Éric Maltaite: « Ce sont ses failles qui rendent Choc inquiétant et dangereux! »

Il y a des retours attendus, d’autres beaucoup moins. Quelle ne fut pas la surprise et l’enthousiasme générale lorsque les Éditions Dupuis ont annoncé le come-back d’un des plus « charism-énigmatiques » héros de la bande-dessinée franco-belge, près de cinquante ans après sa dernière apparition dans la série des non moins célèbres Tif et Tondu de Will et Rosy. Ainsi, Monsieur Choc, toujours aussi masqué mais un peu moins anonyme, évoque sa genèse et ses fantômes sous l’inspiration des deux héritiers Stéphan Colman et Éric Maltaite.

Le ton a changé, colle désormais à cette époque où la part de l’ombre est sans cesse explorée (The Dark Knight, Maléfique), mais la grande qualité reste et épate. Interview avec le dessinateur Éric Maltaite à l’occasion de la sortie du tome 2 des Fantômes de Knightgrave. Mais aussi de l’intégrale de 421.

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Bonjour Éric! J’étais un petit peu étonné en terminant ce deuxième tome. Je pensais que Choc était un diptyque. Alors que non, ce n’est pas fini!

C’est vrai, deux tomes étaient prévus. Pour des raisons marketing. on s’est vite rendu compte que ça ne suffirait pas à caser l’histoire. Avant même de signer le contrat, on savait qu’elle ferait 300 pages! Et pour arriver à mettre 300 pages en 200 pages, ce n’est pas facile. On a bien essayé, on a pris tous les modèles de chausse-pieds, on n’y est pas arrivés! Et à la moitié du tome 2, petit coup de fil à l’éditeur: Non, on ne peut pas. Et comme l’éditeur est gentil, il a donné son accord pour un triptyque. Ce ne sera pas tout à fait 300 pages.

Choc - T.1 - Colman - Maltaite - Planche 5

Qu’est-ce qui est le plus dur, finalement? Commencer cette aventure ou en livrer ce deuxième tome désormais attendu et dont le premier tome a d’ailleurs été couronné de prix?

Le plus stressant, c’était la première page du premier tome. Jusqu’au moment où l’éditeur s’est emballé autour du projet. Une fois qu’on est dedans, il faut définir l’univers graphique, ses codes. Mais arrivé au second tome, on a résolu ces problèmes. On arrête pas pour autant de vouloir mieux faire, mais c’est moins stressant.

Cette aventure, elle a commencé comment? Faire revenir Choc, cinquante ans après sa dernière apparition, cela est du registre du challenge, non?

On le fait revenir sans le faire revenir. On revient à son époque. Au départ, c’est un personnage que mon papa m’a cédé. Après, il m’a fallu vingt ans pour oser imaginer que j’allais en faire quelque chose. Vingt ans et la complicité de Stéphan Colman qui a accepté de travailler sur le projet et à très bien résolu le problème. Raconter qui est Choc, ça n’a pas l’air très compliqué, mais en fait si! C’est un grand travail. On l’a pris par le bon bout. La genèse de ce projet, c’est vingt ans d’hésitations et d’envie. De j’oserais ou j’oserais pas. Et quand je me suis lancé avec Stéphan, il a encore fallu trois ans avant de faire vraiment les premières planches.

Choc - Will - Rosy

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - recueillement

Et au final, vingt ans plus tard, Choc fait partie de ces histoires arrivées au bon moment à une heure où l’industrie culturelle n’a de cesse d’exploiter la face obscure des héros (The Dark Knight, L’homme qui tua Lucky Luke etc.) et de mettre les méchants à la place des héros (Maléfique…).

C’est dans l’air. Cela fait partie du questionnement des gens à une époque où on essaye de nous vendre un monde lisse et prédigéré. D’un autre côté, les gens se rendent bien compte que ce n’est pas tout à fait ça. Ça se voit dans d’autres choses. Comme l’alimentation avec des consommateurs qui se tournent vers le bio car ils commencent à se méfier des images d’Épinal qu’on leur vend à la télé. « Consommez ce produit et vous irez mieux ». Puis ils apprennent que, finalement, ce n’est pas vraiment des plus bénéfiques pour la santé. Et quand on se questionne, on va forcément chercher dans les côtés les plus noirs. C’est logique, je trouve.

