Des couvertures qui se ressemblent et s’assemblent #4 À la file indienne, indienne, aveuglés par la puissance d’une religion obscurantiste, entre innocents et sorcières

Dans le panorama de livres que peuvent proposer une rentrée littéraire et la publication de dizaines d’albums de bande dessinée par semaine, les couvertures doivent se diversifier, jouer sur les tons et les formes, parfois se laisser avoir par les modes ou briller d’une imagination folle. Puis, parfois, certaines se rejoignent, se recoupent dans ce qu’elles laissent entrevoir de l’histoire, cette partie immergée de l’iceberg. Pourquoi choisir quand on peut comparer des styles, des récits qui forcément s’échappent de la même porte d’entrée par laquelle on est arrivés. Notre topic se clôture doucement (mais reprendra de plus belle si l’occasion se représente), une nouvelle fois avec des enfants, innocents, naïfs, que peut-être on a voulu émanciper socialement et en faire des adultes trop tôt ou qui peut-être ont voulu grandir avant l’heure mais n’avaient rien fait que pour être croqués à ce point par le monde des grands, fanatiques et obnubilés par de sombres desseins. Des récits qui ont traversé les époques pour arriver jusqu’à nous. Entre obscurantisme et aveuglement.

Précédemment : Des couvertures qui se ressemblent et s’assemblent #1 pour faire la part belle au courage et à la révolte des femmes : qu’elle soit Dolma du Tibet ou Phoolan Devi d’Inde

Précédemment : Des couvertures qui se ressemblent et s’assemblent #2 pour crier gare au gorille et ausculter ce mythe du cinéma, des villes et forêts lointaines et menacées 

Précédemment : Des couvertures qui se ressemblent et s’assemblent #3 Des enfants, avec des fusils trop grands…

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© Thomas Gilbert chez Dargaud

La croisade des innocents, les marionnettes du Christ

Résumé de l’éditeur : À travers une aventure teintée de moments légers, poétiques et graves, La Croisade des Innocents propose une réflexion sur la nature humaine et la religion. Début du XIIIe siècle. Colas, douze ans, vit dans un climat de pauvreté et de terreur. Un jour où il craint la violence paternelle, il décide de s’enfuir et trouve refuge dans une brasserie parmi d’autres enfants exploités.
Un soir d’hiver, Colas a une vision : Jésus lui apparaît, et lui ordonne d’aller délivrer son tombeau à Jérusalem. Avec l’aide de son ami Camille, il réussit à convaincre les autres enfants de constituer une croisade : sans adultes, sans puissant chevalier, ils arpentent les routes, persuadés que, grâce à leurs coeurs purs, rien ne pourra leur arriver… Une histoire de croyance, une histoire d’enfants… L’histoire de La Croisade des Innocents.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

C’est dans la nuit, quand la pleine lune éclaire le chemin, que commence cette histoire et cette couverture qui, profitant d’un tronc d’arbre penché au-dessus d’un fossé qui a avalé un doudou égaré, entraîne six enfants à l’aventure. Dans un effet presque chronophotographique pour mieux découper le mouvement de la fuite, Chloé Cruchaudet cultive le mystère et profite de l’obscurité de son illustration pour nous mêler à ses jeunes aventuriers, dans le même bain.

Nous voilà déjà complices et témoins incapables de ces héros en herbe et peut-être en toc avant même d’en avoir vu le bout du nez, au-delà de leurs ombres intrépides. À travers les temps et près d’un millénaire, ces ombres ont connu plusieurs vies dans la culture populaire, en films, en livres mais aussi par le dessin avec Gustave Doré et, désormais, Chloé Cruchaudet.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Maniant les couleurs sommaires pour mieux imbiber les ambiances, Chloé Cruchaudet nous plonge dans un graphisme fascinant, oscillant entre apparente facilité et sens du détail et du l’Histoire. narre la fin de l’innocence face à l’océan de tous les rêves. Sans vous en dire plus, cette aventure se tisse par les rêves enfantins d’un monde meilleur et les raves ensanglantées d’un monde déjà gangrené. Car s’ils suivent une prétendue étoile comme des rois mages en Galilée (c’est d’époque), que l’effet de groupe compose quelques bons moments, le doute vient très vite s’immiscer sur la route semée d’embûches de cette drôle de compagnie. Une route qui passe à travers bois, au fil des saisons et des pays, entre chiens et loups mais ne trouve nul autre ennemi plus féroce que le propre de l’homme.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Mettant ses enfants à rude épreuve, Chloé Cruchaudet aime à introduire et à dissiper l’histoire, planche après planche, dans une fable et un récit initiatique éminemment contemporain. Glaçant mais témoignant une fois plus de la violence de la religion sur les esprits et du dysfonctionnement de certains hommes tout aussi prêts à vendre leurs mères que « leurs » enfants. Le récit de Chloé Cruchaudet est intact de cruauté mais aussi d’aventure et de valeurs nuancées par la folie de quelques-uns. Une baffe, une claque.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Série : La croisade des innocents

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Chloé Cruchaudet

Genre: Aventure, Drame, Histoire

Éditeur: Soleil

Collection : Métamorphose

Nbre de pages: 184

Prix: 19,99€

Date de sortie: le 17/10/2018

Extraits : 

Les filles de Salem, obligées d’être « sorcières » pour exister en tant que femmes libres

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : Colonie de Salem, Nouvelle-Angleterre, au 17e siècle. Un village dont le nom restera tristement célèbre pour l’affaire dite des « Sorcières » qu’Abigail nous raconte, elle qui, à 17 ans, fut une des victimes de l’obscurantisme et du fanatisme religieux à l’oeuvre. Tout commence quand un jeune garçon lui offre un joli petit âne en bois sculpté…

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Sur cette couverture, là encore, un tronc d’arbre incroyable et un brin fantastique sert de pont au-dessus d’un ravin à quatre héroïnes. Thomas Gilbert prend encore plus de recul que Chloé Cruchaudet sur ses héros mais la clarté blafarde aide à distinguer ces quatre filles qui remontent leurs jupons mais semblent déterminées à rallier l’autre flanc de ce décors mêlant verdure et rocaille. Pour le moment, ce monde est calme, à l’abri de la tyrannie des hommes, des dieux et de ceux qui croient comprendre ces derniers.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Entre deux sagas (Bjorn le Morphir et, désormais, le second cycle des Royaumes du nord, tous deux adaptés de classiques de la littérature), Thomas Gilbert livre un roman graphique confondant dans une Nouvelle-Angleterre en proie aux plus viles croyances : la religion par laquelle on fait tout dire et on pose un joug totalitaire sur les épaules dociles de braves gens qui ne savent pas quelle arme peuvent forger leur crédulité et la fatigue des longues journées de labeur.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Réinventant l’imaginaire et l’horreur que le simple nom de Salem évoque, Thomas Gilbert refait le procès, le bon, d’une société en déliquescence et menée par des gourous fous de Dieu et de sa Sainte Bible qui suinte le sang prêt à couler. Au milieu de ses considérations, Abigail et ses amies de plus ou moins bonnes familles tentent de grandir, de conserver l’insouciance de l’enfance. Pourtant, rien ne se passera comme prévu et nos héroïnes vont très vite faire les frais de traditions semblant immuables. Car dès que l’un ou l’autre garçon s’intéresse à elles, le piège se referme sur leur condition de femmes rabaissées et réduites en esclavage. Une sorte de tache noire, une malédiction qui vous touche dès que vous naissez sous le signe du mauvais sexe. Mais Abigail and co n’entendent pas se laisser faire, mûries dans l’espoir qu’au plus profond de la forêt un autre monde est possible, plus sauvage et plus libre.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

Dans ce récit où la sorcière n’est qu’un thème pour rallier des villageois à sa cause religieux quand on est un pasteur en manque de fidèles, Thomas Gilbert renverse la vapeur et ausculte en profondeur cette communauté malade et en pleine dégénérescence mais trouve aussi des ponts vers ce que nous vivons en 2018, quand les femmes ne sont pas toujours et toujours pas égales à l’homme. Au fanatisme, également, qui cautionne quasiment tous les crimes. Le récit que propose Thomas Gilbert est d’une beauté éclatante, d’une promesse vibrante de se battre contre les injustices et la force des mâles testostéroinés par des croyances erronées. Salem a sale mine.

© Thomas Gilbert chez Dargaud

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Et en bonus, quelques illustrations et tests réalisés par Thomas Gilbert et glanés sur Facebook. Ça avait déjà de la gueule d’atmosphère et d

Série : Les filles du Salem

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Thomas Gilbert

Genre: Drame, Histoire

Éditeur: Dargaud

Nbre de pages: 200

Prix: 22€

Date de sortie: le 17/10/2018

Extraits : 

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