Renato Baccarat: « J’ai raconté des blagues des Snuls à des Brésiliens, ça n’a pas marché »

Dans un festival comme Esperanzah!, il y a toujours une bonne raison de se glisser dans la lumière de la scène découverte. Cette année encore, les artistes programmés avaient tout pour faire mouche. Et parmi eux, Renato Baccarat nous a attiré. Fruit d’un mélange entre cultures belge et brésilienne, nous nous sommes engouffrés dans son univers varié et ses paroles mêlant poésie, métaphores et propos universel. Interview entre soleil, guitare mais aussi l’actualité brésilienne.

Bonjour Renato, comment vas-tu?

On vient de jouer au Village des possibles, trois petits morceaux. C’est vraiment très sympa, à proximité des gens, dans cette sorte de petit théâtre à la décoration démente. Des dinosaures etc, vraiment très chouette. Ils sont courageux les gars qui ont construit ça. C’est impressionnant.

Ami de longue date, c’est la première fois que tu étais programmé ici?

Oui, la toute première fois. Ça faisait longtemps qu’on avait envie de joue dans ce festival World – dans un sens qui me plaît -, familial, accueillant. Il faut que j’amène mes enfants, une fois! Je suis venu la première fois en 2011, c’est la troisième fois que je viens. Mais jamais je n’avais eu la chance d’avoir mon petit badge. Mais c’est un des festivals que je préfère en Belgique. Par sa position et ce qu’il véhicule, en abordant plein de questions: le TTIP, les réfugiés… Ce sont des thèmes qui m’intéressent, sans me considérer comme politisé ou activiste. Chacun doit mettre son petit grain de sel pour tirer l’affaire dans la bonne direction. Et dans UTZ et les paroles que j’écris, j’essaie de transmettre un message qui ne soit pas évident ni moralisateur mais qui permette de se tourner vers les autres, avec l’accueil, le partage. Des notions très présentes, ici.

Le métissage, aussi. Et ta musique est métissée, on peut le dire.

C’est vrai. En fait, ici, en Europe, on a une vision très identifiée de la musique brésilienne. Mais j’ai des souvenirs qui prouvent qu’il y a plein de musiques brésiliennes différentes. Toujours inspirées de plein d’autres choses. Comme dans les années 70 et le tropicalisme qui s’inspirait du rock, de la pop, de la pop anglaise, des Beatles, tout en mélangeant tout ça avec des racines bossa ou samba. La musique brésilienne, on dit d’elle qu’elle est anthropophage, elle se nourrit et digère d’autres musiques qui l’alimentent.

Donc, dans notre répertoire, il y a des morceaux samba, d’autres très rock et d’autres encore électro. La constante c’est que tout est chanté en portugais et en essayant d’avoir des arrangements riches, héritiers de la bossa nova que j’écoutais depuis tout petit. Mes parents sont brésiliens, mon père musicien. Je trouve que notre musique est dans le ton de ce que beaucoup de musiciens font au Brésil actuellement: Cicéro, Rodrigo Amarante… Ils font une musique très moderne avec des racines très profondes. Avec Utz, on apporte une petite richesse en plus, je pense, en jouant avec des musiciens belges. C’est de l’anthropophagie, en fait.

Il y a aussi cet apport naturel sur a pochette de votre album, non?

Oui, c’était chouette de bosser avec Katherine Longly qui nous avait déjà bien aidés sur les photos du premier album. Pour le deuxième, l’idée était d’illustrer un personnage courant de décor en décor. Dans le livret, il y a d’autres décor. Mais celui de la forêt a été mis en avant, parce qu’on a irrémédiablement besoin de vert. J’essaie de le faire passer à mes enfants. Régulièrement, depuis qu’il est tout petit, mon fils me dit: Papa, il faut sauver la planète!

Je trouve que c’est quelque chose qu’on retrouve en ce festival, c’est une valeur partagée. Le cadre est magnifique, cette abbaye, cette verdure. C’est trop bien.

