Après avoir parcouru les mondes scientifiques, politiques et surtout écologiques dans son chef d’oeuvre Saison Brune, Philippe Squarzoni renoue avec le réel. Prouvant qu’il n’a rien à envier à Frank Miller, le « bd-documentariste » est parti sur la piste du polar noir et lent, celui que le cinéma met rarement en action. Bienvenue dans le Baltimore de David Simon (le créateur de la série The Wire) en 1988, ville parmi les plus violentes des USA et qui compte près de 240 meurtres par an, à l’époque. Nous avons rencontré Philippe Squarzoni.
Bonjour Philippe, après avoir marqué les esprits avec Saison Brune, vous nous revenez dans un tout autre style, à la rencontre de l’univers de David Simon, le journaliste qui a créé la série The Wire. Comment cela se fait-il?
À l’époque, j’avais dû voir deux ou trois saisons de cette série. Et lors d’un voyage aux États-Unis, j’étais tombé sur son bouquin. Je l’avais laissé un peu de côté, 900 pages en anglais avec des mots d’argot de flics de Boston, c’était un peu dur d’abord! Et quelques années plus tard, en 2010, je me suis lancé. Quel bouquin formidable à la fois sur le contenu que sur le plan du reportage, cette année passée dans le quotidien des flics de Baltimore… Puis, surtout, la langue remarquable de David Simon, son style. À vrai dire, c’est la première fois que j’ai eu ce ressenti, à la fois un coup de coeur tout en allant plus loin: en lisant, je voyais apparaître une bande dessinée, le découpage, les scènes, le type de narration, cette grammaire issue des comics américains… J’imaginais tout cela, mais appliqué à un documentaire, en éliminant la première personne du singulier que j’avais utilisée jusque là. C’était l’occasion de se poser de nouvelles questions.

Des questions, vous vous en posez quand même beaucoup en tant qu’auteur, non?
Ici, les questions que je me posais visaient moins le fond et le contenu que la forme. J’avais toute la matière, je devais la mettre en forme. Que garder ou pas, comment découper. Souvent,les auteurs de bande dessinée qui réalisent des adaptations disent en interview qu’ils ont coupé dans le texte ce qui était dit dans l’image. C’est intéressant, mais le principe doit courir sur tout le livre. Moi, j’ai plutôt privilégié toute la gamme: des fois, je ne me sers que de l’image dans des cases silencieuses, j’ai fait sauter tout le texte. D’autres fois, j’ai enlevé dans le texte ce qui était dit à l’image et d’autres fois, très volontairement, j’ai gardé les deux. Quand le texte et l’image disent la même chose, cela crée un effet très particulier. Et après tout, dans la bande dessinée, quand on n’a pas affaire à une adaptation littéraire, des auteurs l’utilisent. Comme Frank Miller: il dessine un pistolet de calibre 38 avant d’appuyer avec le texte « Ceci est un pistolet de calibre 38« . On a un effet de redondance, d’appui.

Et dans des scènes de crimes, par exemple, je peux dessiner un cadavre dans un canapé avec une couverture remontée jusqu’aux genoux et, ensuite, en faire la description. Comme si le lecteur était dans la tête de l’inspecteur qui observe la scène, qui note les détails dans son calepin et réfléchit pour reconstituer ce qu’il s’est passé. Suicide, meurtre, meurtre maquillé en suicide? La redondance image-texte était importante dans mon processus narratif, mais elle était à chaque fois sujette à un questionnement.
J’ai réfléchi sur chaque phrase du livre: qu’en faire? Que dessiner? Garder toute la phrase ou la découper? Qu’en garder? C’est intéressant, ce sont des questions que je ne me posais pas jusqu’ici comme j’écrivais moi-même mes scénarios. Et en les écrivant, j’avais déjà des images en tête. Alors qu’ici, j’avais un matériel de départ. Un scénario qui n’en était pas un, un livre. C’était une gymnastique complètement différente.
Différente également dans votre rapport au cinéma. Dans Saison Brune, vous rendiez un hommage appuyé à quelques films marquant. Dans Homicide, vous donnez l’impression d’en faire, littéralement! Tout en lui faisant opposition, en montrant ce que le cinéma a tendance à ne pas montrer par volonté d’efficacité, de vitesse et d’abandon des temps morts. Homicide, ce ne sont résolument pas des crimes faciles à démêler. C’est lent!
L’idée n’est bien sûr pas juste de faire une critique du cinéma américain qui est souvent très bon. Je suis amateur de films d’action, de polar de factures classiques. Seulement, ce n’est pas la réalité du travail des inspecteurs de la brigade des homicides. Il y a un principe de réalité dans le livre de David Simon qui met en lumière, et c’est ça qui est intéressant quand on le lit, les différences avec ce qu’on a pu voir dans les séries ou lire dans les polars. Ce qui fait le quotidien de ces policiers, ce sont surtout des machines à écrire, des voitures loin d’être ultra-performantes, des scènes de crimes sur lesquelles on arrive toujours quand les corps sont tombés. Il n’y a ni poursuite, ni coup de feu, ni bagarre. Ce ne sont pas ces gens-là qui sont confrontés à la violence.

