De far breton en far west, les cowboys ne sont peut-être plus vraiment ce qu’ils étaient, d’une côte à l’autre. Dans l’épopée, ultime, des Terre-Neuvas que nous racontent Philippe Charlot et Stéphane Heurteau (qu’on avait croisé dans une autre épopée, Itinirêve d’un gentleman d’infortune ou Le prince de l’ennui), les cavaliers solitaires fonctionnent en duo générationnel, ils chevauchent non pas des destriers mais des mob’ qui ne sont plus de toute première fraîcheur, n’ont pas le cigarillo mais plutôt le chouchen aux lèvres… Mais, à force de mensonges et d’inventer leur vie, peut-être méritent-ils bien le goudron et les plumes. Gentiment, tout de même.

Résumé de l’éditeur : Les parents de Peir sont désemparés. Plutôt que d’économiser pour le camp d’été organisé par la Banque, l’ado vient de gaspiller l’intégralité de ses économies dans l’équipement de son projet : des vacances en vélomoteur. Comme la fait son grand-père quand il était jeune ! La seule solution qui leur vient à l’esprit est de faire venir le vieux qui se réclame de la dynastie bretonne des glorieux Terre-Neuvas pour faire entendre raison à Peir. Mais contre toute attente, plutôt que faire revenir son petit-fils dans le droit-chemin familial, le grand-père décide de l’accompagner… dans un long périple en Bretagne… à mobylette !

Lors des réunions de famille, il arrive qu’il y en ait un qui gueule toujours plus fort que les autres, qui se la raconte. Celui-là, dans la famille du petit Peir qui vient de naître, c’est son grand-père. Au pied des Pyrénées, on n’entend que lui, gesticulant comme Depardieu au sommet de sa forme et capable, on en est certain, de réciter les injures du Capitaine Haddock et de Kersauzon réunis comme Cyrano le ferait de sa tirade. Marin loin des côtes, notre as qui semble avoir tout vu et tout entendu, prêchant l’amour incandescent de la Bretagne, la sienne et celle de sa lignée émérite, ce grand échalas ne comprendra jamais comment son fils a pu s’établir entre Béarn et Juras.

Et même si cette ombre haute en couleur est rarement de la partie (il faut dire que la baston est plus souvent au rendez-vous que l’amour filial), il a eu tôt fait de semer le voyage et l’instinct des grands aventuriers motorisés dans la tête de son petit-fils. C’est pourquoi, près de quinze ans plus tard, celui-ci décide de se rapprocher de son aïeul (qui se fera passer pour son oncle: on drague mieux quand on fait moins vieux loup de mer) et de partir pour un périple sur la trace de leurs vaillants ancêtres, par mers et terres, par vents et marées. Tiens bon la barre et tiens bon le guidon. Même si le duo n’est pas à l’abri d’un zigzag et, même, d’un passage par la case cachot, de haut-le-coeur et de déconvenues, ça souque ferme.


S’inspirant d’une anecdote personnelle, Philippe Charlot prend la route pour questionner le métissage et les voyages, ainsi que l’héritage laissé par nos aïeux, la manière dont on peut l’adapter, l’honorer, le glorifier, tout en gardant l’idée du passage de flambeau symbolique et porteur. On ne choisit pas sa famille mais, quand même, on la porte, elle nous porte, même maladroitement.

Dans ce clash des générations, Heurteau embarque ces deux personnages en gala, en représentation et en gouaille dans les terres mystiques bretonnes qui exigent parfois un peu de modestie. Il y a de la noblesse et l’encrage de la vraie vie dans ce trait, à deux pas pourtant de la rêverie, c’est ce qui fait sa force douce mais toujours raccord avec les histoires qu’il raconte. Les couleurs auraient pu ressortir un peu plus mais le dessin est bien là, campé et installé dans des paysages qu’on ne cessera d’aimer sillonner (les cases d’Heurteau peuvent être reportées sur la carte d’un futur pèlerinage bretonnant), sur la quête des origines mais aussi celle du futur, de comment on voit sa vie, de comment on la remplit, en étant soi-même plus qu’en voulant être un autre.

Et tant qu’à être lui-même, Stéphane Heurteau reviendra en septembre avec un nouvel album, aux Éditions du Long Bec, Long Kesh. « Un album qui narre de façon romancée les évènements qui se sont déroulés au sein de la prison de Long Kesh, en Irlande du nord, et principalement ce qui a conduit Bobby Sands et neuf de ses camarades à mourir de faim, alors même que le prisonnier républicain venait d’être élu député. » Une bonne nouvelle ne venant jamais seul et cet ouvrage ayant demandé de longues années et de longues heures de préparation, Stéphane Heurteau y adjoindra un artbook entièrement dédié à faire le making-of de Long Kesh, avec des recherches de personnages et d’ambiance, du storyboard… De quoi donner un supplément d’âme entre ces deux albums complémentaires. L’auteur prend les commandes encore pour quelques jours sur son profil Facebook. 25 euros, l’artbook, et des bonus en plus. 7€ de frais de port.
Récit complet
Scénario : Philippe Charlot
Dessin et couleurs: Stéphane Heurteau
Genre : Aventure, Drame, Road-Trip
Éditeur : Grand Angle
Nbre de pages : 80
Prix : 17,90 €
Date de sortie : le 24/04/2019
Extraits: