À Nola, un Toussaint namurois peut en cacher un autre. Alors que Kid a, a priori, fini les aventures de sa Holly Ann avec Stéphane Servain; Gontran Toussaint (aucun lien de parenté entre eux) nous conte avec sa compagne, coloriste devenue scénariste, Léa Chrétien, l’épopée de femmes nées du bon ou du mauvais côté du fouet, blanches ou noires mais jamais égales face aux hommes. Louisiana, c’est une série en laquelle Dargaud croit beaucoup pour cette rentrée, qui aborde l’esclavage mais pas que. Dans une ambiance étouffante, superbement rendue, voilà une success story doublée d’une saga familiale et féminine finement écrite et glaçante par endroits. Là où la première série (désormais arrêtée) de Gontran Toussaint poursuivait un héros qui « devait arriver cinq minutes avant que l’Histoire ne se mette en marche), Louisiana – La couleur du sang suit des personnages qui font l’Histoire ! Interview avec les deux auteurs.

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Bonjour à tous les deux. La dernière fois, nous avions eu l’occasion de faire connaissance avec Gontran. Mais pas avec toi, Léa. Tu es française vivant à Wépion, c’est ça ?
Léa Chrétien : Je viens des Ardennes françaises, pas loin. Comme Gontran, j’ai suivi des études à Saint-Luc Liège en illustration. C’est là que nous nous sommes rencontrés
Nous te connaissions avant tout comme coloriste sur Le plus long chemin de l’école mais aussi le deuxième tome de Reporter. Comment es-tu devenue scénariste ?
Léa : Cette histoire, je l’ai écrite toute seule. Bien sûr, en en discutant avec Gontran.
Gontran : Je me faisais l’avocat du diable, je démontais point par point ce qu’elle écrivait pour voir si ça tenait la route.
Léa : Je ne vois même pas les planches quand il les envoie. Je ne suis pas inquiète.

Si je comprends la petite préface que vous avez écrite, c’est un voyage qui a été à la source de cette aventure.
Léa : Il y a cinq ans, nous sommes partis en Louisiane avec la famille. Nous avons visité beaucoup de choses et notre guide nous a notamment raconté l’histoire d’une famille de planteurs. Un siècle d’histoire. L’un de nos proches nous avait dit que ça ferait une bonne BD. Mais c’était tellement improbable. À cette époque, nous n’en faisions pas encore. Force est de constater que, quelques années plus tard, ça m’a inspiré le concept.
Remarquez, il est impossible que ce soit une histoire vraie, nous n’avons pas de preuve puis nous n’avons pas tout noté de ce qui nous avait été raconté. Du coup, j’ai préféré m’écarter de la réalité. Ainsi, dans l’histoire originelle, il n’était pas question de vaudou. Mais, comme j’avais vu American Horror Story, le personnage de Marie Laveau me plaisait. Tellement mystérieuse. Puis quand on se balade à Nola, c’est compliqué de ne pas parler du vaudou.
Pour autant, l’histoire que vous nous racontez, malgré une double-planche effrayante, n’est pas vraiment fantastique.
Léa: C’était le but, de ne pas basculer. De rester ambigu sur ce côté mystique contrebalancé par l’horreur humaine.
Vous vous imaginiez si vite réaliser un album à deux ?
Léa : Quand nous sommes sortis de Saint-Luc, nous avons envoyé un dossier. Un projet scénarisé avec quelques planches de Gontran. Dargaud ne l’a pas retenu mais l’a gardé dans un tiroir. Je pense que le dessin de Gontran avait plu ! Faire une BD ensemble, c’était notre petit rêve. Finalement, notamment grâce à François Le Bescond, de chez Dargaud France, c’est arrivé plus vite qu’imaginé. Maintenant, il faut espérer que ça fonctionne et que ça dure.