Ils arrivent après, alors que l’industrie hollywoodienne n’hésite pas à nous montrer des policiers qui échangent des coups de feu avec des voyous, des génies du crime ou des serial-killers. Ici, c’est tout l’inverse, les meurtres sont sans intérêt, à répétition, tous les trois jours. Il y a une routine qui s’installe et un paradoxe qui en découle: à chaque fois, ils ont affaire à la plus grande des violences.
Avec cette conséquence du tout ou rien. Un crime peut se résoudre très rapidement ou traîner et n’être jamais résolu.
Bien sûr, ça peut être un meurtre dans une ruelle sombre d’un ghetto et personne qui ne veuille témoigner. Les meurtriers n’ont pas de mobiles et d’ailleurs les mobiles n’intéressent pas la police puisqu’on peut se tuer pour un regard de travers une semaine avant, une dette de 20$ ou une simple erreur parce que le meurtrier pensait abattre une autre personne. Le mobile, les inspecteurs s’en fichent, ils veulent trouver les erreurs les plus flagrantes du criminel – parce que ce ne sont pas des génies du crime, justement – et c’est ça qui les aidera à résoudre l’enquête pour interroger les suspects, les faire se contredire et lâcher le morceau. Ce ne sont en tout cas pas des puzzles intellectuels!

Puis, le climat malsain de l’extérieur s’invite aussi à l’intérieur du bureau de police où les inspecteurs sont mis en concurrence en fonction de leur efficacité et en faisant fi des difficultés particulières et propres à chaque enquête.
Les policiers eux mêmes sont pris dans un système assez complexe. Ils ont affaire à ce tonneau des Danaïdes de meurtres qui se répètent, 240 par an. Et, en même temps, ils n’ont pas beaucoup de moyens. Ils ont la pression de la hiérarchie pour arriver à un taux de résolution qui soit acceptable voire élevé. Puis, à certains moments, il y a des affaires prioritaires parce que politiquement sensibles. Par exemple, le meurtre d’une gamine de 11 ans, ça va faire les titres des journaux, mettre à mal le chef de la police, faire effet de vague sur le maire, tout le monde va en parler. Du coup, on va mettre tous les inspecteurs sur cette affaire. Du coup, les autres affaires en cours sont négligées. Le taux de résolution s’effondre. Ce qu’on va leur reprocher.

Ces policiers sont pris dans des logiques incompréhensibles avec peu de moyens, peu d’intelligence collective de la part des supérieurs hiérarchiques. Et on en arrive à des flics désabusés qui, dans ces conditions de travail, ne lui trouvent plus vraiment de sens car résoudre un crime n’a plus aucun effet préventif sur le suivant. Ils continuent bien à s’accrocher, ils font de la paperasse toute la nuit, reviennent quatre heures plus tard parce que leur service recommence. Ils s’épuisent sur un travail qui n’a plus beaucoup de sens mais qui est nécessaire et important. Il faut résoudre ces crimes sinon la colère de la population des quartiers pauvres va monter. Et il ne faudrait pas qu’elle croie que la police n’est là que pour les arrêter pour des faits de drogues mais est incapable de résoudre les meurtres dont leurs enfants pourraient être les victimes.
Ce récit a quand même trente ans. C’était une autre époque. les moyens n’ont quand même pas cessé d’évoluer, non?
Oui mais en même temps, s’ils ont sans doute plus de moyens informatiques, que la science a fait des progrès notamment pour la recherche ADN, je ne suis pourtant pas certain que ça les aide beaucoup. En 1988, le taux de résolution s’élevait à 70%. Aujourd’hui, il atteint 30 ou 40%. Donc, si vous avez des moyens mais que personne ne veut quand même témoigner, ça ne fait pas leurs affaires. Que faire d’une trace ADN si vous ne savez pas à qui la relier.
Dans le tome 2 qui arrivera en janvier, David Simon dit que c’est dans les dix premières heures que la résolution de l’enquête se joue le plus souvent. C’est le temps durant lequel le suspect va laver ses affaire, se débarrasser de son arme, renforcer son alibi, mettre ses potes de son côté en leur disant quoi dire s’ils doivent témoigner. Si le labo met trois semaines à vous renvoyer votre brin de l’identification ADN, votre suspect se sera évaporé dans la nature et vous ne le retrouverez jamais! Encore une fois, ce qu’on voit dans les séries télé sur l’efficacité de la police ne prend pas en compte le manque de moyen, l’incompétence, le fait que ça peut prendre des plombes… Et c’est remarquablement bien montré dans le livre de Simon.

Et dans le vôtre aussi, maintenant! Justement, au niveau du style graphique, vous avez encore évolué, non? C’est du comics!
Je me suis dit qu’une narration de cette bande dessinée en utilisant les principes du comics (retour d’images, double-pages…) collait assez bien pour contrer les répétitions et la monotonie qui pourraient s’installer. Parce qu’il y a beaucoup de moments figés où les policiers se retrouvent sur une scène de crime, prennent des notes dans leur calepin, observent la scène. Il fallait faire quelque chose de statique sans être pénible. Et je me suis inspiré du travail de Brian Michael Bendis qui est très fort pour les dialogues, même si ici il y a beaucoup de voix off, et qui utilise ces principes de narration figée, de retour d’image. Je suis amateur de comics américains, et je vais y choper pas mal de principes de grammaire et de découpage.
Moi, j’ai été assez bluffé par votre travail sur les double-pages. Dans pas mal de BDs, je trouve qu’elles ne sont pas utilisées à bon escient et qu’elles perdent parfois le lecteur: dois-je continuer sur la page de droite ou alors lire d’abord la page de gauche. Ici, je trouve que vous arrivez parfaitement à guider le regard!
Tant mieux! J’ai été assez attentif à ça. Je ne voulais pas que le lecteur se perdre, sorte de l’histoire en se disant « zut, j’ai lu la mauvaise page ». C’est un peu couillon. C’est un piège cette histoire de la double-page qui consiste à aller à revers du réflexe naturel du lecteur et de le faire continuer sur la planche de droite pour après revenir sur la planche de gauche.

Graphiquement, comment travaillez-vous?
En plusieurs étapes. Avant de commencer un tome, j’envoie mes questions à David Simon sur les choses que j’ai repérée. Lui décrit peu les flics physiquement, il les décrit plus psychologiquement, et je ne voulais pas inventer. Ce sont des personnes qui ont réellement existé donc il faut que je sois au moins juste dans leurs silhouettes. Je lui ai demandé de me décrire chaque flic: corpulence, âge, coupe de cheveux, moustache, s’il fumait ou pas, est-ce qu’il portait des lunettes… Où fumaient-ils. On a échangé pas mal de mails.
Ensuite, je me documente mais pas jusqu’au souci du détail. Je me fiche un peu de savoir comment était exactement le badge qu’ils portaient en 1988. Je dessine des gens en blouson, met la forme du badge dessus et sur le bras, et c’est tout. Je me fiche de savoir de quoi était composée leur ceinture, où se portaient les menottes… L’idée du flic me suffit. Je pense qu’il faut être relativement exact mais pas poussé le vice jusqu’au détail près. Je m’attarde surtout sur le regard des inspecteurs de la brigade des homicides.
Ensuite, se posent les questions sur le texte. Et, une fois le bouquin achevé, j’ai envoyé les 120 pages à David Simon qui semblait très satisfait.

Le contact avec lui était une condition sine qua non?
Pour moi, oui. Je savais en lisant le livre qu’il y avait des trous et que lui seul pourrait m’aider pour dessiner des choses qui ne sont pas écrites. Mon meilleur conseiller technique qui avait été sur le terrain en 1988, c’était David Simon. Ça ne lui a pas été posé comme une condition sine qua non, mais je savais que, sans lui, je ne serais pas capable de remplir les trous.
J’avais aussi envie d’une forme de collaboration. Mais pas pendant le travail, il me semblait que, pour qu’une adaptation soit réussie, le matériel devait être respecté tout en posant sa voix propre. C’est pourquoi je n’ai envoyé ni croquis ni planches à David Simon en cours de route. Quitte à faire des erreurs, cela devait être mon regard sur Baltimore. Une fois le premier tome fini, il a attiré mon attention sur quelques détails: un flic un peu plus gros, une moustache qui s’était perdue dans mon travail de composition. J’ai corrigé la moustache mais pas la corpulence, ça aurait pris trop de temps pour un détail sans grande importance. Mais donc, je voulais faire ma cuisine moi-même, pouvoir signer ce livre.
Quelle a été sa réaction avant et après?
Oh, il a dit oui, à condition que son livre soit respecté, c’est normal. Après je pense que c’est quelqu’un de très occupé, qui fait des séries télé. Et tant qu’il ne recevait pas les pages, le livre n’existait pas pour lui. Une fois qu’il a reçu le premier tome, ça lui a plu, il m’a dit que ça ressemblait à Baltimore même pour quelqu’un comme lui qui connaît la ville par coeur. Il a commandé quarante bandes dessinées à Delcourt pour les distribuer aux flics toujours vivants. J’espère qu’il est content d’avoir accepté mon adaptation.

