On a eu un succès fou. Et quand on est à deux à partager ce succès sur une scène de théâtre, inévitablement, ça crée des liens et une complicité.

C’est marrant, Fred Cavayé n’avait pas vu la pièce quand il a engagé Bérénice. Il ne savait pas que l’on avait joué ensemble. Et pourtant, inconsciemment, il nous a embarqués tous les deux dans cette aventure qu’est « Le Jeu ». Cette proximité a beaucoup servi le tournage car quand on joue un couple, il faut pouvoir créer des regards pour dire de manière visible mais inaudible quelque chose. Ces multiples « dits muets », c’est une expérience très excitante et véritablement singulière. Jouer ce n’est pas forcément dire, c’est tout aussi faire ou ne pas faire et ne pas dire! J’espère et je pense que cela est très visible avec le couple que l’on forme dans ce film avec Bérénice Béjo.

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Il y a une scène des plus particulières au coeur du film, autant dans sa forme que dans le sens qu’elle recèle. Par l’utilisation de votre GSM, vous avez une discussion intime avec votre fille et tous les convives de la soirée sont les témoins muets de cet instant. Ce dialogue très particulier entre un père et sa fille est en réalité deux, voire trois, échanges entre un père, sa femme et sa fille. Comment réussissez-vous à créer un tel tourment émotionnel en jouant cette scène avec une voix off et en échangeant des regards avec Bérénice Béjo ?

Stéphane : Je vous remercie de me poser cette question car cela signifie que le sentiment que l’on voulait faire naitre par cette scène fonctionne. Cela n’a pas été facile à jouer. En fait, il ne fallait pas la jouer mais se laisser aller.

À la lecture du scénario, cette séquence du film me posait déjà question. Je me suis directement dit « Oula ! ». Quand on joue dans un film, il y a toujours une ou deux scènes qui ressemblent à de véritables obstacles et où l’on se dit que c’est l’instant où il faudra absolument être à la hauteur. C’est assez compliqué car on s’imagine le faire de telle manière. Parfois, cela fonctionne mieux que ce qu’on avait envisagé et, à d’autres moments, le résultat est en deçà de ce qui fut espéré. Ici, je sais que je ne pouvais pas passer à côté de la scène car, au niveau émotionnel, c’était un point d’orge du film.

Les jours qui précédaient le tournage de cette scène, j’ai été vraiment angoissé à l’idée de la jouer. Ce n’était pas non plus évident parce que le matin, on avait une scène de comédie pure. En une fois, il fallait basculer là-dedans. D’un seul coup, il y avait un silence dingue, on n’entendait pas une mouche voler sur le plateau. Ce sont aussi ces contrastes qui me plaisaient tant dans ce film. On passe du rire à l’émotion, de cet objet qui nous concerne tous qu’est le portable à des questions sur l’amour, la fidélité, l’amitié, sur le… vin.

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Mais Fred a été un réel soutien à ce moment-là. Il a vraiment pris son rôle de directeur d’acteurs à coeur. J’ai démarré une première prise dans un registre empli d’émotion, je me suis laissé prendre par l’émotion. Ensuite, Fred m’a délicatement dirigé vers la vision qu’il avait de cet instant intime. Je me suis abandonné et je me suis retrouvé dans une bulle. C’est ce qui a donné cette scène qui est ce qu’elle est ! D’ailleurs, on me parle constamment de cette scène. Après l’avoir tourné, Fred m’a dit « C’est bon ! Pour toi, le film est en boîte ! ». Je suis vraiment très heureux que l’émotion de cette séquence fonctionne et que ces sentiments transparaissent à l’écran.

Avec la présentation de ce film (Le Jeu), vous avez un planning d’avant-première relativement chargé aux quatre coins de la France. Qu’est ce qui vous plait dans le fait de venir, comme ici au FIFF, pour défendre un film dans lequel vous jouez ?

Stéphane : J’adore ça. Quand vous faites un film, vous avez la tête dans le guidon ! Vous ne découvrez ce que vous avez fait que le jour de la première projection. Si vous ne faites pas d’avant-première, c’est fini; le film, vous l’abandonnez. Les avant-premières, c’est comme au théâtre. Vous venez au contact des gens pour parler de ce que vous avez fait et pour prendre la température, voir s’ils ont aimé. Revenons à la métaphore de la cuisine. Si le cuisinier ne vient pas en salle après son service, il a beau avoir choisi minutieusement ses ingrédients en allant les acheter au marché et il peut avoir pris du temps pour préparer sa recette, il ne saura pas si sa réalisation a provoqué l’effet escompté sur son client. Moi, je trouve ça chouette quand un cuisinier vient à la rencontre des gens qui dégustent ses mets. Ce verdict à chaud, c’est la récompense. C’est pareil pour moi quand je viens défendre un film en avant-première. Plus il y a de dates,  plus je peux échanger, plus je suis heureux. Pour les mêmes raisons, j’aime tant le théâtre. On fait quelque chose et on sait pourquoi et pour qui on le fait ! Quand je présente « Le  Jeu », je retrouve cette envie et cette émotion. Comme quand on me parle de la scène père-fille dont on vient de parler. Ça me touche, d’ailleurs, quand on me parle de cela car ça signifie que les gens sont touchés, qu’il y a eu une connexion. Si on n’aime pas ce sentiment de collectivité, on ne fait pas ce métier. Il y a un truc très humain dans ce travail et j’adore cela !