Choc, un personnage qui devait être moderne tout en respectant l’esprit initial?

Nous n’avons rien fait de plus que de se pencher sur le cas de Choc, de voir d’où il pourrait venir. Au départ, c’est juste un méchant. Même dans les codes de l’époque, où Rosy et Will ne pouvaient pas montrer de sang, il foutait vachement les jetons. Il apparaît en 1954 dans Tif et Tondu, déjà à la tête d’une puissante organisation. Tellement qu’il peut s’acheter un avion à réaction, alors qu’on est au tout début de ce type d’avion. Il est immensément riche? Quel âge a-t-il? La trentaine? On a donc enquêté, en se penchant sur le passé du personnage, mais aussi sur notre histoire. Ce à quoi on rajoute de la fantaisie, de l’imagination.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - flashback

Ça veut dire qu’il est né dans les années 1910, conçu pendant la guerre 14-18. De quoi imaginer que son père pourrait ne pas être français mais anglais, qu’il retournera chez lui. L’histoire s’écrit comme ça, avec une logique, en s’inscrivant dans l’époque et dans des événements historiques qui vont interférer et créer la personnalité du personnage.

Choc devient un enfant de la guerre, déraciné de France en Angleterre en plein dans la Grande Crise de 1929 et juste avant la montée du nazisme. c’est très perturbant comme période. Avec en plus, des pauvres très pauvres et des riches très riches. On avait les bases, on pouvait y greffer ce qu’on voulait.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - macao

Au-delà de la Main Blanche et de fer, vous donnez à percevoir l’humanité du personnage, plus tourmenté qu’on pourrait le croire et bien au-delà de la peur qu’il génère. D’ailleurs, ne sont-ce pas ses peurs qui le rendent encore plus terrifiant?

Les personnages les plus monolithiques sont souvent les plus énigmatiques et ont le plus de vécu. Si ce n’est qu’une façade, elle s’effondre très vite. Mais une fois la stature acquise, il y a quelque chose de solide derrière, de violent, de dramatique. Ce qui rend un personnage humain. On a tous nos questions, nos peurs – heureusement, on n’est pas tous des criminels – mais dans le cas de Choc, le jeune personnage n’est pas antipathique du tout. Ses failles le rendent après de plus en plus inquiétant et dangereux.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - Enterrement

La notion de violence était bien absente dans Tif et Tondu. Ce n’est pas le cas ici.

Il y en a un peu (rires). Ce n’est pas complaisant, on ne rentre pas dans l’explosion de gore. Mais quand une personne prend une balle, on voit du sang, c’est certain. Ce n’est pas une bande dessinée pour les 7-8 ans. J’attendrais l’adolescence. Et encore… on en voit tellement. Mais, a priori, c’est fait pour un public ado-adulte. Mais oui c’est violent.

Choc - T.1 - Colman - Maltaite - meurtre

J’ai eu quelques réflexions lors de la parution dans Spirou. Notamment une dame un peu fâchée de voir un homme prendre un méchant coup de revolver dans la tête. C’est sanglant, mais ça ne dure qu’une case. C’est ça la mort.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - Planche 12

Reste que Choc et ces albums que vous lui consacrez illustrent bien le changement des moeurs qui s’est opéré dans la BD entre les années 50 et maintenant.

Dans les années 50, il y avait une auto-censure. Les auteurs n’essayaient même pas de jouer avec les limites. Et malgré ça, certaines BDs de Dupuis étaient censurées en France! C’était très codifié. On ne pouvait pas faire comme on voulait. Avec Choc, on ne s’est mis aucune limite tout en évitant la complaisance. Il y a bien un peu de sexe, mais pas du sexe pour du sexe. L’histoire le justifie. Ce n’est pas pour flatter le goût des lecteurs pour le nu ou la violence.

Et ce mystère autour de la vie sentimentale de Choc qui, s’il ne s’épaissit pas, reste bien mystérieux.

