Macabre découverte sur le quai Saint-Bernard, la mort a frappé et un étudiant, fils d’un toubib du Boul’Mich, a commis l’irréparable. Un suicide qui ne l’est peut-être pas tant que ça et recèle bien des parts d’ombre. Une nouvelle enquête périlleuse s’annonce pour l’intemporel détective de choc, Nestor Burma. Un héros bien servi par Nicolas Barral (pour la deuxième fois sur la série popularisée par Tardi) qui s’est prêté avec entrain à faire revivre le côté 50’s enneigé d’un quartier qu’il a bien connu: le Quartier Latin. Interview.
Bonjour Nicolas. Au vu des tristes événements d’actualité, beaucoup de personnalités ou d’anonymes ont dit quel était leur Paris. Votre Paris, c’est lequel ?
Celui où je suis né, au milieu des années 60, pas très éloigné de celui que je dessine en adaptant Léo Malet. Un Paris de l’insouciance. Et puis, celui où j’ai fait mes études, au quartier latin d’ailleurs, ce qui nous ramène au Boulevard Saint-Michel, et à ses librairies BD où ma vocation est née.
Et celui de ce cher Nestor Burma ?
Un Paris de la IVème République, un peu étouffant pour sa jeunesse. Mais aussi le Paris de Robert Doisneau et de Jacques Prévert qui est un peu le Paris éternel, celui que les touristes ont en tête quand ils viennent le visiter.
Dans Micmac moche au Boul’Mich, nous voilà plongés dans le Quartier latin d’un autre temps, comment vous y êtes-vous pris pour l’évoquer et le faire revivre ? Beaucoup de documentation ?
Un mix entre des photos prises sur le vif, dans les pas du héros, et des photos d’époque pour respecter la topographie initiale. Les façades haussmanniennes n’ont guère changées, si ce n’est qu’elles ont été progressivement débarrassées de leur couche de suie visible sur les kodachromes en couleur qui ont servi de base à la palette de couleur utilisées. C’est au pied des immeubles, sur le bitume, la chaussée, là où s’agite la foule et où s’exerce le commerce que le décor a bougé: devantures de magasins, affiches publicitaires, voitures…
Près de soixante ans après sa parution, ce roman est encore adapté. Qu’est-ce qui explique cela ? La plume de Malet est intemporelle ?
C’est vrai que les problématiques que soulève le livre (racisme, avortement, drogue) sont encore actuelles, même si de notables progrès ont été faits. Mais les tensions perdurent, ce qui permet au lecteur de l’album de les toucher plus facilement du doigt.
J’imagine qu’il y a quand même un travail de remise au goût du jour, comme passez-vous du roman à la bd ?
Plus qu’une question de remise au goût du jour, le toilettage a consisté à adapter la matière romanesque au support de la bande dessinée. Le roman, très hivernal, comporte de nombreuses scènes d’intérieur assez statiques qui vont à l’encontre du mouvement nécessaire au dynamisme de la bande dessinée. J’ai donc pris l’option de mettre un maximum Nestor dehors, au risque de lui faire attraper froid. C’était un bon moyen de montrer l’arrondissement sous toutes ses coutures, ce qui fait parti du cahier des charges des nouveaux mystères de Paris.
J’ai aussi choisi de montrer le suicide de Paul Leverrier auquel le roman ne fait qu’allusion, et ce dès la première planche, de manière à ce que son visage et sa personnalité s’impriment dans l’esprit du lecteur afin que ce dernier puisse être en empathie avec le personnage à chaque fois qu’il serait fait allusion à lui au cours de l’enquête.Nestor Burma est finalement multi-supports et multi-médias, en livre, en bd, sur les écrans (petits ou grands), ce n’est pas le cas de toutes les fictions. Comment expliquez-vous cela ? Et qu’apporte la BD par rapport aux films ? Quelle est la richesse de la BD par rapport aux autres arts?
Dans le cas de Nestor Burma, la BD joue un rôle majeur. C’est Tardi qui a redonné de la visibilité aux romans de Léo Malet, ce qui a probablement déclenché l’envie des producteurs d’en faire les adaptations télévisuelles que l’on connaît.
Avez-vous éprouvé certaines difficultés sur ce tome ?