Avant d’arriver à Floreffe, il fallait arriver en Belgique. Et c’est à 11 ans que tu as fait un grand saut au-dessus de l’océan entre Brésil et Belgique, c’est ça?

Mon père était musicien et est parti du Brésil pour rejoindre une troupe brésilienne qui a tourné dans quasi tous les théâtres d’Europe. On l’a accompagné, nous installant d’abord à Barcelone. Puis Paris. Et un jour, mon père est tombé amoureux de Bruxelles et de la Belgique. Mes parents qui ont toujours été un peu hippies, ça ne leur posait aucun problème de tout arrêter à un endroit pour tout recommencer ailleurs, même avec deux enfants et sans parler la langue. Une énorme aventure, ce sont des super-héros qui n’avaient pas peur de changer de code de la mégalopole de Sao Paulo à Paris. Et on est arrivés en Belgique.

Et toi, qu’y as-tu trouvé?

J’ai grandi ici, il y a plein de choses que je ne lâcherais pour rien au monde. Comme j’ai grandi loin de ma famille, j’ai la chance d’avoir une famille choisie, avec tout plein d’amis. Ce sont mes frères, en fait. Pour mes enfants, ce sont leurs tontons. Puis il y a cette culture aussi. J’adore Rik Wouters par exemple. Le sens de l’humour aussi. C’est marrant car le sens de l’humour brésilien est très particulier et celui de Belgique, aussi. J’ai essayé d’expliquer des blagues des Snuls à des Brésiliens et ça n’a pas marché. Et vice-versa. Mais je n’arrive pas à définir pourquoi, c’est tellement nuancé. Je n’ai pas trouvé la clé.

D’ailleurs, il y a de l’humour dans ton répertoire.

Oui, c’est un peu métaphorique, humoristique. Un des textes du premier album racontait par exemple l’histoire d’un morceau de bois dans une pelouse qui aimerait bien avoir la paix, un peu, pour une fois. Or, il y a toujours quelqu’un pour le balancer, un chien pour l’apporter un peu plus loin… Et ce petit bâton raconte qu’avant il était un arbre magnifique, qu’il pouvait se permettre de regarder les gens de haut. Maintenant, c’est juste un bout de bois, un peu maltraité. Et ça ne finit jamais. Même si c’est une histoire drôle, ça parle aussi d’une certaine condition sociale, des personnes qui voudraient se reposer mais ne le peuvent pas et sont balancés au coeur de conditions sur lesquelles ils n’ont aucune prise.

Un autre morceau du deuxième, Tant d’efforts, parle de ce clou qui soutient ce tableau qui est si lourd. Ou cette étagère de la bibliothèque qui soutient tant de livres et de poids. Le refrain parle donc de ces objets qui sont autour de nous qui font tant d’efforts pour que, pourtant, personne ne les regarde. Regarde la chaise qui nous supporte. Je voulais ainsi parler de toutes ces personnes autour de nous, qui travaillent pour que tout fonctionne, avec des boulots pas forcément enviables. Et pourtant, c’est tellement important qu’elles soient là. J’espère que ça fait un peu poésie tout en abordant des sujets sérieux sans être lourd ou grave.

Des musiques ou des textes, qu’est-ce qui te vient en premier?

Souvent les textes viennent les premiers, mais parfois ce sont aussi les riffs. Par exemple, il y a une chanson, Braços (le premier clip du deuxième album), une chanson très douce en guitare-voix. Celle-là, j’ai l’impression qu’on me l’a soufflée. Je remontais une rue de Sao Paulo pour rentrer chez moi, et, une fois rentré, j’ai pris ma guitare et ai composé cette chanson en trois heures? C’est gai quand c’est comme ça.

En parlant d’ange gardien, j’avais composé une chanson comme ça parlant du pote de l’ange gardien, celui dont le boulot est de nous souffler des idées et de nous rappeler des trucs. Comme quand tu perds tes clés, que des choses te tombent dessus toutes cuites et sans que tu n’aies eu à faire quelque chose.