Bonne question, le lecteur n’en sait encore rien. Mais bon, il y a un tome 3 en préparation. Choc est à la sortie de l’adolescence. Il a son pote bizarre, je crois que c’est un libertaire. Il vit sa sexualité là où il veut. Éh oui, c’est un peu tangent.

Votre manière de remonter le temps, c’est de croiser – dans une même planche parfois – différentes époques. Avant que la fin de chaque tome ne s’oriente sur un long flash-back. Comment s’est effectué ce choix de narration?

Stéphan Colman pourrait vous répondre. Je sais qu’il a conçu la structure de cette manière dès le départ. Mais ça fonctionne bien! C’est une manière cinématographique, on fonctionne comme un film. Il y a des petites astuces scénaristique, des raccords pour faire passer le changement d’époque en douceur; mais on ne rentre pas dans le classicisme de la BD avec des « plus tard »… On est loin de Jacobs, c’est un récit fluide.

Choc - T.1 - Colman - Maltaite - Souvenirs

Dans cette alternance d’époques. Passer de l’une à l’autre, voire même d’une case à l’autre, n’est-ce pas une difficulté?

La difficulté est qu’il faut être très rigoureux. Je ne peux pas me permettre de continuer de dessiner les mêmes costumes alors qu’on a changé d’époque. Avant de me lancer sur une planche, toute ma documentation est prête et ouverte: voitures, costumes…

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Et au niveau du travail des couleurs?

J’ai commencé tout seul sur les quatre ou cinq premières planches. Avant que la femme de Stéphan s’y affaire. Ce n’est pas la première fois. On avait déjà collaboré sur de précédents albums. Et en gros, une fois les couleurs posées, je repassais derrière pour le travail de lumière, d’ombrage.

Vous habitez en Espagne depuis pas mal de temps. Quand on voit Choc, on se dit qu’il faut quand même que vous ayez un sacré goût des contrastes. Il neige, il pleut…

Ça a toujours été comme ça (rires). Quand je me retrouvais dans des pays chauds, je me retrouvais à dessiner de la neige. Et vice-versa quand je travaillais de la Belgique. Je dois être entièrement immergé. Le soleil est dehors et je ne le regarde pas, je ne dois pas me déconcentrer.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - Pie

Votre papa vous a cédé ce personnage. Il vous avait aiguillé, vous avait dit comme il concevait Choc?

Non, il m’a juste dit « fais-en ce que tu veux ». Will n’a jamais été fort directif. Même quand j’ai voulu commencer à faire de la BD. Il m’a bien donné quelques conseils – il faut dire que j’étais ado et que je l’ai envoyé à la gare quelques fois – mais s’est mis en retrait. Bon, je sais qu’il s’est débrouillé pour que j’atterrisse chez Walthéry, chez Jijé, pour que j’aie des conseils d’autres personnes, extérieures. Il m’a un peu « manipulé mais en gros il ne m’a jamais dit beaucoup de choses. J’ai su par ma mère, après sa disparition, que mon père avait été très inquiet pour moi jusqu’à la parution de mon premier album. Une fois cela fait, il a soufflé. Mais de cette inquiétude, il ne m’en a jamais rien montré.

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Il venait des Ardennes belges, il était resté très taiseux, très pudique, on ne pouvait pas savoir grand chose de ce qu’il pensait.

C’est en le voyant dessiner que vous avez eu envie de faire ce métier? 

J’étais l’aîné de ma famille. Et comme mes frères et soeur sont arrivés très vite, on n’a rien trouvé de mieux que de me mettre dans le bureau avec mon papa. On me donnait des ciseaux, du papier et je m’occupais. J’ai passé toute ma petite enfance comme ça, et je n’ai jamais arrêté, jamais cessé d’être à côté de mon papa. Jusqu’au jour où je suis parti. L’air de rien, je suis tombé dedans quand j’étais petit.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - chateau

Puis, je lisais des BDs. Les éditions Dupuis offraient toutes leurs parutions à leurs dessinateurs. La bibliothèque était bien remplie. Et je voyais mon papa dessiner, faire des dessins. C’était ça son travail, grâce auquel il nous emmenait en vacances, nous habillait… Et quand j’ai bien foiré mes études, j’ai décidé de suivre sa voie. « Papa, je veux dessiner ». Il m’a calmé en me disant que je devais quand même apprendre quelques trucs. Ce pourquoi j’ai passé un an aux Beaux-Arts à Bruxelles. J’ai fait du plâtre notamment.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - Encrage