Pas vraiment. Le roman m’a porté, et, comme je vous l’ai dit, au quartier latin, j’étais en pays de connaissance.C’est le deuxième tome que vous confectionnez après Tardi, comment s’est passé la relève ? Votre trait est à des lieues de votre travail sur d’autres séries comme Philip et Francis ou Baker Street, comment passez-vous de l’un à l’autre ? Ce n’est pas donné à tous les auteurs ?
Tardi a été très respectueux de ma liberté d’auteur. L’exercice de style est intéressant puisqu’il oblige à entrer en intimité avec l’œuvre originale, à en comprendre les rouages. On en sort enrichi. Pour Philip et Francis, la problématique est un peu différente. Il s’agit d’un pas de côté avec l’œuvre de Jacobs où ma vocation humoristique peut s’exprimer sans trop de contraintes. Mais jongler avec tous ces univers n’est pas de tout repos, en effet.
En parlant de Philip et Francis ou Baker Street, est-il plus facile d’adapter au plus près une œuvre ou de la parodier avec éclat ?
Les deux exercices sont ludiques et complémentaires. Mais je suis quelqu’un de soigneux et j’essaie de pas abîmer les précieux jouets qui sont mis à ma disposition.
Il y a cet air de Tardi, aussi dans le dessin, forcément, c’était un défi de dessiner à sa manière ? Vous avez dialogué ensemble autour de cette reprise ?
C’est un honneur, surtout. Tardi n’est pas un bavard mais si j’étais sorti des rails, je crois qu’il se serait permis d’intervenir. Au final, je crois qu’il ne se sent pas trahi, même si j’ai mis ma patte dans son univers.
Avant cette reprise, vous étiez familier de Nestor Burma ? Quels autres enquêteurs ou détectives gardez-vous en mémoire ?
Oui, j’ai tous les Burma, en BD mais aussi en roman. Je suis également assez fan de Sherlock Holmes, comme vous avez dû le remarquer, et ne déteste pas Maigret, Poirot, Marlowe…
Avec Nestor Burma, c’était la première fois que vous signiez chez Casterman. Les différences sont marquées entre les éditeurs ? Qu’avez-vous trouvé chez l’éditeur de Tintin ?
J’ai eu un grand confort de travail que je dois au prestige de Nestor Burma et à l’ange gardien que Tardi est pour moi.
Vous êtes à la fois scénariste et dessinateur. Parfois, vous réunissez ces deux activités (c’est le cas ici, parfois vous les séparez en collaborant avec différents scénaristes et dessinateurs, qu’est-ce que cela vous amène-t-il ? C’est essentiel pour vous de varier les plaisirs ?
C’est l’occasion qui fait le larron. Ma carrière de dessinateur s’est construite sur les rencontres: Gibelin (sur les 3 premiers tomes des Ailes de plomb) qui était étudiant avec moi à Angoulême, Veys (Baker street, Philip et Francis) que j’ai croisé à Fluide Glacial, Benacquista (Dieu n’a pas réponse à tout, Les cobayes) qui m’a été présenté par Dargaud, Tardi que j’ai approché par Casterman alors en recherche d’un repreneur. Mes albums en tant que scénariste (Mon pépé est un fantôme) reposent sur ma grande amitié avec TaDuc qui cherchait alors à sortir du réalisme . Mais le dernier cap qui me reste à franchir est de m’écrire une histoire qui ne doive rien à personne.
Nestor Burma paraît en quotidiens avant l’album, cela conditionne-t-il le déroulé de l’histoire ?
Non, dans la mesure où j’essaie de toujours terminer une page par un mini suspense, ce qui rend aisée la césure entre deux parutions. La seule contrainte est de prévoir une pagination qui soit un multiple de 3.
Quels sont vos projets, à présent ?
J’ai entamé un nouveau one shot avec Benacquista.
On l’attend avec impatience! Merci Nicolas!
Série: Nestor Burma
Tome: 9 – Micmac moche au boul’Mich
D’après le roman de Léo Malet et l’univers graphique de Tardi
Scénario et dessin: Nicolas Barral
Couleurs: Nicolas Barral et Philippe de la Fuente
Genre: Polar
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 96
Prix: 16€
Date de sortie: 28/10/2015
Page Facebook: Nestor Burma la BD
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