Et le premier projet ?
Gontran : A priori, toujours dans un tiroir. C’était sans doute trop dense pour faire un album. Il était question d’un polar noir dans les années 30. Avec un écrivain extrêmement doué qui aidait la police dans ses enquêtes à la condition d’avoir le scoop et d’être le premier à le publier dans le journal. Il y avait des choses à affiner.
Revenons à Louisiana, j’imagine qu’il a fallu vous replonger dans cette ambiance ?
Léa : Oui, j’ai pris deux mois pour y plonger grâce à des films, des lectures, des recherches sur internet. Il m’importait de coller au contexte.


Gontran : Et elle m’a passé sa liste ! Il y avait Twelve years a slave, immanquable pour l’ambiance. La mini-série Racine (Roots), aussi, produite dans les années 70 par ABC. Bien reçue par la critique mais abordant un sujet qu’il était encore compliqué d’évoquer à l’époque. Du coup, ils en ont refait une version en 2016 avec Forest Whitaker. J’ai aussi revu La couleur des sentiments. Et, quand même, Autant en emporte le vent. Je voulais retrouver, dès 1770, les bons vêtements qu’on trouvait dans une plantation.
Léa est très littéraire, très précise. Cela faisait longtemps que nous lui disions : « Mais écris quelque chose ». Techniquement, pour agencer les idées, trouver des situations de départ et créer des histoires qui tiennent la route, elle est efficace et rapide.
Léa : C’est comme si j’avais le film dans ma tête. Cela dit, si je sens que je ne vais pas dans la bonne direction, je peux recommencer une scène. C’est ce qui est arrivé pour le début du deuxième album.
Coloriste, mais pas dessinatrice ?
Léa : Le dessin, c’est trop compliqué. Gontran, lui, est fait pour ça, il ne vit que pour ça même, il a le feu sacré. Ce n’est pas mon cas. Quand j’ai fini mes études, j’ai réalisé des projets mais je me suis très vite rendu compte que ce n’était pas ce qui m’épanouissait. Quand ça vous arrive, il faut arrêter. Et ce fut un soulagement. Même si c’est dur de s’en rendre compte. Cela dit, dessiner est toujours un hobby. Je dessine pour moi et j’y reviendrai sans doute mais plus par l’illustration.
Gontran : Dans son découpage, cela dit, elle est très voire trop précise, je ne peux pas tout mettre. Je dois faire des choix.
Léa : J’écris en sachant très bien qu’il ne respectera pas tout.


Dès le départ, vous dites, par un clin d’oeil, ce que cette histoire ne sera pas. Et ce ne sera pas Autant en emporte le vent.
Gontran : C’était notre crainte que les gens communiquent sur cet aspect des choses. Non, notre histoire se passe soixante ans avant et n’est pas romantique du tout. Ce n’est pas un anti-Autant en emporte le vent, pour la cause. Quoique… Toujours est-il que l’histoire que nous racontons n’est pas du tout semblable. Mais j’ai l’impression que faire des comparaisons, ça rassure les gens.
Combien de tomes, Louisiana comptera-t-elle ?
Léa : Au départ, nous partions sur 5, puis nous avons tenté 4. Enfin, nous sommes tombés d’accord avec notre éditeur sur trois albums et c’est très bien. Les éditeurs sont devenus plus frileux pour les séries à rallonges. Le marché n’est plus le même. C’est porteur de signer pour trois albums chez Dargaud.

Vous basez ce retour dans le temps sur le discours d’une grand-mère qui veut coucher sur papier ce qu’il est arrivé à sa famille. Pourquoi ?
Léa : C’est un bon point de vue narratif puis ça nous permettait de développer la relation de cette matriarche et sa bonne de couleur. Ce n’est pas anodin.

Pour vous, Gontran, encore un voyage dans le passé ?
Gontran: Hé oui. Je ne veux pas faire dans le contemporain. Techniquement, ça me parle moins. J’adore l’histoire des États-Unis, le 18e-19e siècle. La guerre de Sécession.
Les Tuniques Bleues ?
Gontran: Oui, ça part de là. J’aime représenter tout ça. Mais, ici, c’est totalement différent de mes deux premiers albums. Je préfère dessiner des décors naturels à des bâtiments. Le seul problème, c’est que nous n’avons pas grand-chose comme documents photographiques. Il faut se rabattre sur les séries, les films. Puis, il faut aussi se dire que cet album n’est pas fait pour apprendre les rouages d’une plantation de l’époque. Il faut donner matière à y croire tout en ne s’écartant pas de ce qui est porteur : les rapports humains.

Léa : Je ne sais pas trop l’expliquer mais j’essaie de me mettre dans la peau des personnages, d’étudier la manière dont ils pourraient parler, comme si j’assistais à la scène. Que se passerait-il ? Je ne veux pas surjouer.
De même, je n’écris pas ça pour le voyeurisme. L’idée était de ne pas montrer le trash, la violence. Que celle-ci soit suggérée, dans une scène de viol comme de la violence verbale. Il ne fallait pas s’éloigner de la base. Que ça reste mainstream, qu’on reste dans le catalogue de notre éditeur. Même si dans les détails, il y a des choses.

Gontran : Cela dit, j’ai du mal à ressentir les émotions quand je lis une BD. Van Hamme disait qu’en BD, pleurer était impossible, parce qu’il n’y avait ni la musique ni le ralenti. Dans un film, quelqu’un d’éventré, ça fait son effet. Alors que, dans une case, un crâne qui explose. Je crois qu’en BD, l’émotion est générée par une situation globale, des épreuves que traversent des personnages. C’est sur le long terme plutôt que sur le coup.
Finalement, dans notre récit, même Augustin, le patriarche, n’est pas juste une pourriture, ce n’est pas le grand méchant. Non, il n’est pas tout blanc, mais qui l’est ?

Finalement, le grand méchant n’est-il pas cette époque qui assied les manières de se comporter et de considérer les esclaves ?
Léa : Je crois qu’il y a en tout cas toujours la question du choix qu’on fait. Même à l’époque, tout le monde n’était pas comme ça. Il y avait des bons maîtres. Maintenant, avec un tel contexte, il était facile pour les mauvais de se sentir dans la norme.
Mais, en tant que créateur d’histoires, c’est toujours plus « agréable » de se mettre dans la peau du méchant que celle de la victime ou du plus faible. Ça rend le travail intéressant. Dès le début, il était obligatoire qu’il y ait un méchant.
Gontran : Également dans le dessin, les méchants sont gais à dessiner, ils passent par des traits plus anguleux, des visages plus burinés.
Léa : Mais j’ai préféré écrire le personnage de Lorette quand elle prend le dessus par exemple. Preuve que rien n’est immuable. Puis, il y a Joséphine qui est plus forte que sa mère et va perdre son innocence.

Il est en tout cas beaucoup question des femmes dans cette trilogie : qu’elles soient blanches ou noires, d’ailleurs. Elles ne luttent pas pour la même chose.
Léa : À la base, je n’imaginais pas du tout écrire quelque chose de féministe. Évidemment, je suis féministe et pour les droits des femmes. Mais dans le contexte actuel, ça veut dire beaucoup de choses.
Gontran : J’ai tout de suite accroché, dès le début du projet. Je trouve que dans la BD mainstream, il y a peu d’auteures femmes et quand elles se lancent ce sont des romans graphistes d’auteures complètes. Des histoires personnelles. Il y a peu de scénaristes-femmes.
Louisiana, je trouve, est typiquement le genre de scénario qu’un homme aurait pu écrire. Mais on y sent la finesse d’une femme. C’est assez rare dans ce genre de sujet et, je dirais même, au format franco-belge.

