Rencontre avec Gao et Jérôme Derache, les fossoyeurs d’Éternellement Vôtre

Pour la Noël, il y a des cadeaux qui vont de soi, des valeurs sûres. Mais, en creusant un peu, il y a moyen de trouver chaussure à son pied (et dans ce cas-ci à sa pompe, pour autant qu’elle soit un peu funèbre) pour faire à la fois plaisir à vos proches mais aussi à de jeunes auteurs qui se démènent pour émerger. C’est le cas du dessinateur Gao et du scénariste Jérôme Derache.

Autoproclamés responsables « mort-keting » d’une drôle de série, ces deux-là sont bien partis pour vous faire mourir de rire dans des gags novateurs sur un sujet sans tabou et désacralisé: la mort et la mise en bière qui en découle. La série s’appelle Éternellement Vôtre, le premier tome s’appelle Période Décès, son éditeur Bande à part gagne à être connu et, comme si tout cela ne suffisait pas, nous avons rencontré les deux auteurs, rien que pour vous. Interview en deux temps à la fête de la BD d’Andenne et dans l’atelier de Gao à Loyers, entre les jolies filles de Barbucci et Canepa, un esprit Franquin et quelques bolides miniaturisés. Pour mieux fuir la grande faucheuse, rendue tout d’un coup bien risible? Peut-être!

Bonjour Gao, bonjour Jérôme, vous nous arrivez avec une bande dessinée toute fraîche, puisqu’elle vient de sortir. C’est une première, ,non ?

Gao: Oui, et j’attends ça depuis des années. C’est mon rêve et ça m’a pris beaucoup de temps : un an et demi, en sachant que j’ai un boulot à côté et une vie de famille, dont un petit bébé.

Comment est né votre amour de la BD?

Gao: En même temps que ma vie. J’ai ça dans le sang depuis que je suis tout petit, ma tante avait beaucoup de bandes dessinées.

Mais je n’ai pas fait d’école pour ça, juste Félicien Rops à Namur. En Art Appliqué. Il m’a donc fallu un long temps d’apprentissage du dessin de BD. J’ai surtout appris en observant les dessins des autres: Gaston Lagaffe, Boule et Bill, Spirou. Stédo, aussi, que j’adore et qui, à force, est devenu un ami. Avec toutes ces lectures, j’ai appris les mouvements, les détails. Je ne fais pas que lire les BD, je les analyse. Et dieu sait qu’il faut des années et des années pour arriver à un résultat publiable. Tout le monde peut dessiner, mais de là à ce que ça se vendre, que ça soit attrayant, ce n’est pas gagné.

Ça me rend malade que certaines revues de BD publient des planches loin d’êtres belles. Je ne me prends pas pour Franquin mais j’essaie de me démerder comme je peux. Je pense savoir dessiner. Je suis méticuleux, j’essaie d’être précis.

Gao - Au travail (2)

Précis à la main ou par palette graphique ?

Gao: Je dessine à la main sur format A3. D’ailleurs, pour mes dédicaces, je les réalise d’abord au bleu. Avant de repasser dessus. J’aimerais bien faire pareil sur mes planches mais je ne sais pas comment les scanner pour que le bleu disparaisse, vu que je réalise mes couleurs avec Photoshop. Je trouve qu’avec la palette graphique, ça manque de caractère, de vie. Puis bon, quel plaisir d’avoir des originaux.

J’ai choisi une technique qui me prend du temps. Les mines de mes marqueurs sont les plus fines qui soit. Du coup, je dois repasser mes traits plusieurs fois pour faire un effet de pinceau. Pour donner une impression de vitesse, de dynamisme, comme si le trait n’avait été fait qu’en une fois. Et avant tout, je dois comprendre et modeler l’objet à dessiner. Je ne laisse rien au hasard.

Vous colorisez aussi, donc?

Gao: Oui, ça aussi ça prend du temps. Je colorise une série de mon scénariste, deux tomes qui paraîtront chez Vent d’Ouest. Mais du coup, je ne sais pas attaquer mon deuxième tome.

Venons-en aux pompes funèbres, comment est née cette série?

Jérôme Derache: Ça, c’est à cause de ma maman, totalement flipée de la vie. Je la vois très peu, mais à chaque fois que je la vois, elle me dit: « Si jamais il m’arrive quelque chose, ça est à tel endroit, telle autre chose est là… » À la longue, c’est gavant. Je lui ai donc dit de penser à nous, ses enfants. Mais l’idée m’a trotté dans la tête et j’ai eu envie d’imaginer des gags sur les pompes funèbres. À cause ou grâce à ma maman. C’était pas mal trouvé, c’est un vaste terrain qui peut donner lieux à des centaines de gags, on est loin d’avoir tout exploiter.

