Attention, c’est du sérieux ! Depuis qu’il est passé un peu plus auteur complet sur des one-shot qui vont droit au cœur, Bruno Duhamel a donné un solide coup de volant à sa trajectoire bédéaste. Après un Retour à tomber, c’est tout un monde en équilibre très instable que l’auteur nous emmène voir du côté des côtes normandes, à Trousmesnil. L’occasion de rencontrer Madeleine, une nonagénaire plutôt bon pied que bon oeil puisque la pauvre est née aveugle. Mais, que voulez-vous, toute sa vie elle a fait avec et il n’est pas question pour elle de quitter sa chaumière, même perchée sur une falaise qui s’affaisse.
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Résumé de l’éditeur : Troumesnil, Côte d’Albâtre, Normandie. La falaise, grignotée par la mer et le vent, recule inexorablement de plus d’un mètre chaque année, emportant avec elle les habitations côtières. Le maire du village parvient pourtant, tant bien que mal, à en protéger les habitants les plus menacés. Tous sauf une, qui résiste encore et toujours à l’autorité municipale. Madeleine, 95 ans, refuse de voir le danger. Et pour cause. Madeleine est aveugle de naissance.

Après avoir fréquenté le désert et la poussière dans sa précédente aventure, c’est dans l’air frais et vivifiant de la Normandie que Bruno Duhamel nous revient. Plus près des pistes qu’il suivait enfant. Qui sait, peut-être même que le natif de Mont-Saint-Aignan a croisé cette Madeleine dans sa tendre enfance ? Sur la plage, au marché, dans les chemins sinueux et vertigineux qui voient se confondre la terre et la mer.
Et d’ailleurs, cette confusion, sur le plan rapproché avec fracas, ça donne des sueurs froides au maire qui ne voudrait pas voir son administrée faire son dernier voyage en mode piqué forcé sur les galets. Pour gagner six pieds sous terre, c’est peut-être expéditif mais ça ne pardonne pas. Et la responsabilité de cette mort dramatique incomberait au maire.

Mais bon, Madeleine, c’est un village qui résiste encore et toujours (vous connaissez la suite, bande de bédéphiles) et on ne la désarçonne, on ne la décramponne pas de sitôt. Il faut dire que sa maison et le gros chat qui y vit attendant ses repas servis à intervalles irréguliers, c’est tout ce qu’il reste à Madeleine dont le mari, son Jules, a disparu en mer. Loin de la terre, loin des yeux (il était moche mais notre veuve s’en foutait, qu’est-ce qu’ils s’aimaient) mais toujours près du coeur, à chaque recoin de cette cahute bombardée par les vents, à chaque phrase qu’elle lui dédie. Jules fait partie des meubles et si elle devait les quitter, Madeleine préfère encore sortir les grenades que feu son mari avait pris goût et danger de collectionner.
Mais avant que tout vole (ou ne vole pas, d’ailleurs), Bruno Duhamel prend le temps d’aller à la rencontre de ce bout de femme à qui le temps n’a pas volé la désinvolture. Dans son incarnation, on pense que ça aurait pu être un beau dernier rôle pour une Bernadette Lafont ou une Françoise Bertin. Un rôle en or, dans ce paysage aux quatre vents qui fait passer ce bout de terre avec vue grandiose sur les flots calmes ou déchaînés pour un territoire magique sur lequel les quatre saisons se relaieraient sur une même saison.

Cette bande dessinée aux allures de film (comme souvent chez Grand Angle) mais avec le luxe de prendre la mesure et le temps de l’histoire, c’est une sorte de viager à pas pressé et à pierres désolidarisées. Le décor est planté, le lecteur embarqué, ne reste plus qu’à être témoins de la cocasserie de cette histoire qui touche une nouvelle fois et fait rires aux éclats. Madeleine est sans doute immortelle, toujours est-il qu’après sa rencontre, le souvenir est impérissable.

Titre : Jamais
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Bruno Duhamel
Genre : Comédie, Drame
Éditeur : Grand Angle
Nbre de pages : 54
Prix : 15,90€
Date de sortie : le 10/01/2018
Extraits :
Hâte de le lire !
Éh bien j’espère que tu aimeras autant que moi 🙂