Le loup en slip n’en a pas fini de tricoter et détricoter sa forêt comme il en ferait de notre société, de ses mauvais côtés (ce coup-ci, l’aliénation au travail, le capitalisme…) comme de ses bons côtés. Catalysant autant la peur et la jalousie que l’indépendance et le coeur sur la main, notre bon loup, inventé par Wilfrid Lupano et Mayana Itoïz sur base d’un dessin créé dans l’intimité pour éloigner les monstres de la chambre de leur progéniture, continue son joli chemin. Devenant un exemple, un héros, avec un franc-parler et des situations qui font chaud au coeur. Interview avec Mayana lors de son passage à Namur, au coeur de la Librairie Papyrus.
Bonjour Mayana, c’est déjà votre quatrième tome du Loup en slip aux côtés de Wilfrid Lupano. Comment est née l’histoire de cet album ?
Il faudrait demander à Wilfrid. Mais nous avions envie de traiter le démantèlement, la pression à vivre dans un monde capitaliste. Le focus est donc, cette fois, plus sur le monde du travail.
Et c’est l’occasion pour certains personnages de se découvrir un peu plus. Comme votre écureuil, tout sympa au premier abord, mais qui est un véritable J. Jonah Jameson pour votre loup.
C’est vrai, en plus de son commerce, il détient la prison, le journal… Tout est sous sa coupe… et il ne supporte pas que le loup en slip ait de l’oseille alors que ce n’est pas lui qui la lui donne. Et s’il n’est pas la main nourricière, cela veut dire qu’il ne le contrôle pas comme le reste de la société.

Robert l’écureuil est un affreux personnage, nous le savions dès le départ. Mais les personnages évoluent parfois sans que nous nous en rendions compte. Il symbolise le grand patron, l’homme politique – qui sont souvent les mêmes d’ailleurs -, les Pinault, les Arnault, des héritiers qui achètent des canaux d’informations pour être libres de faire ce que bon leur semble.
En plus, les enfants captent tout de suite qui est l’écureuil. Ils le disent patron ou président, mais perçoivent bien que c’est lui qui représente ce qui est censé gérer la forêt… mais qui ne l’aide pas. Que pourrait-il faire de son énergie plutôt que de mettre les gens en opposition en réduisant les salaires, en éloignant la retraite. En plus, l’écureuil n’a lui non plus jamais travaillé. Alors en quoi ça pourrait l’embêter que le loup, quand bien même il n’en ficherait pas une, soit comme lui.

Il est d’ailleurs suppléé par une brigade anti-loup. Dont le seul objectif est de prendre le loup au piège.
Oui, enfin, ils font beaucoup la sieste ! Pas sûr qu’il soit plus travailleur que le loup qu’il chasse. Au contraire. Pourtant, ils vont réussir à mener leur enquête et décréter que le loup est livre et a son utilité. Laissant l’écureuil esseulé. En fait, ces deux blaireaux anti-loup, ils sont juste bêtes, acquis à celui qui parle le plus fort.

Dans cet album, on retrouve aussi Gru-mo qui avait illuminé le précédent album.
Oui, il avance sur son projet. Et alors que l’écureuil pense qu’il est resté sur son projet de fusée qui ne sert à rien, Gru-mo, lui, s’est orienté vers un objet qui va servir à tous. Et si tout le monde va dans le bon sens, la forêt ne peut être qu’épanouillante.
Quel jolie success-story, quand même. Avec de bons jeux de mots.
Nous ne répondons pas à une commande. Nous réalisons chaque tome en fonction des idées que nous voulons exploiter. Pour le cinquième, nous avons plein d’idées. Mais ça vient quand ça vient. Tant que nous n’avons rien à raconter, nous n’écrivons pas.

Pour ce qui est des jeux de mots, c’est la patte de Wilfrid. Avec des double-sens tant pour les adultes que pour les enfants.
En tout cas, nous sommes motivés et contents que ça fasse mouche. Ça nous tenait à coeur de parler du fonctionnement de l’argent. Nous sommes souvent confrontés aux milieux associatifs, à des bénévoles qui s’épanouissent dans ce qu’ils font. Je me souviens d’une dame qui considérait être un travail dûment rémunéré par le RSA. Elle ne le touchait pas parce qu’elle ne travaillait pas ! Dans le monde qui nous entoure, il y a une telle aliénation au travail. C’est à la chaîne. Il y a les images des abattoirs mais aussi celles des gilets jaunes. Il y a une prise de conscience de certains quotidiens tandis que d’autres, coincés, n’osent rien faire et continuent d’exercer un travail qui ne leur semble pas si pénible.