Tu te partages toujours entre Belgique et Brésil?

Non, j’ai plus fait ma vie à Bruxelles, j’ai deux enfants, ma femme, tout ici. Mais j’essaie d’aller au Brésil le plus possible. C’est un pays super mais je suis très content d’habiter en Belgique. D’autant plus en cette période pas très cool que traverse le Brésil actuellement. Du coup, je suis inquiet de ce qu’il s’y passe. Cette destitution de Dilma Rousseff (ndlr.  elle est accusée d’avoir maquillé des comptes publics), je la trouve totalement injustifiée, intéressée, montée. C’est une sorte d’énorme supercherie. Comme on l’entend beaucoup, ça ressemble à un coup d’état officiel. Et la presse a fait en sorte qu’on ne reconnaisse pas tout le bien que Lula et Dilma ont pu faire au Brésil. Ils ont sorti des milliers de gens de la misère, ils ont fait avancer le pays. Et maintenant, pour des prétextes assez ridicules, on écarte Dilma Rousseff. Et au fond du fond, c’est parce qu’elle dérange et qu’une petite caste veut juste profiter des privilèges qu’ils ont réussi à obtenir. Et comme ils sont menacés, il fallait qu’ils réagissent.

Une belle illustration est par exemple la prise de pouvoir du nouveau président provisoire, Michel Temer, qui a monté un gouvernement fait uniquement de blancs, âgés, de droite, riches. Aucune minorité n’est représentée. C’est assez dingue de se dire que c’est encore possible et que les peurs agitées sont les mêmes que celles du coup d’état de 1964 au Brésil. Le Brésil n’est sortie de la dictature qu’en 1985. C’était hier. Comment les gens ne se souviennent-ils pas? D’autant plus que les mêmes mots, les mêmes peurs sont utilisées. Mais bon, c’est le pouvoir de la télé, et la télé est détenue par peu de personnes. Ils sont en train de démanteler tous les progrès sociaux réalisés par ces gens de gauche, ces douze dernières années.

Quitte à évoquer la télé, on ne peut pas ne pas parler des Jeux olympiques.

Ce n’était pas le moment! Comme pour la Coupe du Monde. Il y a plein d’autres choses à faire avec cet argent, c’est sûr. Cela dit, c’est une erreur qu’énormément de pays ont commise. Pourtant ce sont des événements mondiaux qui ne profitent jamais à ces pays en question. Mais ce n’est pas ça le plus au Brésil, ça va passer, on n’en parlera plus et le village olympique va pourrir. Il y a plein d’exemples.

Mais, je me souviens d’un ami qui vivait à Londres pendant les JO. Il me racontait combien étaient scandaleuses les conditions imposées aux marchands qui étaient obligés de se plier aux sponsors et ne pouvaient plus vendre les articles qu’ils voulaient. C’est un peu enfoncer des portes ouvertes que d’aller au Brésil où les problèmes étaient déjà présents avant. Et les JO sont une façade qui permet aux politiques de faire les choses tranquillement sans qu’on en parle.

Revenons à la scène, qu’est-ce qu’il s’y passe?

Très content d’être là. Une quinzaine de morceaux et je pense que c’est un set très joyeux et dansant. Ça fait du bien de mettre un peu de fête dans ce genre d’endroit, de se mettre au diapason. On est une bande de potes, en fait, c’est un groupe très important pour moi.

C’est l’anniversaire d’Esperanzah!, 15 ans, qu’est-ce qui t’a marqué?

Cette année-là, il y avait Sharon Jones, le concert pour lequel j’étais venu. Mais au-delà de la belle sélection de musique, j’étais ébloui par le cadre. Découvrir l’endroit, rentrer dans cette enceinte et se dire « Waow, c’est vraiment chouette ». J’ai eu ça aujourd’hui en arrivant avec ma copine. Joyeux anniversaire Esperanzah!

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