Je dis ça en tant que lecteur, aussi. J’en attends des femmes dans ce domaine. Elles sont tellement rares dans le monde de la BD grand public. Dommage, parce que quand elles franchissent le pas, elles ont souvent des prix du scénario, etc. Mais le secteur reste encore trop réservé aux hommes. Ana Mirallès a un talent énorme !
Je me suis fait la réflexion à la fin de la lecture de ce premier tome. Qu’est-ce qu’il est bien rempli. Il s’y passe des choses. Il y a tellement de débuts de séries qui se traînent et ne sont que des tomes d’introduction.
Gontran: Hé bien, c’est justement ce que je reproche. C’est tellement dommage de galvauder 54 planches pour une simple introduction. Ici, j’ai vraiment eu l’impression que toutes les planches servaient. Le premier jet posait les personnages mais déjà des relations de force s’installaient et étaient prêtes à changer. C’est dense. Je pense qu’on aurait pu plus diluer mais ça m’aurait pris trop longtemps.

Justement, combien de temps de travail pour un tel album ?
Gontran : La fin d’album, ça va toujours plus vite. Trois planches par semaine. Au début, c’est deux. Je travaille de 10h à 2h du matin. Avec quelques pauses. C’est un plaisir mais aussi un combat. Tous les soirs, je me sens nul et je me dis que je ferai mieux le lendemain. C’est un match de boxe, il faut mettre K.O. l’adversaire.
Vous travaillez dans la même pièce ?
Léa : Non, mais pas parce que nous n’y arrivons pas, nous manquons juste de place.
Entre les deux premiers albums et maintenant, tu sens une évolution ?
Gontran : Ce nouvel album, je n’aurais pas pu le faire comme ça sans les deux précédents. J’avance dans une voie dans laquelle je me sens mieux. Je travaille l’émotion sans trop en faire. Techniquement, le premier album c’est de l’esbroufe. Avec trop de décors qui n’apportaient pas. C’est plus simple maintenant. Mon cadrage est, je crois, plus juste, de manière à ne pas perdre le lecteur.

Puis, il y a les conditions climatiques. Plein soleil ou pleine pluie.
Léa : J’ai écrit des scènes de pluie parce que je sais que Gontran les aime.
Gontran : Exact, ça permet de dynamiser, de dramatiser aussi. Dans ce premier tome, nous varions entre humidité et chaleur. À l’époque de notre voyage, nous avions pris des photos sans savoir qu’elles allaient nous servir. Le bayou, le Mississippi. Après, la ville en tant que telle, Nola, a beaucoup changé. Nous ne pouvions pas nous baser sur nos photos. D’ailleurs, nous avons triché, la Nouvelle-Orléans telle que nous la représentons est anachronique. À l’époque où nos personnages y arrivent, elle n’était pas encore développée du tout. Nous sommes tombés sur une gravure d’époque, il devait y avoir cinq maisons, trois bateaux. C’était trop petit. Puis, nos héroïnes arrivent en bateau à vapeur. Ils sont apparus en 1809-1810. Nous étions à la limite. Cela dit, moi, je voyais les bateaux à roue. Mais ils sont arrivés beaucoup plus tard. Nous ne les avons pas mis. Il nous importait de joindre le crédible à l’agréable.

Loin de là, ce n’est pas la première fois qu’une oeuvre aborde l’esclavage et cette période de l’histoire.
Léa : Il fallait d’ailleurs que nous essayions de nous détacher de tout ce qu’on a pu voir. Nous nous sommes interdits de verser dans le cliché, comme la scène où un esclave est fouetté à sang. Cet album n’en est d’ailleurs pas un sur l’esclavage. Nous nous sommes rendu compte que, peut-être, le pitch laissait trop présager ce genre d’histoire. Ce n’est pas le cas. Dans un pitch, nous ne pouvons pas expliquer toute l’histoire.
Et la couverture ? Ta première, Gontran, si je ne m’abuse.
Gontran : Oui, pour mes premiers albums, Renaud (Garretta) les avait réalisées. J’avais du retard. Son projet avait été retenu et ça ne m’avait pas plus perturbé que ça, j’étais déjà tellement content d’être publié.

