Artiste énigmatique, être humain engagé, la chanteuse namuroise Charlotte a enfin sorti son premier album, le 22 mars dernier. Une ode à la différence, à la force et à l’amour, l’histoire d’une jeune femme à part qui cherche sa place dans un monde usé et insensé, l’histoire de beaucoup d’autres. Nous l’avons rencontrée en terre namuroise, au Papote Café, au cœur de l’irrésistible rue des Carmes.
Bonjour Charlotte, comment vas-tu ?
Je vais très bien, avec un si beau soleil, comment ne pas aller bien ?
Un beau soleil et la toute récente sortie d’un premier album…
C’est vraiment spécial. L’album vient tout juste de sortir et je commence à avoir les premiers retours, ce qui est très touchant parce que je vois que les gens arrivent à s’identifier à mes chansons. D’autant plus que quand je leur demande quelle est leur chanson préférée, il n’y en a pas une seule qui ressort, chaque personne va me parler d’un titre différent. C’est génial !
J’imagine qu’avec ces premiers retours positifs, le stress de ce premier album doit être un peu retombé.
En effet, les chevaux sont lâchés, ils font leur bout de chemin. Toute la préparation de l’album, c’était beaucoup de boulot et beaucoup de choses qu’on n’imagine pas, maintenant, ce n’est que du plaisir. Par exemple, aujourd’hui, je me suis autorisée à faire les magasins à Namur. C’est important pour moi de pouvoir avoir un rapport direct avec les gens qui m’écoutent, encore plus dans ma ville.
Depuis quelque temps, la Belgique voit déferler une belle nouvelle vague avec Mustii, Loïc Nottet, Angèle,… des artistes qui marchent et qui sont reconnus.
C’est génial d’assister à ça ! C’est une variété énorme de musiques à écouter et c’est Belge ! On voit que les artistes belges prennent enfin leur place et sont reconnus. Et derrière ça, il y a un réel travail des attachés de presse et des festivals qui cherchent à mettre en valeur des artistes émergents de chez nous. Tout ça est nouveau et je pense lié d’une certaine manière aux plateformes comme Spotify qui nous permettent d’être écoutés et de gagner un peu mieux notre vie grâce à la musique. On n’est plus à l’époque des téléchargements illégaux et ça change la donne !
Dans toute cette émulation, on voit émerger des artistes qui mettent un point d’honneur à créer un vrai univers autour de leur musique, c’est ton cas… C’était ton envie dès le départ de sortir du cadre auteur-compositeur-interprète pour aller tisser tout une dimension supplémentaire ?
Absolument, pour moi c’était hyper important ! J’avais dès le début cette idée de concept ; comme Stromae qui pense tout de A à Z, sans rien laisser au hasard. Puis, tout ce qui se rapporte à l’image m’a toujours passionnée : j’ai réalisé un court-métrage, j’ai écrit deux scénarios, même s’ils sont toujours dans mes tiroirs. Bref, j »ai toujours eu cette envie ancrée en moi, donc quel plaisir de pouvoir mélanger ça avec ma musique !
On imagine que cet univers visuel, tu aimerais un jour l’emmener avec toi sur scène.
Évidemment, l’envie est là, j’espère qu’un jour je pourrai la matérialiser ! Pour le moment, je la laisse un peu de côté parce que mettre ça en place avec un demi-budget, ça risque de ne pas faire très propre. Et moi, j’aime bien quand tout est clean. Par exemple, Oscar and the Wolf ou Loïc Nottet mélangent la danse et la musique sur scène, ils font ça très bien, je les admire, mais faire ça sur la scène de la Rotonde au Botanique, ça risque de ne pas donner la même chose ! Pour le moment, je préfère mettre toute mon énergie dans ma prestation, mon interprétation et tout le côté musical du concert avec la batterie, les guitares…
Et justement, tu as eu l’occasion de faire un premier concert avec cet album, c’était au Botanique, la semaine passée…
C’était un moment unique et très spécial, car une pour une fois, les gens étaient vraiment là pour moi. Ce n’était pas comme en festival où les gens passent et écoutent distraitement. C’était très chouette aussi d’avoir le retour des gens après le concert. J’avais fait cinquante albums spéciaux pour ce jour-là, en papier recyclé et écologique, quelque chose de très épuré, et ils sont tous partis. C’est la preuve que les gens ont bien aimé, leur retour ont été positifs donc que demander de mieux ?