Gao - Derache - Bande à part - Éternellement Vôtre - Extraits (2)

Éternellement vôtre, on imagine facilement la tonalité de cet album.

Gao: Oui, ce sont des gags sur une entreprise de pompes funèbres. Mais on a essayé d’axer l’humour sur les personnages plutôt que sur la mort en elle-même. Je ne veux pas de gore, pas de sang. Ce sont deux personnes qui ont une entreprise à faire fonctionner.

Avec la sortie, vient le temps des premières dédicaces de l’album et on voit pas mal de gens devant votre stand.

Gao: Beaucoup de personnes de la famille mais aussi des inconnus. Quelques-uns. Et je dois faire des dédicaces pour des gens que je ne connais pas (il regarde la pile de BD à côté de lui).

Alors le scénariste nous vient de Montpellier, une collaboration au long cours, donc ?

Gao: Il y a deux ans, Derache m’a contacté par l’intermédiaire de Stédo. Il nous a mis en relation. Mais je n’avais pas le temps de m’occuper de la BD, j’avais tellement d’illustrations à faire à gauche et à droite. Mais il a tellement insisté que j’ai craqué et j’ai bien fait.

Jérôme Derache: C’est en effet grâce à Stédo. Un dessinateur était sur le coup dès le début mais il ne supportait pas la moindre remarque donc il m’a… lâché. Comme j’avais fait mes études de communication avec Stédo, je lui ai demandé s’il ne connaissait pas quelqu’un de talent et sympathique pour prendre le relais. Et Gao a accepté relativement vite.

Gao: Non, non. T’as du insister.

Jérôme Derache: Mais, au final, t’as craqué relativement vite.

Gao: Ça m’aurait embêté d’avoir fait les essais pour rien. (Rires)

Gao - Éternellement Vôtre - preview tome 2

Travailler avec du sang relativement neuf, j’imagine que ça donne d’autres perspectives.

Jérôme Derache: Gao a un talent fou! Sur certaines planches, je pensais qu’il galérerait. En fait, pas du tout. Il m’a sorti des trucs géniaux.

Il y a eu des difficultés pour dessiner certaines choses?

Gao: Oui. La plus grande apparaît quand, dans un gag, il faut répéter plusieurs fois des personnages dans une position relativement statique. Dans ce cas, il faut les faire vivre différemment. pour éviter d’être redondant. Il y a encore plein de gags qui se passent uniquement dans le bureau, mais je les ai laissés de côté.

Jérôme Derache: On va essayer de mettre de la vie dedans! De la vie… dans un monde de mort.

Vous êtes passé par Bande-à-part, jeune éditeur belge ?

Gao: Oui, j’espère vraiment que ça va marcher pour lui. Ça fait deux ans qu’il existe. David Canion, son créateur, est arrivé avec une série humoristique, Les Poêleurs. Il l’a proposée à plusieurs maisons d’édition mais personne n’en a voulu. Du coup, il a décidé, avec ses propres fonds de s’autoéditer. Et maintenant, avec ses moyens, il essaye d’en faire profiter d’autres auteurs.

Jérôme Derache: Franchement, heureusement qu’il est là. Il nous laisse vachement de liberté. Il veut qu’on fasse ce qu’on veut, et ça nous éclate. On ne pourrait vraiment pas en dire de mal!

Gao - Derache - Bande à part - Éternellement Vôtre - Extraits (4)

C’est un monde difficile ?

Gao: Ah oui, quand on voit le nombre de BD qui sortent chaque jour, ce n’est pas une mince affaire de s’y retrouver. La chance avec Bande-à-Part, c’est qu’il débute et qu’il est donc friand de projets. On croise les doigts pour que la maison d’édition décolle.

Autre belle histoire, celle que vous entretenez avec la fête de la BD d’Andenne, non ? Vous aviez votre stand avant même d’avoir un album à votre actif.

Gao: Oui, c’était au tout début, il y a 6 ou 7 ans. L’organisateur, Tony Larivière tenait une pharmacie. Un jour, un gars m’a dit d’aller voir le pharmacien avec mes planches. Je lui ai répondu que je n’allais pas débarquer dans une pharmacie avec mes planches ! Et, au final, je l’ai quand même fait. Tony a trouvé ça génial et il m’a invité sur la Fête de la BD à dédicacer des dessins, à en vendre alors que je n’avais aucun album. Ensuite, j’ai été à Angoulême avec eux. C’est devenu un festival fétiche, le premier. Ça me tenait à coeur d’y présenter mon album.

Une ambiance particulière ?

