Le mode de la BD et son rythme effréné étant ce qu’ils sont, il m’arrive de perdre le fil. Pas uniquement pour les oeuvres qui ne m’ont pas fait d’électrochoc, parfois même pour des séries très prometteuses et qui m’ont scotché. Je ne sais pas comment, j’ai ainsi laissé passer les mois jusqu’à découvrir que le tome 3 de Black Hammer, géniale série créée par Jeff Lemire, Dean Ormston et Dave Stewart, sans que j’aie mis la main et les yeux sur le deuxième opus. Résultat, j’ai mis les bouchées doubles sur cette saga devenue très vite géante (et ce n’est pas près de finir, puisque désormais, côté américain, ils font équipe avec la… Justice League).

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Résumé de l’éditeur : Les années passent et, pour la plupart des anciens héros de Spiral City, l’isolement et la vie en comité restreint sont de plus en plus difficile à supporter. Si Abe essaie tant bien que mal de se bâtir un semblant d’équilibre familial et sentimental, Gail, Barbalien ou encore le colonel Weird restent désespérément attachés à leurs vies passées. Et si la visite surprise de Lucy Weber, la fille du célèbre Black Hammer, dans leur dimension, leur offrait bientôt une porte de sortie… ?

L’incident puis L’heure du jugement, deux titres évocateurs pour prolonger l’aventure et provoquer la dramaturgie autour de ces super-héros vraiment pas comme les autres sortis de l’imagination de Jeff Lemire. Là où chaque jour était un nouveau défi à Spiral City, chaque jour est désormais un éternel recommencement de lassitude et d’ennui à Rockwood et dans cette ferme dont sont désormais prisonniers nos héros aux caractères aussi complémentaires que capables de faire des étincelles. Certains se sont plus ou moins adaptés à leur nouvelle vie sans pouvoir tandis que d’autres sombrent toujours plus. Au point, dix ans après l’événement dont le déroulement nous est contés par flashback dans le deuxième tome, de peut-être approcher le mystère et la clé de leur prison à l’air libre. Et c’est à ce moment-là qu’arrive d’on ne sait où Lucy Weber, la fille du regretté Black Hammer, nouvelle figure dans le jeu de quille.

Divins et machiavéliques, Lemire et Ormston, tout au long de ces 10 épisodes, du 7 au 17, enfoncent le clou avec un marteau encore plus libérateur que celui de Thor. Libérateur des démons et des anges, des spectres et des vivants, de toute une série de références qui trouvent ici un écho puissant, qui dépasse même cette histoire de super-héros de plus rien du tout.

Que ce soit dans L’incident, avec un retour sur l’histoire des différents personnages et le jour où tout a changé, ou dans L’heure du jugement plus attaché au parcours du combattant de Lucy Weber, Lemire fait intervenir des lettres de noblesse et les fait siennes : Guillermo Del Toro, le Truman Show, l’ABC des super-héros mythiques… et surtout ce qui fait que les histoires échappent à leurs raconteurs. Que, comme dans Toy Story, les personnages s’émancipent, interagissent et rendent l’oeuvre plus vivante et vibrante que ce qu’elle aurait rêvé être. Et ce qui semble cousu de fil blanc se révèle tissé d’or. C’est fascinant.

S’accordant une pause pour confier à David Rubin un épisode plus divertissant et semblant tout droit sorti des récits d’origine d’un super-justicier culte, les auteurs font oeuvre de tension, donnant réellement de l’ampleur et de la psychologie à leurs personnages brisés mais pas tous privés d’espoirs. Dean Ormston prend l’habitude à chaque nouveau chapitre de reprendre à la case et à la phrase avant, comme dans les séries télévisés. Ce procédé ne marche pas toujours. Ici, en changeant d’angle de vue, ça fonctionne parfaitement, ça redouble d’intensité d’un récit qui comptera parmi les plus puissants jamais générés autour d’un monde super-heroïque….

Mais en est-ce encore un? Ou le pouvoir de ces êtres attachants n’est-il pas d’être nourris d’humanité, comme jamais. À tel point que même les méchants pleurent en agissant. Quel choc ! Et c’est sans compter le final de ces deux volumes, à chaque fois confondants et haletants.

Série: Black Hammer
Tomes: 2 et 3
Scénario: Jeff Lemire
Dessin : Dean Ormston (David Rubin sur un épisode)
Couleurs: Dave Stewart
Traduction : Julien Di Giacomo
Genre: Aventure, Fantastique, Drame
Éditeur VF: Urban Comics
Collection : Urban Indies
Éditeur VO : Dark Horse Comics
Nbre de pages: 132 et 109
Prix: 17,50€
Date de sortie: le 13/04/2018 et le 05/07/2019
Extraits: