C’est une chose, les scouts aiment vivre au fond des bois. Et nous, en piochant dans les nouveautés du moment, on s’est dit qu’on irait bien y lire. Des BD’s. Nous ne croyions pas si bien dire, car autant dans le magnifique Melvile de Romain Renard que dans l’horrifique (et bien-nommé) Dans les bois d’Emily Carroll (qui semble avoir emprunté à son homonyme le goût d’emmener Alice au pays des horreurs), le noir s’impose et la forêt devient un véritable personnage capable des plus magnifiques beautés comme des soubresauts vengeurs à l’égard de l’homme. Installez-vous confortablement au coin du feu de l’hiver, chaussez peut-être vos bottes, nous attaquerons par la lisière.
Melvile, la beauté des étoiles sur une forêt en flammes
Surprenant autant qu’évident, Melvile a pris tout le monde de court à la sortie de l’été 2013. Rien à voir avec le réalisateur de polars du même nom (quoiqu’en y repensant, l’ambiance sombre et psychologique peut y faire songer), Melvile s’est irrémédiablement imposé comme un classique du roman graphique à la française. Et voilà qu’après avoir suivi l’histoire de l’écrivain maudit Samuel Beauclair, c’est l’astronome et professeur Saul Miller qui nous livre ses secrets entre la lumière de la lisère et les profondeurs lugubres d’une forêt qui referme son piège. Et Romain Renard de déployer un peu plus son univers tentaculaire.
Melvile, c’est le nom d’une petite localité retranchée à mille lieues de tout (ou en tout cas, c’est tout comme). Le soleil est le même que le nôtre, la Lune aussi. Peut-être la forêt y est-elle un peu plus profonde, un peu plus étrange. Peut-être aussi son cours d’eau charrie-t-il un peu plus de fantômes qu’ailleurs? Selon les dernières statistiques, 478 habitants y vivent. Dont Samuel Beauclair et maintenant Saul Miller, même s’il préfère passer sa vie du regard, à des lieues de la terre, sur orbite, à décrypter le secret des étoiles.
Pourtant, il y a bien deux choses qui permettent à Saul de ne pas trop décoller et d’adhérer à sa chère terre. Une bonne et une, comment dire?, plus mauvaise. La première, c’est Mia, la fille de Paz, serveuse dans un des cafés animés de Melvile, que Saul garde et à qui il fait réviser ses maths entre les balades forestières et l’amour de la nature. Un vrai rayon de soleil. La deuxième, c’est la haine que voue le « professeur » aux braconniers qui pillent la beauté de la forêt. Son coin de bois, Saul l’a d’ailleurs bien clôturé et il le défend férocement. Mais, dans les parages, deux nouveaux venus bien armés risquent bien de condamner la tranquillité de Saul. Tels des ombres, les deux chasseurs semblent bien résolus à faire tourner l’écologiste en bourrique. Quitte à lui faire perdre pied et à lui faire cracher ses secrets bien gardés.
Deux ans plus tard, voilà enfin le deuxième tome (mais aussi one-shot) de Melvile. Vu le travail abattu par Romain Renard, on peut comprendre ce laps de temps dans une industrie qui va toujours plus vite. L’auteur a pris le temps des recherches et de faire le sublime pour accoucher ce deuxième acte d’une fresque sociologique, obscure et naturelle qui risque de devenir culte. Car ce deuxième opus indépendant (tout aussi que dépendant, en fait, tant à Melvile tout est lié) se déroule parallèlement à la première histoire. Avec la même substance et le goût de pousser les humains dans leurs derniers retranchements, Romain Renard livre un roman graphique peut-être encore plus somptueux quand il tutoie les étoiles. Et non content de nous subjuguer, il nous piège à la fin, nous prend à revers, bouleversant nos acquis de lecteur pour livrer une final tragique et d’une beauté affolante. Avec Melvile, Renard n’est pas sorti du bois mais s’y est engouffré et il livre sans doute l’oeuvre de sa vie. Une oeuvre qui risque de mûrir et de gagner en force.
PS: Melvile est un univers qui manie les arts. En concert notamment, puisque Romain Renard appliquera sa musique sur son univers pour lui donner une autre dimension. Ce sera le dimanche 21 février à 16 dans la Comix Factory de la Foire du Livre de Bruxelles. Melvile est également doté d’un site internet qui permet de télécharger la bande-son, d’accéder à la réalité augmenté et à des vidéos exclusives. Mais surtout, à des histoires inédites présentant d’autres facettes, d’autres visages de cette ville de perdition. Tout se passe sur le site de Melvile.
Série: Melvile
Tome: 2 – L’histoire de Saul Miller
Scénario, dessin et couleurs: Romain Renard
Genre: Fantastique, Thriller, Mystère
Éditeur: Le Lombard
Nbre de pages: 208
Prix: 22,5€
Date de sortie: le 22/01/2016
Extraits:
Dans les bois, la sève qui coule est parfois de sang
On quitte le drame onirique et spectaculaire de Melvile pour glisser un petit peu plus près du diable et de ses enfants chéris. Dans les bois d’Emily Carroll fait place à l’horrifique celui qui emprunte à Sam Raimi ou à Poe leurs lettres de noblesses pour nous livrer sept histoires courtes où se croisent les morts et les vivants dans le plus diabolique des mélanges.
On a tous été comme Emily Carroll. Quand nous sommes devenus grands, nos parents ont délaissé la lecture qu’il nous faisait des mille et une histoires dont regorgeaient nos livres de chevet pour nous laisser en compagnie de notre lampe de chevet. On y gagnait en indépendance et en fierté de savoir lire seul mais qu’est-ce qu’on y perdait en sécurité. Et la veilleuse à l’angle mort ne suffisait pas, désormais il allait falloir guetter les monstres en-dessous du lit!
Quelques années plus tard, est-ce cette peur ancestrale qui a guidé la talentueuse Emily sur les chemins de Dans les bois, il faudrait sans doute la questionner à ce sujet. Une chose est sûre, la jeune auteure excelle à faire magie du lugubre dans ses véritables contes défaits. Oubliez l’univers sombre mais sympathique de Burton, ici le noir guette et alourdit le poids des destins de ces héros condamnés au châtiment de la peur et de l’issue fatale. Au fil des pages qui se tournent mécaniquement par le pouvoir du Malin, on retrouve pêle-mêle des Caïn et Abel des temps modernes animés par la peur du loup mais aussi par la concurrence fratricide, puis une belle-mère hantée et hôte de petits êtres bien indigestes ou encore une dame aux mains de glace.
On peut être ou ne pas être réceptif à l’odeur âcre de l’horreur qui se dégage des planches d’Emily Carroll mais comment être insensible au charme et à sa maîtrise de l’art dessiné. Dans ce premier ouvrage édité en français, tout est luxe et rituels macabres: le noir qui recouvre les pages, le malaise qui s’installe, les lettres et mots qui s’échelonnent comme portés par une complainte… Tout est force sous le trait d’Emily Carroll qui vient de réussir une entrée aussi sanglante que fracassante dans le monde du Neuvième Art.
Titre: Dans les bois
One Shot
Scénario, dessins et couleurs: Emily Carroll (Page Facebook)
Traduction: Basile Béguerie
Genre: Horreur, Mystère, Histoires courtes
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 208
Prix: 22€
Date de sortie: le 06/01/2016
Extraits:
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