Gao: Oui, c’est convivial, je connais tout le monde. Et même si je ne vends rien, c’est agréable. En plus, ici, je rencontre mon scénariste pour la première fois. Montpellier, ça faisait loin sinon. Merci Internet !

Gao - Sketchbook - La grande Ourse (1)

Jérôme Derache: C’est ça qui est fou. Ça fait deux ans qu’on travaille ensemble et on n’avait pas eu l’occasion encore de se rencontrer.

Ça va, il n’y a pas l’air d’y avoir eu une déconvenue en vous voyant.

Jérôme Derache: On s’était quand même envoyé des photos. Mais au final, on se connaît.

Gao: Dans le même ordre d’idée, j’ai aussi travaillé avec un dessinateur québécois, je ne l’ai jamais vu. On devient copains par mails, et quand on se voit en face, ça fait bizarre. C’est comme quand tu draguais et que tu donnais des rendez-vous à des filles.

Mais avec Jérôme, j’ai trouvé le partenaire idéal. Non seulement il imagine des gags efficaces mais en plus ses story-boards sont bons et il n’est pas trop pointilleux. Du coup, je suis assez libre. Il ne m’a jamais demandé de recommencer!

Dans un tout autre genre, vous dessinez aussi pour le Journal des Enfants.

Gao: Chaque semaine, j’ai une commande de deux mascottes. Ça doit être humoristique mais pas non plus trop cru, il faut que ce soit adapté aux enfants de 12-14 ans et compréhensible. Ça fait deux-trois ans que j’y travaille.

Gao - Mascottes Journal des enfants - L'avenir

Pour l’anecdote, ça a commencé de manière inattendue. Pour la retraite de Jacqueline Minette, membre du service des ressources humaines des éditions de L’avenir. Elle était très appréciée, et comme je la connaissais un peu, on m »avait mandaté pour réaliser une carte de vœux pour son départ à la pension. Du coup, je l’avais conçue comme un petit livre reprenant la maquette du journal l’Avenir. À la place des articles, nous avions inséré quelques souvenirs marquants, des dessins humoristiques. Par exemple, elle disait tout le temps: « De wet is de wet! » C’était comique. Lors du pot de départ, un Powerpoint a également été projeté sur l’écran. Apparemment, mes dessins leur ont plu et, quelques temps plus tard, on m’a appelé pour renouveler et moderniser les mascottes du JDE et les décliner en deux personnages: un garçon et une fille.

Sur votre bureau, des Lagaffe mais aussi des voitures. J’imagine que ce n’est pas un hasard!

En effet, ce sont mes deux corbillards, ceux qui apparaissent dans la BD. Mais, il n’y a pas que ça. J’adore dessiner des vieilles voitures, celles qui ont des formes. Parfois, j’en fais la demande à mon scénariste. Ainsi, dans le prochain tome, il y aura un gag avec une Mustang.

IMG_1658

Gao - Van VW - Corbillard - BD

Naturellement, vous ne vivez pas (encore) du dessin?

Non, je travaille chez Quick! Du coup, j’essaie de me ménager des plages horaires pour travailler. Pendant tout un temps, quatre ans, je suis resté délibérément au chômage pour m’appliquer et améliorer mon dessin.

Et de temps en temps, je me permets des clins d’œil. Dans le premier tome d’Éternellement Vôtre, je me suis dessiné en compagnie de ma femme. Ma voiture y est aussi. Ce n’est pas si évident de caricaturer.

À côté de cette BD prenant place et gags dans la vie de tous les jours, sur votre site, on distingue surtout votre travail féérique, non?

La fantasy, c’est mon rêve ultime en plus de faire de la BD à temps-plein (rires). Mais j’aime la magie,donner  le pouvoir à l’imagination. Créer des trucs qui n’existeraient que dans ma tête, ça me plairait! J’adore dessiner des dragons, par exemple. J’en ai même dessiné un dans une case d’Éternellement vôtre. C’était comme faire rentrer un éléphant dans une deux chevaux! J’aimerais jouer en première division, pouvoir prendre une planche ou, soyons fous, une double-planche pour y faire un dragon majestueux.

gao 9

On vous souhaite un bel envol pour ce dragon! Merci à tous les deux, on vous souhaite un succès… mortel!

Propos recueillis par Alexis Seny

Gao - Derache - Bande à part - Éternellement Vôtre - Couverture

Série: Éternellement vôtre

Tome: 1 – Période Décès

Scénario: Derache

Dessin et couleurs: Gao

Genre: Humour, Gags

Éditeur: Bande à part (Page Facebook)

Nbre de pages: 40

Prix: 10€

Date de sortie: le 03/11/2015

En bonus, découvrez l’article paru dans L’Avenir:

Ainsi que le travail de Gao:

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