Johnson Mathey, Johnson Mathey, Johnson Math…, Johnson m’a TUER. Tuer socialement, comme des milliers d’entreprises, d’usines, de multinationales le font pour aller chercher des paradis dorés ailleurs où la main d’oeuvre sera moins chère et le bénéfice, maximisé. L’idée même fait frémir. L’idée, même, est devenue réalité, dans les journaux, dans les discours syndicaux, dans la bouche des ouvriers révoltés par si peu de considérations. Et désormais en BD avec Johnson m’a tuer (pas de faute mais une référence à l’épitaphe criminel “Omar m’a tuer”) de Louis Theiller.
Louis Theiller n’est pas un auteur de bande dessinée né. Durant des années, à peine s’est-il intéressé au Neuvième Art. Et le dessin, s’il l’a étudié, il n’en a pas fait une profession. Non, depuis 2007, il est employé dans l’usine bruxelloise de Johnson Matthey (une des cent plus grandes multinationales anglaises, leader mondial de l’exportation de platine et autres métaux précieux). Ou plutôt… il était employé, car le 31 janvier 2011, à 14h28 (c’est fou comme dans les moments les plus sombres, les heures sont retenues et les aiguilles arrêtées), le couperet tombe: Johnson Matthey se prépare à prendre ses cliques et ses claques et à s’en aller, sans prévenir, sans signe avant-coureur tant l’antenne belge est vue comme très performante. Pourquoi alors? Pour l’argent, pour augmenter des bénéfices pourtant gigantesques, en payant des employés moins coûteux… en Macédoine. Et laissant en Belgique, 300 employés (et 1000 personnes concernées) dépités et révoltés, en état de mort professionnelle.
Pourtant les hommes sont décidés à se battre, en manifestant, notamment. Ou à la force du crayon et du papier comme Louis Theiller. Ancien étudiant de dessin ne l’ayant jamais beaucoup pratiqué, il retrouve sa vocation et décide de décrire, de chroniquer la vie au jour le jour de cette usine au bord du précipice.
D’abord sur un blog (toujours en ligne) puis via des tomes/feuillets distribués toutes les trois semaines au sein de l’usine et pour être visible des médias. Et même si le crayon n’a pas dessiné un avenir meilleur pour cette usine, il n’en reste pas moins un formidable témoignage du combat d’un groupe d’hommes contre la folie ordinaire des magnats en quête de bénéfice absolu.Au fil des cases, c’est un récit différent de ceux relayés par les médias (qui, si les murs ont des oreilles, n’ont pas accès au coeur de l’usine et font parfois courir de fausses infos, comme la prétendue séquestration des dirigeants anglais) qui est dessiné: l’histoire d’un homme au plus près de la crise qui le menace lui et sa famille, la mise en place d’actions solidaires, des manifestations, les tentatives de part et d’autre de se soudoyer, etc.
Si le dessin témoigne du peu d’expérience de Theiller dans le domaine (ce qui est loin de déforcer l’oeuvre, que du contraire), l’important est surtout l’empreinte que laisse l’ouvrage, forte et intense, bouleversante. L’empreinte d’hommes qui n’avaient demandé qu’à travailler, jusqu’au bout, pour un monstre d’entreprise qui pourtant était leur vie et qui, finalement, ne leur a rien laissé! Un témoignage essentiel.
17/20
Johnson m’a tuer, de Louis Theiller (chez Futuropolis), 95 p.
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