Tu viens d’aborder un de tes combats qui est celui de l’écologie. Outre, les albums en papier recyclé, tu as également une marque de vêtements éthiques. C’est vrai que nous sommes d’une génération bercée par l’urgence climatique, mais qu’est-ce qui t’a donné l’envie de t’engager dans cette voie ? Tous les artistes ne le font pas…
Je pense que ça a commencé avec ma maman. Elle cultivait des légumes bio, mais à ce moment-là, j’étais à Paris et je m’en fichais un peu. Et puis, un jour, j’ai lu quelques articles sur l’effondrement et ça m’a fait paniquer ! C’est plutôt angoissant quand on commence à s’y intéresser et je suis passée par une étape de grand stress, j’avais envie de faire plein de réserves… Sauf que je me suis aperçue que ce n’était pas la solution et qu’en fait il y a plein d’autres choses à faire aujourd’hui pour petit à petit aller vers le mieux. Parce qu’on ne peut pas tout changer radicalement, le jour où ça arrivera, on en sera forcé, mais en attendant, il y a plein de choses que l’on peut faire au quotidien. Forcément, dans mon projet, j’essaye de penser à ça et de développer le merchandising avec des vêtements en coton bio par exemple qui sont issus d’un responsable aussi au niveau des travailleurs. C’est made in Bangladesh, mais dans le respect des travailleurs et de l’environnement. Je me voyais mal proposer des trucs en plastique avec marqué Charlotte dessus, ça n’avait aucun sens pour moi !
Et en plus de ça, tu chanteras à la marche pour le climat ce dimanche 31 mars.
C’est vrai ! Ça faisait plusieurs fois qu’ils me l’avaient demandé et j’ai accepté parce que c’est hyper important. Même si c’est vrai que les gens viennent en masse et qu’on ne sait plus trop pourquoi on marche. Mais je pense qu’après, c’est à nous de transmettre les bons messages et de nous demander pourquoi on est là. Moi, je suis persuadée qu’on peut changer les choses individuellement plutôt que d’attendre que les politiques fassent quelque chose. Je pense que nous pouvons avoir un réel impact sur le monde en changeant ses habitudes, par exemple, je suis végétarienne, je mange mieux, plus de légumes… J’aime bien le mot « consommacteur », ça résume bien l’impact que l’on peut avoir uniquement par notre consommation. Si déjà on décidait de ne plus aller dans les supermarchés, rien que ça, c’est énorme !
Dans notre monde actuel, l’un des grands mouvements qui fait rage face à l’écologie, c’est celui du féminisme. On sait qu’en dépit de toutes les femmes qui font de la musique, il n’y en a que 25% de femmes qui parviennent à être affichées aux côtés de monstres masculins. Ça commence à bouger peu à peu, mais comment as-tu pris ta place dans cet univers difficile ?
C’est vrai que ça bouge un peu, on voit que les festivals font de plus en plus attention à la parité, il y a une vraie envie de rééquilibrer la balance. Au-delà de ça, je n’ai jamais vraiment ressenti de défaveur au fait que je sois une femme. Il y a beaucoup d’artistes engagés dans cette voie, comme Rive par exemple ou Angèle. Personnellement, je trouve que l’urgence du monde n’est pas dans le féminisme, mais plutôt dans la survie de l’être humain. Je préfère me tracasser de ça pour le moment, mais je suis tout à fait d’accord avec tout ce qu’il se passe ! Il y a un équilibre à retrouver, c’est évident.
Et au-delà de tes engagements écologiques, ton album nous présente des messages plus vastes encore. Force et amour, n’est-ce pas ?
Il y a les combats écologiques, c’est vrai, mais il y a aussi les combats de la vie de tous les jours. Je suis quelqu’un qui a eu beaucoup d’épreuves et de bâtons dans les roues, comme beaucoup d’autres, et ça m’a donné cette force que j’ai eu envie de partager. J’avais envie de montrer qu’on est beaucoup à se battre et qu’ensemble, on est plus fort. Regrouper les gens dans nos beaux côtés humains, c’est important. L’amour aussi, parce qu’il y a des chansons qui parlent d’une rupture amoureuse que j’ai traversée pendant la composition de l’album. Force et Amour, c’est un mélange de toutes ces choses.
