Jeune trentenaire, Tony Valente est un surdoué de la bande dessinée qui vient de rejoindre le microcosme très fermé que représente l’élite des mangakas japonais. Avec Radiant, il livre l’un des shonen les plus prometteurs de ces dernières années. Pour un petit Frenchy, c’est plutôt pas mal. Simple et accessible, il était de la partie lors de la dernière édition de Made in Asia à Bruxelles. J’ai pu rencontré ce sorcier. Foi de Seth, à sa lecture, vous ne risquez pas une claque mais bien une « Mandale du Titan ». Interview.
Radiant, ça commençait ainsi : « Seth est un aspirant sorcier de la région des des Pompo Hills. Comme tous les sorciers, c’est un « infecté » : un des rares êtres vivants ayant survécu au contact des Némésis, ces créatures tombées du ciel qui contaminent et déciment tous ceux qu’ils touchent. Son apparente immunité lui a fait choisir une voie qui lui semblait toute désignée : devenir Chasseur et combattre les Némésis. Mais plus que ça, Seth souhaite s’engager dans une quête qui dépasse la simple chasse aux monstres… Il veut trouver le Radiant, leur berceau présumé. Entouré d’une faction de sorciers, il parcourt le monde à la recherche du Radiant, sous l’oeil terrible de l’Inquisition.
Bonjour Tony. Radiant, c’est le premier manga français publié au Japon. Comment avez-vous vécu cette consécration?
C’est plaisant et inattendu, c’est une belle surprise. Comme c’est tellement compliqué d’exporter un manga sur les terres japonaises, je n’en attendais rien. Je voyais juste ça comme un bonus. Finalement, ça a débouché sur quelque chose d’encore plus énorme. Et c’est encore plus chouette.

Outre la traduction, y’a-t-il eu des changements d’une version à l’autre ?
A priori, non. Je ne sais pas lire le Japonais et suis bien en peine d’identifier exactement les différences dans les dialogues. Par contre, certaines choses ne passent pas du tout, comme les barbarismes. Les caractères japonais ne se prêtent pas à mes inventions de mots. La traduction littérale à cause de l’alphabet japonais est techniquement impossible. Et certains jeux de mots, également, doivent être adaptés: nous n’avons pas les mêmes références. Les traducteurs intègrent les jeux de mots là ou moi je les avais imaginé.

Au fil de votre oeuvre, vous faites pas mal de petits clins d’oeil à Naruto ou à Dragon ball (le livre dans le C.U.L les 4 princes et le personnage de Mélie a une petite ressemblance avec Launch). Ces deux bandes dessinées sont-elles des références pour vous?

Oui, il m’arrive de faire des références à d’autres mangas dans mes oeuvres. Mais, pour le coup, dans Radiant, je n’en ai fait aucune. Le personnage de Mélie ne devait pas ressembler à Launch. C’est tout a fait fortuit. En créant ce personnage, je voulais que les deux facettes de la personnalité de Mélie soient bien marquées, avec une prédominance de son côté énervé. Hélas, ce personnage ressemblait fort à Alma, autre personnage de mon univers. Du coup, je me suis dit que je devais y arriver par épisodes. Et une fois l’album fini, on m’a fait la même remarque : Mélie ressemblait à Launch. Si je l’avais vue venir, j’aurais fait les choses différemment. Mais ça m’a embêté: j’adore Dragon Ball et je n’aurais pas fait quelque chose d’aussi proche volontairement.

La colorisation des 4 princes ainsi que les couvertures sont de toutes beautés (dans le choix des couleurs, le soin apporté). Les code du manga et le dessin en noir et blanc ne vous frustrent-ils pas trop?
C’est l’inverse, je n’aime pas faire de la couleur. Cela dit, j’aime le résultat que cela donne. Au début du processus, j’aime bien puis, au bout de deux jours passés sur ordinateur, je deviens fou. Je m’amuse sur les couvertures, les pages en couleurs, posters, car c’est ponctuel. Mais le noir et blanc recueille mes faveurs: je raconte juste mon histoire et je peux aller plus vite… et je ne vais jamais assez vite à mon goût. Pour réaliser ce manga, si je devais mettre tout en couleur, j’y passerais cinq fois plus de temps .

Radiant est maintenant disponible en anime. Travaillez-vous aussi sur son format vidéo? Et si oui à quel niveau?
Je suis impliqué dans la production comme consultant. On m’envoie le script que je corrige. Parfois, on me demande de réaliser tout le design. Comme dans l’épisode trois, dans lequel il y a un flash-back sur Alma et Seth. Ils avaient besoin de montrer comment je les voyais à cette époque-là. Pour le reste, je n’interviens pas, je leur fournis mes planches et eux retravaillent le storyboard.
Radiant vous prend pas mal de temps, on ressent dans sa lecture votre énorme implication. Le graphisme, le scénario et l’humour sont vraiment au top. Est-ce que vous avez déjà pensé à un autre projet?
Tous les projets qui me titillent , je parviens à les mettre dans Radiant. Mais j’ai autre projet de spin-off sur le personnage qui a inspiré l’Inquisition. Je ne sais pas encore si je vais faire un tome sur son histoire ou l’intégrer à une fin de chapitre. C’est le seul projet en dehors de Radiant… qui se rapporte quand même au manga. Et cela viendra enrichir l’univers de Radiant.

