J’avais un peu oublié Jean-Pierre Gibrat. Mea culpa et quelle drôle d’idée car, inévitablement, Gibrat ne s’oublie pas. Par sa bienveillance et un sens inimitable du récit que ce soit par le texte ou par l’image, et dans la communion des deux qui a le don d’ébranler en toute sincérité, en toute simplicité le plus coriace des lecteurs. Et quand il faut du réconfort en cette fin d’année 2017, Jean-Pierre surgit au bon moment, jaillit d’un coin d’osmose pour nous offrir une redécouverte et la suite tante attendue d’une épopée qu’on ne lâcherait pour rien au monde.

Par tous les temps, sans craindre la pluie, les gens honnêtes font bouillir le chaudron de la chaleur humaine

Résumé de l’éditeur : Philippe est un gent honnête. Comme beaucoup d’êtres ordinaires, il mène une vie ordinaire avec des enfants désormais grands, une belle maison, une mère parfois trop envahissante, une existence sans autre accroc que ceux de n’importe qui, en somme. Sauf qu’un jour, un licenciement aux motifs eux aussi ordinaires précipite Philippe dans l’abîme. En un rien de temps, il perd tout et se retrouve à la rue. Un désastre qui lui fera ouvrir les yeux sur la réalité et lui apprendra à voir le monde tel qu’il est : absolument bouleversant.

Quatre saisons (et un peu plus), ça suffit à faire (un peu) le tour des vies dans ce manège incertain qui voit les feuilles se parer de leurs habits de beauté avant de se flétrir un peu plus tard. Dans le tourbillon de la vie cher à Jeanne. Et s’il y a un point de départ et une chute finale, rien ne présage ce qu’il va bien pouvoir se passer dans cette trajectoire où le hasard a son rôle à jouer. Il y avait Vincent, François, Paul… et les autres , voilà Philippe (incarnation bdgénique d’un Michel Vuillermoz dans toute sa puissance), Fabrice, Alex, Fanny, Robert, Camille et les autres. Sans oublier Jean-Pierre et Laurent Durieux en orchestrateurs de cette symphonie aux variations extrêmes, mais mêlant si bien bande dessinée et envolées littéraires (pour les irréductibles qui penseraient que la bande dessinée, ce n’est pas de la littérature, voilà la preuve que c’est bien plus).

Dans cette histoire en quatre actes et fluide au possible malgré ses airs de pavé, entre les péripéties et les moments de bravoures simplement, banalement même, humains; on se dit que ces Gens Honnêtes sont peut-être des cousins pas si lointains des Vieux Fourneaux, qu’il y a dans l’ADN du combo royal Gibrat-Durieux les prémisses du phénomène BD actuel. Après, s’ils sont honnêtes, ils ne se disent pas forcément tout. Comme Philippe, notre héros proche de la banqueroute mais trouvant le toupet d’assurer que tout va bien dans le meilleur des mondes à sa maman. Comme Camille qui préfère partir au loin et laisser une lettre.

Des lettres, il y en a d’ailleurs beaucoup dans cette épopée du quotidien, intime, épistolaire, intense. Une épopée animée par de jolies âmes qui n’ont plus rien à perdre et préfèrent opposer à la lourdeur de l’existence une légèreté de bon aloi. Les gens honnêtes est une affaire de rencontres, dans un train autour d’un business (mais en est-ce quand contre quelques sous, on donne du bonheur aux gens même en leur ôtant quelques tifs), dans le trésor d’une librairie. De départs aussi, parfois.

