Tous des crocodiles…. et ce n’est pas un compliment, pas de la diabolisation non plus!

C’est un livre événement, Les crocodiles, témoignage sur le harcèlement et le sexisme ordinaire de Thomas Mathieu, qui sort aujourd’hui. Événement, tant parce qu’il ne devrait pas exister de tels ouvrages en réponse à l’inhumanité ambiante et au harcèlement sexuel envers la gente féminine et notamment en rue; que parce que ce livre a vu juste sur le plan métaphorique. Oui, parfois fort pâle ou fort vert, nous sommes presque tous, qu’on le veuille ou pas, des diables de crocodiles, actifs et harceleurs ou passifs et laissant faire!

Premier dessin sur le Tumblr le 16 juilet 2013
Premier dessin sur le Tumblr le 16 juilet 2013

Explications: depuis quelques années, les femmes se rebellent un peu, ne se laissent plus faire. Sur les blogs (notamment le témoignage de Diglee, agressée à trois reprises, et son article Stop Harcèlement de rue qui fit énormément de bruit en juin dernier, partagé et repartagé, prouvant que le harcèlement sexuel n’est plus mineur mais bien banalisé, et encore plus en rue) ou dans les documents télés (avec un premier jalon posé par la belge Sophie Peeters et son Femme de la rue à Bruxelles, puis en France, et jusqu’il y a quelques jours avec 10 Hours of Walking in NYC as a woman). Un long fleuve tout sauf tranquille qui charrie de plus en plus d’indignation, surtout de la part des femmes, mais certains hommes, courageux, se lèvent progressivement.

Comme Thomas Mathieu, jeune auteur bd bruxellois, dont l’album de bande dessinée sort cetumblr_mq054ct0sO1sy17tso1_1280 vendredi. Marqué par les initiatives susmentionnées (et surtout le documentaire de Sophie Peeters, dans SA ville, Bruxelles), il a lui aussi apporté sa pierre à l’édifice, d’abord via un Tumblr Projets Crocodiles (qui continue d’ailleurs d’être actif. Avec, dernièrement, le témoignage d’une aventure arrivée à Cécile Duflot, actuelle ministre et auparavant députée parisienne, huée ors d’une assemblée parce qu’elle avait décidé de porter une robe) pour lequel il dessinait des histoires courtes directement inspirées par des témoignages véridiques de femmes, un jour ou l’autre, agressées, violées, attouchées. Le dessin sobre et sans excès de Mathieu permettant de rendre ces situations innommables et choquantes plus abordables que ce que pourrait permettre par exemple une vidéo ultra-réaliste et irregardable.

De plus, Thomas Mathieu y a apporté sa touche personnelle et sans équivoque: si les femmes gardent forme humaine, tous les hommes se sont métamorphosés en crocodiles, aux dents plus ou moins longues. Tous verts dans un monde en nuances de gris, plus ou moins engagés dans un processus de harcèlement (qui commence par un sifflement au coin de tumblr_mqayydk7mf1sy17tso1_1280la rue ou une blague gênante au boulot) plus ou moins poussés. Pourquoi le crocodile? L’auteur s’explique en introduction : « Bien sûr, tous les hommes ne sont pas des prédateurs. Le crocodile, c’est, pour moi, une image qui englobe, de nombreuses idées comme le privilège masculin, le sexisme, les clichés sur le rôle de l’homme et la virilité, et même la peur de croiser quelqu’un dans la rue sans savoir s’il va vous faire du mal. Si j’ai dessiné tous les hommes en crocodiles, c’est qu’il s’agit d’un problème de sociétés et pas de quelques cas isolés. » Du harceleur sans gêne au témoin qui n’ose pas s’interposer et participe, malgré la bonne conscience qu’il veut bien se donner, à faire du harcèlement (de l’agression sexuelle véritablement) un lieu commun. Auquel les femmes devraient peut-être s’abaisser pour mieux les laisser faire? Ouf, non!

Ainsi, rassemblant le meilleur (si on peut dire) de ces récits depuis juillet 2013, Thomas Mathieu voit son album aujourd’hui. Un bel album alliant le support au contenu: toute la tranche du livre est verte, ce qui fait indubitablement ressortir le livre et lui donne la couleur des livres importants. Car,tumblr_mwgpyr6fa71sy17tso1_1280 oui, Les Crocodiles marque un pas et en appelle d’autres. Et si les commentaires vont déjà bon train pour juger ce livre à sa couverture, le voyant comme un vecteur de la diabolisation des hommes (un peu comme ces commentaire pullulant autour de bandes-annonces de films comme La Marche, Indigènes ou autre Qu’Allah bénisse la France, les taxant de racisme inversé), il n’en est rien. Si Les crocodiles se veut d’être un condensé des pratiques déplacées vis-à-vis des femmes, il diabolise peut-être, mais uniquement les harceleurs, pervers et autres misogynes de tous bois. Les aidant à se remettre en question, à voir la réalité en place quand ils se croient tout permis et pleins pouvoirs (alors qu’ils sont purement et simplement des criminels). Mais aussi, à aider les témoins immobiles à sortir de l’ombre. Ainsi qu’ à rassurer et à fédérer ces femmes qui bien souvent se croient seules confrontées à des situations prétendument marginales mais pourtant généralisées. La BD se referme d’ailleurs sur quelques conseils et 4 postfaces de 4 personnes différentes et en contact de près ou de loin avec cette thématique.

tumblr_mvzoz680Ji1sy17tso1_1280Ne cherchant pas à tirer des larmes de crocodiles de ses lecteurs, Les crocodiles en impose et est d’ores et déjà un des témoignages essentiels et nécessaires pour lutter contre un véritable mal de ce siècle, une guerre masquée faite à un sexe. Et s’il n’y a pas de recettes miracles et que cet ouvrage (en quelque sorte somme) ne fait pas fi d’une certaine redondance au fil de la cent-cinquantaine de pages, d’ailleurs assumée par l’auteur, mieux vaut s’en rendre compte de manière dramatico-ludico-choquante comme le propose cette BD plutôt que de se voiler la face et que tout continue. Humaniste et témoin d’une époque où chaque fille devrait sortir camouflée, ce livre donne au moins une chance à l’éradication de cet insupportable harcèlement de rue et il le fait très bien, sans exagérer non plus! Entre souffrance et rires décomplexants, l’album vise donc juste, dans le bon format et avec le bon ton.

17/20

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Thomas Mathieu, Les Crocodiles. Témoignages sur le harcèlement et le sexisme ordinaire, Le Lombard, 174 pages, 17,95€ (à partir de 16 ans).

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