Avec Manipulator, Pierre Makyo signe un roman graphique là où on ne l’attendait peut-être pas et entend décrypter toutes les formes de manipulation. Et notamment par là où elle commence, dans la communication et les relations que nous menons au jour le jour. Manipulator, c’est un essai, un excellent syllabus qui s’avale comme un pain au chocolat, avec du croustillant et beaucoup d’amusement. Tout en apprenant.
Jusque là tout allait bien à Muzarland. Tout le monde batifolait gentiment. Mais voilà que lors d’une compétition visant à ramener le plus grand nombre de queues de lézard (certains assassinent bien des taureaux), un conflit éclate. Glifan accuse Algur de lui avoir fait un croche-pied tandis qu’Algur se défend et s’insurge: Algur essayerait de le discréditer. Lequel a raison? Le lecteur le sait, mais dans cette petite société de musaraignes, on est face à un nouveau problème qui fait plus de dégâts qu’on pourrait le penser. Et le docteur Muz, avide de lectures et psychologue à ses heures, de saisir la balle au bond pour sensibiliser ses concitoyens aux dangers de la manipulation. Mais encore faut-il l’accord de la Musareine! Celui-ci est vite glané, en dépit de la relative opposition du conseiller et bodyguard Périfazo qui y voit un danger pour l’autorité. Et les cours peuvent commencer devant une foule acquise à la cause.
Ça, c’est le roman graphique qui tombe à pic à l’heure où les réseaux sociaux charrient leur lot de rumeurs, encore plus en temps de terrorisme et de situation de menace. Mais ce serait se voiler la face que de penser que la manipulation n’est là qu’à certains moments critiques. Non, la manipulation est omniprésente, dans le discours des puissants, les stratégies marketing, au coin de la rue, dans le métro ou à la télévision. Partout, on vous dit, même parfois dans les poignées de main des amis les plus proches. Et aussi dans le comportement du mentor qu’est devenu Muz. On manipule parfois sans s’en rendre compte! Ce n’est pas un mal en soi, mais encore faut-il en être conscient et savoir pertinemment comment y réagir et ne pas se faire piéger.
Véritable cours magistral (dans les deux sens du terme) en bande dessinée, Manipulator constitue un véritable syllabus qui a évacué les contrariétés des textes scientifiques longs, pompeux et chiants pour les travestir en plaisir de lecture et d’information. Et ces petits « musarins » anthropomorphes servent parfaitement les théories développées par Jean-Marie Abgrall, Isabelle Nazare-Aga, François Brune ou encore Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois. On y parle de manipulation dans le couple mais aussi dans les supermarchés, de l’effet de gel, de pied dans la porte ou de porte au nez. Pas avare d’exemples, Makyo livre au gré de son roman graphique, quelques cours thématiques (un par jour pendant une semaine, par exemple) importants pour mieux vivre et se sentir mieux dans ses baskets. Car la manipulation peut avoir des conséquences bien néfastes pour la santé et l’estime de soi. Mais Manipulator, et c’est là aussi sa force, n’est pas là pour terroriser et appelle à ne pas entrer en paranoïa.
Une chose est sûre, avec des professeurs comme Makyo et Muz, on aurait sans doute moins séché les cours de sociologie et de psychologie! Voilà un ouvrage à valoriser autant dans les librairies que dans le bouche-à-oreille. Bref, une fiction animalière qui prend des musaraignes (mais ça aurait pu être les souris chères à Steinbeck) pour en dire long sur les hommes. Autant dire qu’on ne musarde pas!
Titre: Manipulator
Histoire complète
Scénario et dessin: Makyo
Noir et blanc
Genre: Essai, Sociologie
Éditeur: Les Arènes
Nbre de pages: 116
Prix: 20€
Date de sortie: le 16/03/2016
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