Il y a également ce travail de la couleur avec Drac!
Avec Pascale, on a essayé de faire une mise en couleur qui soit de la même nature que le dessin, quelque chose de sobre, de retenu, pas extrêmement détaillé. Il ne s’agissait pas de faire de la reconstitution au millimètre près. D’utiliser aussi la monotonie à son avantage, avec une bichromie, quelque chose d’assez monotone en couleurs, tout en y glissant pour mieux la rompre des éruptions de violence. Avec ce rouge qui, sur la scène de crime comme sur le tableau (où les affaires non élucidées sont écrites en rouge, symbolise une mauvaise nouvelle.

Finalement, vous élaborez une histoire au plus proche de ces policiers. Mais vous, vous vous en sentez proche?
On finit, enfin c’est même assez rapide, par s’attacher à eux. C’est ce qui est intéressant d’ailleurs, car dans la bande dessinée documentaire, prédomine souvent un récit à la première personne, toujours un peu issu des mêmes catégories sociales. Ce sont toujours des trentenaires ou quadra qui ont toujours un peu le même regard sur le monde, les mêmes préoccupations, la même origine culturelle.
Là, on a affaire à tout autre chose, quinze flics moustachus, vingt-cinq ans plus tôt, probablement un peu réac’ pour certain, probablement un peu misogyne aussi. On se met donc dans la peau de gens différents et on comprend leur manière de travailler. Et qu’au bout d’un moment ils soient pris d’une forme de détachement, de cynisme et d’humour qu’ils cultivent sur les scènes de crime… et qui est attachant. C’est une protection pour eux, entre les scènes de meurtres et la morgue. Et puis, ce n’est pas du cynisme, derrière, ils travaillent comme des malades pour résoudre au mieux les enquêtes. Y compris celles qui s’annoncent problématiques.

Comment expliquez-vous que Baltimore soit devenue une des villes les plus violentes des États-Unis?
Il y a Washington, la Nouvelle-Orléans, il y en a d’autres. Le rapport des États-Unis à la violence est très complexe. Il y a plein d’autres parties du Monde où les gens sont très pauvres mais ne se tirent pas autant dessus. C’est très difficile à expliquer et je ne saurais pas l’expliquer. Mais je pense qu’une partie de cette violence vient de la misère et de l’aspiration vers la drogue pour générer de l’argent. De la police qui va leur tomber dessus et la guerre contre la drogue qui va devenir une guerre contre les pauvres. C’est facile d’arrêter des dealers au coin de la rue, plus difficile de résoudre un meurtre dans le ghetto.
La pression du chiffre amène ces policiers à mal travailler et à arrêter des petits dealers. On met donc des gens en prison à tours de bras et, quand ils ressortent, ils ne sont pas moins violent, sont toujours aussi pauvres, ont encore moins de chance de trouver un boulot et de devenir des citoyens comme les autres, ils perdent le droit de vote. Ils vont tomber de plus belle dans le trafic de drogue qui est associé à la violence. Ce qu’il y a à l’origine, je ne sais pas, mais le cercle vicieux, je le comprends très bien.

Près de trente ans après Homicide, la violence s’est inversée dans ce qu’on nous montre dans les médias, avec des cas de violences policières.
Dans ce cas-là, ce ne sont pas les policiers de la brigade des homicides qui sont concernés, mais les agents en uniformes. Ce sont eux qui patrouillent dans les rues, qui sont confrontés à la violence, qui la pratiquent même avec une impunité qu’on pensait disparue mais qui, aujourd’hui, fait scandale heureusement.
Mais dans la brigade des homicides, le travail est différent. Ils arrivent quand les corps sont froids, trente minutes après le meurtre si la voiture a bien voulu démarrer. Les affaires de meurtres d’Afro-Américains dans la rue concernent surtout les agents en uniformes. Mais ça dit bien toute la violence qui imprègne ce monde-là.
C’est quand même difficile d’y résister à cette violence. Il faut un recul qui, j’ai l’impression est difficile à avoir quand on a le nez dans le guidon. Il doit y avoir des crises, non?
On le voit un peu avec la figure de Worden, cet inspecteur proche de la retraite et qui pourtant n’y croit plus. Il est pris dans cette enquête un peu sale, dans laquelle des flics seraient peut-être impliqués. Il doit enquêter sur ses collègues pour se rendre compte que ce n’est pas un flic qui a tiré mais un autre Noir des ghettos. Ce qui va poser problème car la presse va prétendre qu’ils sont en train de couvrir un meurtre et d’accuser un innocent.
Worden est pris dans ce réseau de contradictions et dégoûté de la manière dont son travail se passe. Et pourtant, il ne part pas à la retraite, il continue de décrocher son téléphone, d’aller sur des scènes de crime où on lui ment effrontément. On comprendrait que ces gens-là arrêtent, mais ils continuent. c’est étrange.