Néanmoins, avec Reporter, ça allait. Mais il y a parfois des BD’s qui sortent avec des couvertures diamétralement opposées à ce qu’on trouve à l’intérieur.
Bref, en ce qui concerne cet album, l’idée est venue assez rapidement. Des croquis de recherches, nous sommes rapidement partis sur celle-ci, je l’ai colorisée sommairement de manière numérique. Moi, je voulais la faire en couleurs directes, ce que je n’avais plus fait depuis des années. Mais le noir et blanc s’imprègnent. J’ai fait plusieurs essais. Léa a même fait des couleurs comme sur l’album. Jusqu’à ce que l’éditeur retombe sur mon premier essai et me demande : pourquoi tu n’as pas retravaillé celle-là ? Ce n’était pas idiot. J’ai donc repris mon premier fichier et tout retravaillé en digital. Bon, j’aurais préféré le faire à la main mais le résultat final est proche de ce à quoi je voulais parvenir. En tout, il doit y avoir eu 7-8 versions manuelles. Sinon, faire la couleur sur mes planches, j’en suis techniquement incapable et je n’y prends aucun plaisir.

Dites donc, Dargaud a mis le paquet, non, sur cette sortie ?
Gontran : C’est ce qu’ils appellent une série prioritaire a-t-on appris, un des albums parmi une dizaine qu’ils décident de porter et promotionner à fond. Si l’album ne fonctionne pas, rien ne pourra être reproché à l’éditeur. Un travail fantastique. Après, il y a toujours le facteur-chance, l’album sortira un vendredi 13 !
Ce dispositif mis en place par l’éditeur, ça veut dire que votre album va voyager ?
Je sais que des traductions sont en cours pour des éditeurs étrangers mais je n’en sais pas plus. On m’a aussi demandé une version en noir et blanc. Mais rien de définitif. Peut-être pour une intégrale des trois tomes.
Justement, vous lisez des BD ?
Gontran : J’en lis beaucoup moins. Je ne me pose pas pour en lire en tout cas. Je n’ai pas le temps. Mais je n’en ai jamais trop lu.
Léa: Puis, comme il a toujours le nez dedans à force d’en faire. Ce n’est plus du divertissement, c’est du travail : l’analyse des découpages, des façons de faire des autres.

Y’a-t-il eu une planche compliquée à dessiner ?
Gontran : Je travaille en pleine plage, au format 50/60, plus du double du format 21/29. Alors, ça prend du temps. Les scènes d’intérieur sont toujours plus compliquées. Mais j’aime jouer avec l’ombre, la lumière.
Et d’ombre et de lumière, il en est question dans la double-planche qui marque le tournant de cet album. Des bords noirs, une alternance d’actions…
Gontran: C’est comme au cinéma, du split screen. Un gaufrier classique mais un vrai régal. Avec une question : comment représenter au mieux la violence de cette scène. Nous avons étudié plusieurs manières, des ombres chinoises et une giclée de sang par exemple. Mais avions-nous envie de montrer ça ? Qu’est-ce que ça impliquait ? Du coup, nous avons opté pour une détonation, sans rien voir du moment fatidique.
Léa: Il fallait que cette séquence forte de l’album soit spéciale. Je ne lis pas de BD, je ne suis pas cultivée. L’inverse de Gontran.
Et une onomatopée.
Gontran: J’en utilise très peu, comme mon dessin est réaliste. J’ai du mal à en mettre. Je pense que le dessin et le mouvement donnent d’avantage une idée du bruit à attendre. Mais ici, cela avait son importance.

Cette case, elle est inspirée d’American Beauty. Une balle est tirée mais au moment où elle va atteindre son but, la personne mise en joue, la caméra dévie d’un coup sec.
Autre élément du décor, la lumière. Tout est éclairé à la bougie, quand il fait noir.
Gontran : Ça donne une ambiance. La bougie est la seule source lumineuse. Ça dramatise, c’est plus angoissant, je trouve, tout en donnant du volume aux visages.
Comment fait-on de la lumière avec des noirs et des blancs ?
Gontran : C’est vrai que si je place mal mes noirs, cela va engendrer des problèmes. Il faut de la justesse. Parfois, je regarde des films, je les analyse. Comment la lumière tourne-t-elle ?