Ainsi, deux petits tomes et puis s’en va, et Jean-Pierre Gibrat a confié le bébé à Laurent qui, de tout son être comme pour compenser le manque, a fait bouillir le chaudron de la chaleur humaine un peu plus fort pour offrir deux autres tomes qui, balayés par des tempêtes, ont vécu un peu plus fort, au fil des cases qui reprenaient le pouvoir, s’agrandissant sans jamais éclipser la folie littéraire et amoureuse, contagieuse, que Gibrat avait insufflée. C’est magnifique.
Série : Les Gens Honnêtes
Intégrale
Scénario : Jean-Pierre Gibrat et Christian Durieux
Dessins : Christian Durieux
Couleurs : Marmelade et Christian Durieux
Genre : Chronique sociale, Comédie romantique
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
Nbre de pages : 296
Prix : 35€
Date de sortie : le 15/09/2017
Extraits :
Mattéo, d’août à septembre 1936, pas de château en Espagne mais des bastions plus improbables qu’imprenables

Résumé de l’éditeur : À bord de la barque paternelle, chargée d’armes trouvées chez un salopard d’extrême droite, Mattéo et ses deux amis fuient Collioure et la gendarmerie. Ils débarquent à Barcelone dans la confusion : les armes, de fabrication italienne, les rendent suspects aux yeux soupçonneux des républicains. Très vite innocentés, Mattéo, Amélie et Robert proposent leur « bonne volonté combattive ». Combattre ? D’accord. Contre qui ? C’est facile. Mais avec qui ? Socialistes ? Communistes ? Anarchistes ? C’est là où les choses vont singulièrement se gâter. Robert, le communiste, et Mattéo, l’anarchiste, vont diverger dans le choix de leur unité combattante, et c’est leur amitié qui va faire les frais de cette divergence. Robert va partir de son côté, tandis que Mattéo et Amélie vont se retrouver à attaquer le village d’Alcetria, choisi par Mattéo. Alcetria ? Pourquoi Alcetria ?

Collioure, c’est un décor de rêve. La mer à portée de rêve, l’amour à portée de lèvres… enfin, plus vraiment. Mattéo est fou de Juliette qui, elle, semble se désintéresser de lui, happée par les exploits guerriers de son frère d’adoption. Car oui, loin de la quiétude de Collioure bientôt chahuté par le retour en morceaux et en vrac de sa valeureuse jeunesse. Mattéo n’a pas de quoi s’en faire, il est espagnol, fils d’un anarchiste parti trop tôt. Oh, ce n’est pas tant cela qui allait lui donner envie de prendre les armes, au contraire de son esprit têtu et prêt à tout pour épater Juliette. C’est ainsi que Mattéo a pris la route des champs de bataille, parsemée de personnages hauts en couleur.

Avec la sortie de ce quatrième épisode, c’est l’intégrale de la série que j’ai voulu découvrir. Et là encore, Gibrat m’a scotché, ému, passionné. Parce que la guerre, il la fait avec une pincée d’amour-haine et encore et toujours des lettres, celles que là aussi les personnages s’envoient ou celles qui bénissent de tous leurs pouvoirs cette BD aux dessins fabuleux. Mattéo, c’est une cartographie de la guerre qui s’implante dans différents pays selon diverses raisons mais ne laisse personne indemne. Et comme Mattéo, privé d’amour, est libre comme l’air, il va aller voir la première guerre mondiale avant de s’échapper vers la révolution russe, de vivre le bagne (épisode éclipsé par Gibrat), de revenir au calme et au pays dans une France redevenue insouciante, ou plus ou moins, et de repartir de plus belle en Espagne. Celle de 1936, où la guerre civile prend ses marques dans la confusion générale.

Mattéo se faufile, il a vieilli mais n’a rien perdu de ses poussées libertaires et de ses rêves utopiques (vraiment ?). Moins bavard mais pas moins rocambolesque (une traversée du désert mais pas sans liquide qui se révèle être un moment d’anthologie hilarant), conjuguant le comique de situation à des personnages décidément inébranlables, Gibrat fait une nouvelle fois alchimie entre ses mots de poètes et ses dessins de maître, faisant souffler un peu plus un vent épique. C’est de bout en bout magnifique et guère vain.

Tome : Quatrième époque – Août – septembre 1936
Scénario, dessin et couleurs : Jean-Pierre Gibrat
Genre : Histoire, Guerre
Éditeur : Futuropolis
Nbre de pages : 60
Prix : 17€
Date de sortie : le 12/10/2017
Extraits :
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