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Vous êtes l’un des Belges les plus appréciés de l’Hexagone. Qu’est ce que cela vous fait de revenir en Belgique et d’être au FIFF, ici, à Namur ?

Stéphane : Je suis très attaché à mon pays. Si j’aime être en France c’est parce que j’aime être en Belgique. Il y a toujours un rapport aux choses. Si on aime bien qu’il fasse chaud c’est parce qu’il a fait mauvais. Si on aime bien qu’il fasse mauvais c’est parce qu’on a trop chaud ! C’est toujours un contraste de l’un par rapport à l’autre ! C’est un sentiment de « je t’aime, moi non plus ». C’est l’une des raisons pour laquelle, je ne me verrai jamais faire du one-man-show ! J’ai besoin d’être en relation avec quelqu’un d’autre. J’ai le besoin d’avoir un point d’appui ! Je veux toujours avoir une perspective. Ce que l’on n’a pas quand on est seul. Et, pour moi, la perspective est là. C’est la Belgique par rapport à la France. Elles se regardent l’une et l’autre. J’adore ce regard croisé. Quand je reviens ici à Namur, c’est très particulier: je suis venu ici quand je n’étais pas encore très connu. Puis, en grandissant, je reviens avec d’autres projets et un autre statut. C’est chouette  de se voir grandir dans les yeux des autres ! Dans ce sens, Namur est quelque chose de très particulier pour moi.

Ces dernières années, vous avez aménagé votre temps entre vos activités à la radio et à la télévision pour revenir, de manière plus régulière, à l’avant-plan sur grands écrans et sur les scènes de théâtres. Quel rôle ou projet aimeriez-vous que l’on vous confie ?

Stéphane : À la base, j’ai voulu faire ce métier pour faire rire les gens. Je voulais faire de la comédie. Chaque fois que l’on me proposait un rôle dramatique, je disais: « Non, je veux faire de la comédie ». Ça, c’était au début ! En fait, je ne me sentais capable que de faire cela. Je pensais que je ne savais rien faire d’autre. Puis, au fur et à mesure, quand j’ai commencé à me sentir à l’aise et légitime dans ce métier, je suis allé vers des rôles plus dramatiques. Et, aujourd’hui, plus un personnage est costumé, plus il a des accessoires et plus il s’éloigne de moi, plus je trouve cela excitant !

J’ai récemment fait des essais caméra pour le prochain film de Jean-Pol Salomé, dans lequel je vais tourner, où j’aurai la chance de jouer l’amant d’Isabelle Huppert et où je camperai un flic. Vu le script, on peut imaginer que ce type est un ancien rockeur donc, pour les prises, je portais plein de bagues, un t-shirt d’AC/DC  et un blouson en cuir. Je me suis rendu compte qu’il y a dix ans je n’aurai pas aimé faire cela ! Je pensais que j’allais perdre mon identité et m’oublier. Je croyais que je ne saurais pas jouer.  Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Cela m’amuse. C’est grâce à cela que je me mets dans un personnage et que je m’abandonne ! J’ai vraiment envie d’aller vers ces rôles à contre-courant de ce que je suis ! Je pense que l’on pourrait dire que je me suis pris au jeu du « Jeu ».

Outre vos carrières de chroniqueurs, d’acteur et de comédien. Sans oublier l’écrivain qui sommeille en vous. Beaucoup se rappellent du voyage et du retour en Absurdie. Y’a-t’il un futur livre en projet d’écriture ?

Stéphane : Je reste avant tout un acteur car j’aime bien que l’on m’appelle pour participer à un nouveau projet. Cela sous-entend toujours que quelqu’un a envie de me voir. Le fait de se savoir demandé est le propre de l’acteur. C’est ce qui le motive. C’est même le propre du genre humain, en fait.

Dans l’écriture, on est tout seul. Le rapport à l’autre me manque dans cet exercice que j’apprécie pourtant très fortement. Quand on écrit, on s’appelle soi-même. On est face à soi et on fait appel à son imaginaire et à son inspiration. J’adore écrire car, à un moment, on a cette révélation. On trouve le bon mot et on trouve la bonne formule. C’est ce qui rend l’exercice chouette. C’est un travail très dur, il faut se faire violence. Mais quand on atteint l’instant de fulgurance, on est récompensé.  Je suis actuellement en train d’écrire un recueil de poèmes et d’aphorismes.

L’an dernier, vous vous êtes,  pour la seconde fois, essayé au métier de réalisateur grâce au court-métrage « Qui ne dit mot» (adapté en BD, également). Vos courts-métrages sont visibles sur votre chaîne Viméo. Bientôt un long-métrage ?

Stéphane : Dernièrement, les réalisateurs du film « Le Prénom », Alexandre De La Patellière et Matthieu Delaporte, devaient adapter au cinéma la pièce « Tout ce que vous voulez », dont on parlait en début d’interview. Ils n’ont pu réaliser ce projet. J’ai alors eu l’envie de le faire et le producteur m’a donné son feu vert. C’est en train de se concrétiser mais il y a deux obligations pour la mise en route de ce projet. Je dois réaliser et je dois reprendre le rôle que je tenais dans la version théâtrale.

On verra donc, ça ! Merci beaucoup à tous les deux. Le Jeu en valait la chandelle !

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