Je m’en suis enfui car l’enseignement était nivelant et la qualité des cours n’était pas excellente. Et suite aux conseils de Jijé, j’ai suivi des cours du soir en modèles vivants. Mon papa et ses potes m’ont secondé, tout s’est fait en douceur sans que je m’en rende compte, d’aiguillage en aiguillage. Des Beaux Arts à Boitsfort aux cours du soir de Lucien Praet, puis à la table de dessin de Walthery. J’étais un grand innocent, je ne me rendais compte de rien! Mais tout était très bien orchestré.

L’époque était encore favorable aux carrières d’auteurs de BD, non?

Je pense avoir eu beaucoup de chance. Je dois être de la dernière génération de gars qui ont vécu tout de suite de la BD. Quand je pense aux jeunes de maintenant qui essaie de se lancer, c’est vachement dur. Tant qu’il n’y a pas d’album, il n’y a pas d’argent, il faut aller assez vite. Puis, dans les périodiques, on n’est plus payé à la page, c’est de l’avance sur droit. Et si l’album ne se vend pas bien. Cela dit, j’ai eu ma période de vaches maigres, et ce n’est pas drôle! Mais j’ai eu l’avantage de me faire un nom dans les belles années.

421 - maltaite - desberg - couverture Spirou 2

Autre bonne nouvelle, 421 revient en intégrale !

Oui, l’album est prêt. Il manque la couverture, c’est tout. J’ai du me replonger dedans. Les couleurs de l’époque était faite à la gouache, puis scannée – voire même filmée – et au moment d’envisager cette intégrale, Dupuis s’est retrouvé avec quantité de films inutilisables. Il a fallu les rescanner et digitaliser tout ça – je pense que cela se fait à Madagascar -. Le problème avec ce processus, c’est qu’il accentue tous les contrastes. Et pour peu qu’un coup de pinceau se soit retrouvé de travers, il se voit deux fois plus fort. Le vert acide devient ultra-acide etc. Bref, j’ai passé pas mal de temps à restaurer les couleurs avec ma femme. J’étais bien replongé dedans.  Et à vrai dire, sans me jeter des fleurs, j’ai été agréablement surpris de constater que je dessinais pas si mal à l’époque. Je pensais que c’était vachement pire que ça! (Rires)

Avec des inédits?

Oui, il y en a. Des pages parues dans Spirou à l’époque mais pas en album. Parce qu’il y avait trop de pages par rapport au « 44 planches » de rigueur. Parfois douze ou treize pages! Puis, il y aura des croquis, des choses retrouvées dans des tiroirs. Ce sera un bel album.

En ce qui concerne Choc, trois tomes et puis s’en va?

Cette histoire-là en tout cas! Maintenant, la porte est toujours ouverte mais ce sera quelque chose de différent. Ce ne sera plus Choc pendant son enfance. Quoique… Je ne suis pas le scénariste, il faudra voir avec lui. Mais j’ai bien une petite idée ou l’autre. Ce sera pour dans très longtemps.

D’autres projets quand même?

Oui, j’ai toujours un coup d’avance, par sécurité. Et je suis en train de mettre en place un thriller fantastique avec Zidrou. Une mini-série de trois-quatre albums tous scénarisés par Zidrou mais dessinés par des auteurs différents. Ce sera chez Dupuis en 2017 ou 2018. J’ai 150 pages devant moi, quand même.

Choc - T.2 - Colman - Maltaite - Couverture

Série: Choc

Tome: Les fantômes de Knightgrave 2/3

Scénario: Stephan Colman

Dessin: Eric Maltaite 

Couleurs: Lady C., Cerise et Éric Maltaite

Genre: Mystère, Polar

Éditeur: Dupuis

Nbre de pages: 88

Prix: 16,50€

Date de sortie: le 08/04/2016

Page Facebook: Monsieur Choc


Extraits du Tome 1:

Extraits du Tome 2:

Quelques bonus glanés sur la page Facebook de Monsieur Choc:

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