Dans « Aube », le morceau qui ouvre ton album, tu parles de notre vieux monde usé et de la difficulté qu’on peut avoir à y insuffler du sens. C’est finalement un problème qu’affrontent beaucoup de jeunes aujourd’hui. On dirait que ta réponse à ce monde insensé, c’est la création et la musique.
C’est un peu ça ! D’ailleurs, dans une précédente interview, on m’a demandé : « Pourquoi tu ne te lancerais pas en politique, tu as l’air engagée, c’est ce qu’il faut ! ». Mais, ce n’est pas dans ma vision, je pense qu’en tant qu’artiste, on peut aussi avoir cet impact, cette influence positive sur les gens. Peut-être même beaucoup plus qu’une personnalité politique, on voit bien qu’en ce moment, ils n’ont plus trop la bonne figure.
D’autant plus qu’en politique, la parole est bien souvent bridée, là où un artiste pourra faire passer plus de messages, directement ou indirectement au travers de son art.
Moi en tout cas, je me sens totalement libre de dire ce que je veux ! Et je pense que c’est urgent de parler, de faire passer des messages, que ce soit sur l’écologie ou sur l’importance de se rassembler ! C’est aussi plus accessible en chanson que si j’allais me planter sur scène pour parler pendant des heures. Parce que dans une chanson, ce qui est magique, c’est que l’on peut enrober notre propos et rendre agréable quelque chose qui ne l’est pas forcément.
On sait bien que lorsque l’on t’écoute, ce ne sera pas tout à fait du sea, sex and sun ! Quels sont les retours des gens par rapport à cet engagement ?
Sauf peut-être sur « Je plane », mais ça ne reste qu’une seule chanson sur quinze ! Donc c’est clair qu’on ne vient pas trop pour rigoler, on parle de choses sérieuses, mais j’essaye par la musique de contrebalancer ça et de donner cette légèreté pour qu’on puisse quand même s’évader. Et forcément, les gens derrière sont très contents de pouvoir entendre de vrais textes.
De vrais textes que tu écris toi-même. Quelles sont tes inspirations lorsque tu te plonges dans l’écriture d’une chanson ?
J’adore les personnes qui sont marquées par les aventures de la vie, c’est très inspirant pour moi de les regarder. Je suis très observatrice depuis toute petite et je suis inspirée par les choses qui font mal et qui laissent une empreinte sur les gens. C’est vrai qu’en écrivant, je me replonge dans des états un peu sombres, mais une fois que c’est écrit, il y a un effet de relâchement instantané. Sur le moment, je préfère aller puiser les mauvaises choses, les ressortir, pour après me sentir plus légère. Et je n’ai pas peur de ces moments où il faut aller fouiller bien loin dans ce qui nous fait mal. C’est une force d’oser regarder ça en face et de pouvoir ensuite tourner la page.
Ton premier album est donc sorti depuis une semaine, il fait sa vie maintenant. Comment projettes-tu la suite à présent ?
C’est sûr qu’on se projette un peu quand même, même si j’essaye de rester dans le moment présent, sans me poser trop de questions. Hier, j’ai discuté avec Nico D’Avell avec qui je fais toutes mes musiques et cet été, on fait le deuxième album, c’est sûr ! On est très motivés ! Pour le premier album, on avait en tête de faire dix titres et puis au final on en était à quinze ; il a bien fallu s’arrêter ! C’est très chouette parce qu’on a une très belle complicité tous les deux et on est de plus en plus efficaces. Maintenant, en un jour on a une chanson, c’est top. Par exemple, « Je Plane » a été faite en quatre heures et j’ai écrit les paroles pendant qu’il était aux toilettes !
Un deuxième album, mais avant des concerts qui arrivent… Notamment une date à Namur, au Saint-Louis Festival.
Exact, le 27 avril et puis je serai aux Francofolies de Spa, le 19 juillet, sur une scène plus grande que l’année dernière. Puis un peu plus tard, le 6 novembre, je serai au Cirque Royal avec Mustii pour les Nuits du Soir.
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
La santé ! Et puis que l’album prenne son envol et touche un maximum de gens !
Merci, Charlotte, pour cette belle rencontre !
Charlotte, « Force et Amour »
Sortie le 22 mars
En concert le 17 avril au Saint-Louis Festival et le 19 juillet aux Francofolies de Spa
Un commentaire