Votre album, est-ce de l’illustration ou de la BD ?
Wilfrid, il me semble, écrit ça comme de la BD, il pense la narration en cases. Moi, je me fais mon petit théâtre de la forêt. À chaque fois, le lecteur retrouve le même décor qui change un peu parfois. Par exemple, dans le centre de la forêt, il y a un commerce qui change à chaque tome de mains.
Le théâtre, je le trouve fort présent. Vous offrez aux adultes une matière en or, avec vos personnages, pour les interpréter, les imiter.
C’est vrai que c’est un album hybride entre BD et illustration jeunesse. C’est plus un récit de conte qu’un vrai récit BD fondé sur les dialogues. Ça lorgne vers le théâtre, le film, avec des personnages à incarner pour que les enfants comprennent. Il n’y a d’ailleurs que peu de bulles qui brideraient la créativité. Il doit y avoir plein de comédiens sur le plateau.

Des enfants, il y en a aussi. Ceux qui font une sortie scolaire.
La Brigade anti-loup leur dira que ça ne sert à rien alors que cette classe prend la direction d’un chantier participatif. Bien sûr que ça sert.
Je fais d’ailleurs des rencontres scolaires qui donnent lieu à des débats, différents selon les âges. Sur ce qui nous fait peur notamment. Souvent, ils prennent les animaux au premier degré sans voir la métaphore. C’est très différent des dédicaces BD. Ce matin, j’étais d’ailleurs dans une librairie spécialisée dans le rayon jeunesse.
C’est vrai que nous cassons un peu le code, entre le roman graphique et l’album jeunesse. Un entre-deux. Même si, au fil des tomes, on tend de plus en plus vers la BD. Wilfrid est bavard.

Pourquoi un loup ? Pourquoi revient-il tout le temps en tant que méchant par excellence ?
Il est noir, il terrorise, il représente la partie sombre de l’humanité. Ça fait tellement longtemps qu’on l’utilise. Mais il est hyper-utile.
Avant, il était souvent moqué, aussi. Avec Le loup en slip, nous voulions passer de la moquerie à la compréhension. Parce que notre loup, il est tranquille, il ne veut embêter personne. En plus, il mange bio. C’est un personnage assez important, il ne fait plus peur mais comme il s’affranchit du système en place… il est devenu gênant.

Pourquoi un slip ?
Sa création date d’il y a déjà longtemps. J’avais dessiné un loup en slip sur le plafond de la chambre de nos enfants qui avaient peur de ce qui pouvait bien se cacher sous leur lit. Un loup en slip à rayure, ça fait tout de suite moins peur. Je l’ai dessiné plusieurs fois et il s’est installé comme nom de théâtre dans Les Vieux Fourneaux avant de connaître ses propres aventures.
Il a su s’affranchir des Vieux Fourneaux, votre loup ?
Dès le tome 1, nous avons eu de bonnes critiques sans qu’elle ne fasse forcément le lien. Aujourd’hui, les gens viennent nous voir en dédicaces et nous demandent en voyant les images des Vieux Fourneaux. Ils nous demandent ce que c’est.

Je vois une boule à neige devant vous aux couleurs de votre héros.
(Elle la prend, la retourne). C’est un gadget pour les libraires. Je l’ai dessiné mais il a fallu rétrécir le museau, il n’entrait pas.
Le loup en slip connaît aussi une vie dans d’autres objets. Un jeu de société va bientôt arriver, non ?
Oui, une boîte de jeu coopératif. Asmodée nous a demandé pour utiliser les visuels. Nous avons suivi ça de loin, tout en étant séduit par l’état d’esprit de ce jeu.
Puis, il y a des adaptations en pièces de théâtre. Deux compagnies nous ont demandé les droits. Les représentations vont bientôt commencer, notamment du côté de Lyon.
Enfin, une dame a mis au point un patron pour faire des peluches. C’est génial cette effervescence autour de ce personnage, il y a une cohérence.
Et en dédicaces.
Pour ce nouvel album, les enfants n’ont pas encore d’animal préféré. J’aime les voir venir avec leur album écorné. Dans les écoles, c’est différent, comme ils ont déjà lu et discuté autour de l’album, il demande des dessins en fonction de ce qu’ils aiment, le foot par exemple.
Ici, pour votre tournée dans quelques librairies belges, votre éditeur a mis en place un concours de dessins.

Oui, une chouette initiative. Cela permet de voir comment ils ressentent les personnages, ce qu’ils en comprennent. Je crois que je vais organiser un concours du genre sur Instagram.
Merci beaucoup Mayana et bonne continuation.
Tome : 4 – … n’en fiche pas une
Scénario : Wilfrid Lupano
Illustrations et couleurs : Mayana Itoïz (Page Facebook)
Avec la participation de : Paul Cauuet
Genre : Fable, Humour, Jeunesse
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 40
Prix : 9,99€
Date de sortie : le 08/11/2019
Extraits :