Et la couleur ?
Léa : J’ai eu du mal sur les premières pages. J’ai recommencé 5-6 fois. C’est le travail de l’ambiance qui importe. Le dessin est riche, à la base, ça n’a pas d’intérêt de trop travailler les couleurs. Mais il fallait, en effet, prendre conscience que la lumière n’était pas électrique, mais qu’elle venait du feu, des bougies lors des scènes dans la nuit.
Dans un premier temps, sur la planche finie de Gontran, je mets les couleurs de base, pour déterminer l’ambiance. S’il n’est pas d’accord, on en discute. Nous travaillons en parallèles.
La scénariste pense-t-elle à la couleur ?
Léa : Non, mais elle devrait. Parfois, en mettant les couleurs, je me demande pourquoi j’ai écrit ça comme ça. Notamment sur cette scène d’intérieur dans laquelle on voit qu’il fait gris dehors. Une ambiance terne. Pas habituel dans cet album dont la majeure partie se déroule dans un décor naturel. Ce genre de séquence sert l’histoire mais est aussi un défi.
En fait, quand j’écris, je pense plus au dessin. J’y mets de la nuit, de la pluie, des ambiances à la torche. Mais aussi des bateaux et des chevaux, comme je sais que Gontran aime ça. Ce n’est pas du sur-mesure mais quand je peux lui faire plaisir.

L’album devait sortir le 30 août. Partie remise au 13 septembre. Pourquoi ?
Gontran : Un défaut à l’impression. (Il s’empare de mon exemplaire presse) Nous n’avons pas encore reçu nos exemplaires. Les bords de la page 30 apparaissent comme sales, noircis. Bon, c’est un petit détail mais on peut comprendre que l’éditeur ait envie de proposer un album neuf et net. Du coup, c’est le rush pour que l’album soit prêt pour la Fête de la BD de Bruxelles. Nous y serons les 13 et 14 septembre.
Beaucoup de séances de dédicaces à la clé ?
Gontran: Disons que je choisis le contexte. J’ai le devoir de ne pas céder à toutes les invitations. Le débat fait rage en ce moment. Je me dois de garder une ligne de conduite. Ça me fait plaisir de rencontrer les lecteurs. Mais quand pour une journée au bout de la France, je dois prévoir un déplacement de 2-3 jours, où est le retour sur investissement. Je ne suis pas payé, c’est du temps durant lequel je ne travaille pas. Je ferai probablement Quai des bulles. Mais je ne peux pas faire tout ce qu’on me propose. Si j’accepte tout, je suis parti pour 25 dates, dont certaines à Narbonne, Toulouse… Mais je ne fais pas rien et je suis content de rencontrer le public. Le tout est de trouver la balance.
D’autres projets ?
Léa : Je ne dis pas non à des scénarios pour d’autres. J’ai des envies, notamment la folie et les asiles dans les années 20. Puis, un polar noir dans les années 50. J’aime le contexte historique. Moi, non, plus, je ne suis pas très attirée par le contemporain.
Gontran : Dans l’immédiat, je ne travaille que pour Louisiana. Mais j’aimerais un jour envisager le scénario, écrire. Dans plus ou moins longtemps. C’est assez enthousiasmant de voir qu’Hermann, après 10 ans de collaboration avec Greg, a un jour décidé d’écrire seul.
Tome: 1 – La couleur du sang
Scénario: Léa Chrétien
Dessin: Gontran Toussaint
Couleurs: Léa Chrétien
Genre: Drame, Histoire
Éditeur: Dargaud
Nbre de pages: 56
Prix: 14€
Date de sortie: le 13/09/2019
Extraits:
Très bel album, très réaliste. Du bon travail. Merci à vous.