Il y a aussi ce rapport aux médias qui a complètement changé. Aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, les médias sont encore plus féroces qu’à l’époque.
Avec l’arrivée des téléphones portables, les policiers sont souvent filmés quand ils exercent la violence de façon illégitime, tirant sur un homme qui pourtant lève ses mains. Ça a sans doute permis de faire émerger quelque chose qu’on pensait ne plus exister. Il n’y a pas de statistiques nationales. C’est un travail de souris, il faut faire le compte par états, comtés, districts… Le New York Times avait bien publié une enquête l’année passée, ils étaient arrivé à quelque 600 décès à cause de violences policières, à la moitié de l’année, c’est stupéfiant. Un meurtre policier en France, ce serait un scandale. 600 qui passaient inaperçus, c’est de moins en moins le cas, c’est sidérant.

Venons en à la BD-documentaire, un genre qui n’a cessé de se développer au fil des ans. Vous étiez l’un des premiers, quel rapport entretenez-vous avec ce genre?
Je pense que le virage s’est opéré lentement. On est passé de BDs qui s’intéressaient au divertissement, l’aventure, au western, à l’humour pour tout doucement devenir un peu plus adulte, aborder la politique par le biais de la fiction. Après quoi, il y a eu l’autobiographie avec des gens qui parlaient d’eux-mêmes à la première personne. Et le documentaire s’est greffé là-dessus. Ce n’était pas pour raconter la fois où on était au supermarché et où il nous manquait un jeton pour mettre dans le caddie; mais pour raconter des faits sociaux, des phénomènes.
Personnellement, j’en lis peu. Après avoir travaillé dix heures sur de la bd documentaire, je n’ai pas forcément envie, le soir, d’en commencer une nouvelle. Mais je feuillette ce qui paraît. Je suis avec attention ce que fait la Revue Dessinée, c’est forcément inégal mais de qualité.
Je trouve, mais je peux me tromper, que le genre ronronne un peu avec le récit à la première personne. J’ai l’impression de cracher dans la soupe puisque je fais de la bd documentaire depuis 15 ans et que j’ai contribué à faire émerger cette narration en « je ». Le narrateur à la première personne est une porte d’entrée effective pour le documentaire en bd. Mais j’ai eu plaisir à faire Homicide et à me débarrasser de ce que je ne considère pas comme une béquille mais comme un outil efficace.

Ça veut dire que vous vous dégagez du récit à la première personne?
Non, je pourrai très bien y revenir quand j’aurai réalisé mes cinq tomes d’Homicide (si le lectorat suit bien). J’aurai probablement envie de revenir au « je ». Puis, si quelque chose m’interpelle à nouveau comme la politique sur Dol ou le réchauffement climatique sur Saison Brune, je continuerai certainement dans la lignée de Garduno, Zapata etc. J’y retournerai volontiers. Le récit en « je » n’est pas discrédité pour moi, mais ça m’a fait du bien d’en sortir.
La suite pour vous est donc exclusivement concentré sur Homicide?
Oui, quatre tomes. Je termine le deuxième qui devrait sortir en janvier.
Des traductions sont-elles prévues?
J’aimerais bien. Après, c’est peut-être un peu compliqué puisque les droits appartiennent à NBC. Il faut fouiller dans des contrats vieux de 25 ans pour voir si les contrats d’adaptation en comics n’ont pas été vendus aussi. On en est là.
Série: Homicide – Une année dans les rues de Baltimore
Tome: 1/5 – 18 janvier – 4 février 1988
D’après Homicide: A Year on the Killing Streets de David Simon
Scénario et dessin: Philippe Squarzoni
Couleurs: Drac
Genre: Documentaire, Judiciaire, Enquête
Éditeur: Delcourt
Nbre de pages: 120
Prix: 16,50€
Date de sortie: le 25/05/2016
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