Avez-vous déjà une vision de la manière dont vous mettrez fin à cette série? Sur combien de tomes vous projetez-vous ?
Oui, J’ai une idée du nombre de tomes mais je sais où me mène la série. Je n’ai pas peur de la longévité pour la série, je déborde d’idées… même de trop. Mais je veux être honnête et donner le meilleur de moi-même sur chaque tome. Je ne sais pas si j’en ferai autant qu’Eiichiro Oda (ndlr. One Piece, 92 tomes, série en cours), mais je veux aller loin dans la série.

Si vous étiez un héros de manga autre que les vôtres, dans quel univers aimeriez-vous voyager? Un pirate ayant mangé un fruit du démon, un tueur en série accompagné d’un dieu de la mort, un sayan au pouvoir destructeur, un dragon slayer évoluant dans une guilde ?
Je vois les références, mais je n’aimerais clairement pas être un mec accompagné d’un démon. Mais pour l’univers, la manière dont l’histoire est construite et le travail derrière, un pirate qui a mangé un fruit du démon.
Vous apportez beaucoup de soin à votre travail. Comment dessinez-vous, plutôt papier ou tablette graphique?
J’utilise le papier pour les dessins et l’encrage et la tablette graphique lorsque j’utilise la couleur. Pour la trame, j’utile la tablette et, pour ce faire, Je suis aidé depuis le tome 7 par une jeune mangaka: Tpiu.

Comment êtes-vous passé de la BD classique au manga? Faut-il changer ses réflexes ? À quoi faut-il penser ?
Il y a beaucoup de choses qui changent. Tout d’abord, comme je l’expliquais, le fait de travailler sans de couleur est un confort pour moi. Mais cela induit qu’il faut que l’on comprenne l’histoire en noir et blanc. Les dessins doivent être plus poussés. Quand je travaillais à la couleur, je faisais le contour au crayon puis le reste à la couleur: mon trait était pauvre. Comme quand je réalise mes couvertures. J’ai dû ajuster mon dessin. N’étant plus obligé de coloriser les planches, j’ai plus de place pour faire ce que j’aime le plus: RACONTER. Et ma manière de faire se fond parfaitement dans le format du manga.
Votre parcours est exceptionnel, que diriez-vous à un (ou une) jeune dessinateur qui voudrait devenir mangaka?
D’abord, qu’il faut avoir beaucoup de chance. C’est tellement difficile de percer dans ce métier que la chance a une place importante dans une carrière. Il faut aussi se donner à fond car sans travail on y arrivera pas. Mais il ne faut pas produire pour produire, il faut travailler avec beaucoup de sincérité. Si on y met le plus de passion possible et si on est le plus intéressé par notre histoire, il y a des chances pour qu’on le fasse au mieux. Il faut rester dans un domaine que l’on connait bien. Qui connait mieux notre univers que nous?

Bien sûr, vous pourriez partir sur quelque chose que vous ne connaissez pas mais il faut s’y intéresser et être passionné par ce qu’on veut raconter. Et alors seulement, si on y a mis tout notre coeur, peut-être que la chance sera la. Voila ce que j’ai fait et d’autres avant moi. Si on ne fait pas les efforts, cela ne fonctionnera pas.
Est-ce plus facile aujourd’hui de vivre du manga que de la BD ?
C’est la même merde! La plupart des auteurs de BD ou de manga vivent sous le seuil de pauvreté. Si on n’a pas une série qui marche, on galère. D’ailleurs, beaucoup ont un travail sur le côté car il est impossible de vivre à temps plein de son art. Et quand on a la chance de décrocher un contrat, on doit encore se battre pour nos droits. Dans mon cas, je défends mes contrats au maximum et je partage mes informations. Chaque fois que je parle avec quelqu’un qui en fait ou qui veut en faire, je lui dis ce sur quoi j’ai insisté ou je lui montre mes contrats. Si tout le monde partage ce genre d’information, on fera avancer notre profession. Ça nous permettra de tous être plus ou moins sur un même pied d’égalité. Beaucoup d’auteurs que j’ai questionné ne voulaient pas communiquer sur ce sujet.

Malgré tout, je leur ai dis ce que j’avais obtenu et ça les a aidé. Mais il faut faire attention au type de contrat que l’on signe. Pour garder mon autonomie artistique, j’en ai refusé… même si j’ai eu difficile à gagner ma vie. Mais, c’est grâce à ces choix que j’ai pu avoir de bonnes conditions de travail. Et j’ai trouvé mon équilibre. Maintenant, si on signe un contrat pourri, il ne faut pas venir se plaindre. J’ai préféré dire non à certains pour travailler sur mon projet. Radiant ne serait pas sorti si je n’avais pas eu mon équilibre, je ne voulais pas brader mon art.
Je tiens à remercier les éditions Ankama et Tony Valente pour m’avoir accordé cette interview sur leur magnifique stand aux couleurs de « Radiant ».
Tome : 11
Scénario et dessin : Tony Valente (assisté par Tpiu)
Genre: Fantastique, Shonen
Éditeur: Ankama
Nbre de pages: 169
Prix: 7,95€
Date de sortie: le 22/02/2019
Extraits :