Étincelant, bouillonnant, inimitable, impérissable, les mots ne manquent pas et manquent à la fois pour qualifier la prestation bruxelloise de cet éternel ado aux traits pourtant bien marqués qu’est Robert Charlebois. Durant deux dates, à la faveur du soir, le Québécois visitait les Belges, fin de semaine dernière. Au pays de la bière qui lui est chère, l’enfant terrible à la voix d’or a fait un cirque… royal comme dans son salo(o)n ! « La mer continue de monter », Charlebois reste insubmersible.
Jeudi soir, le Cirque Royal se remplit d’une foule diversifiée. Devant un moi, un sosie de Keith Richard aux couleurs hawaïennes débarque à un moment où résonne une bande-son de circonstance. Il n’est pas venu seul, c’est une expérience en trois dimensions et trois générations qu’il s’apprête à vivre avec ceux qui semblent être ses enfants et ses petits-enfants. Avant même d’entrer en scène, Robert Charlebois est déjà fédérateur.
Et à voir son attitude sur scène, dès que résonnent les premières notes de la Complainte du phoque en Alaska, le trublion échevelé se sert de son charisme et de ses belles dispositions à jouer la comédie pour charmer les grands et, encore plus, les petits qui regardent en coin ce drôle d’animal avant d’en devenir les complices. Au fond, c’est finalement très didactique et ludique pour des enfants d’aller voir un monstre sacré d’une telle pointure : une bonne première approche humoristique, dynamique mais aussi poétique d’un moment live, de bon live. Sans être chanteur pour « flots » (vaut mieux dire ça, dit-on, que de parler de gosses, on vous laisse aller voir la définition), Charlebois, en bon-papa turbulent, a aussi tout pour séduire les têtes blondes.
Bref, revenons à ce pauvre phoque en Alaska qui, si ce bon Robert l’a apprivoisé, est avant tout propriété du groupe Beau Dommage contrairement à une vieille croyance populaire. Et notre chanteur toujours en verve d’expliquer le pourquoi du comment : « En France, on dirait qui savent pô ! (…) Depuis quarante ans, le monde m’arrête sur la rue : ‘Monsieur Charlebois, on aime toutes vos chansons, ma femme a tous vos disques… surtout le phoque en Alaska. Ah ça, c’est ce que vous avez écrit de mieux. Et de loin. » Puis de prendre l’accent du sud : « Nous sommes venus vous entendre à l’Olympia, de Marseille, et vous n’avez pas chanté la complainte du phoque ! » « Au bout d’un moment, tu baisses les bras et tu dis: What the fuck! » Rire général. « La cagole, elle dit : ‘on pensait que vous, qui venez du Québ…, du Cana…, du Canabec, vous défendiez la langue française mieux que King Kong’. Moi, j’ai dit : ‘Mais, madame, dans What the fuck, il n’y a pas un seul mot d’anglais. Quand j’étais petit, les esquimaux se nettoyait les oreilles avec de la ouate de phoque. » Tel un Cyrano, lyrique : « Au Québec, quand il neige, on dit qu’il pleut de la ouate de phoque. »
Parenthèse comique refermée, pour mieux y revenir plus tard, Charlebois laisse les Marseillais là où ils sont, se remet au piano avec le doigté et la légèreté d’un gamin virtuose et nous chante son Sud à lui, « Je reviendrai à Montréal ». C’est divin, tellement habité et souriant. Solaire. « J’ai besoin de cette lumière descendue droit du Labrador »… Et nous, donc.
De quoi augurer un tour de chant formidable dans un répertoire tissé de joyau en joyau pendant cinquante ans, au fil d’une voix parmi les plus belles de la scène francophone. Capable de douceur (Avril sur mars) dans un premier temps qui ne durera pas. « Dans vingt minutes, ça va rocker très fort, vous allez saigner du nez ». Avant ça, les femmes et les cylindrées mènent la danse, Conception, Dolorès, Les talons hauts (écrits avec Luc Plamandon), Les Ondes permettent à notre idole du jour (et de la vie) de prouver sans forcer qu’il est toujours une bête de scène remuante et faisant quelques kilomètres sur la scène. Puis, sans besoin d’ouate hémostatique, Charlebois et ses cinq musiciens déménagent dans ce Cirque qui a pris des airs de saloon. On imagine, dans cette salle, que chaque membre porte un Stenton. Qui vole sans relâche en effusions de joie… pas de sang. Le galop de cet inébranlable cowboy soulève la poussière mais pas de bagarre à l’horizon. C’est bon enfant, on est comme des gamins, Charlebois aussi. Insaisissable, blagueur, faussement prétentieux, vraiment modeste malgré l’envergure. Des Ailes d’un ange et une allonge de boxeur. Comme sur le retentissant J’t’aime comme un fou, le plus eighties (Van Halen pourrait y faire aller sa guitare, on n’y verrait que du feu sur cet autre texte de Plamandon) des titres proposés ce soir qui se muera en séance d’aérobic façon Davina et Véronique. Quand on vous dit qu’un concert de Charlebois (et duquel on se chauffe), c’est sportif.
Au fil des minutes qui filent à toute allure, le répertoire revendicateur n’est pas oublié, Lindberg, de même que quelques nouvelles chansons. Un hommage insomniaque à un Johnny qui n’est pas loin, une fantastique variation au pays des livres prouvant que l’artiste pourrait réciter le bottin et y trouver une émotion intacte et naturelle. Il y aura aussi et forcément Ordinaire, ce fabuleux morceau de courage et de dépouillement que seul Charlebois est capable d’interpréter. Ce morceau-là, certains ont essayé d’en faire une performance qui déboîte tout. Robert, c’est par l’émotion qu’il fait la performance, la profondeur, l’humanité. Quelle claque, quelle magie.
Puis, il y a Et voilà, chanson-titre du nouvel album, choisie pour le rappel et sorte de suite à Ordinaire, constat dépassant l’homme pour ausculter celui-ci autant que le monde qui l’entoure. Un autre moment-phare pour un concert qui aura été d’une lumière intense et tellement réconfortante. Charlebois, c’est un cadeau, un gâteau savoureux sur lequel cinquante bougies sont soufflées en un rien de temps. Immortel qu’est ce personnage haut en couleur. Pas besoin de ouate de phoque, mais que d’watts développe ce titan !
Quelques minutes plus tard, le chanteur, pas rassasié de contact avec son public, arrivait, Jupiler à la main, pour une séance décontractée, intarissable d’anecdotes.