
C’est qu’il aime la neige, la rudesse du décor et des éléments, Anthony Pastor. Alors que je ne l’avais pas suivi jusqu’au bout dans sa saga No War, le voilà de retour dans l’univers hostile et solitaire, quoique l’occasion (et les primes promises) fasse le larron, du western. Dans la femme à l’étoile, l’échelle du mal, des mâles en puissance, se heurte à la montagne, en compagnie de deux héros pour qui l’alliance ne coulait pas forcément de source.

Résumé des éditions Casterman : Fin du XIXᵉ siècle, nord-ouest des États-Unis. Dans un village abandonné assailli par la neige et le froid, deux fugitifs se rencontrent alors qu’ils cherchaient une planque où se faire oublier. L’hostilité et la méfiance des premiers temps laissent place à la curiosité puis à la complicité, lorsqu’ils affrontent ensemble les marshals venus les capturer. Car Zachary et Pearl portent chacun un lourd passé qui n’en finit pas de les poursuivre. Ils sont en lutte contre la société qui a juré leur perte et ils comptent bien résister de toutes leurs forces aux représentants de la « justice » qui viennent les assiéger.

Si les deux personnages sont en fuite, cela fait un bon moment qu’ils sont dans la nature quand Anthony Pastor nous les fait rencontrer à Promesa. C’est leur point de chute, de lutte, que l’auteur a décidé de montrer? Après, c’est la falaise, dure à escalader, en dernier recours. En dessous, c’est donc Promesa, une cité ruinée, faute d’avoir trouvé le filon, maudite sous la rage mortifère d’un curé, fantôme. Si ce n’est deux âmes brisées, forcées à faire ce que la société considérera comme l’innommable, l’irréparable, l’impardonnable. C’est pourquoi, la meute – oh, ils ne sont pas nombreux les loups qui se risqueront sur le territoire semé d’embûches des couguars – est à leurs trousses. Et Pearl n’entend pas faire de cadeau à Zachary quand il arrive dans ce qui est son horizon retranché mais également son purgatoire.

Une fois n’est pas coutume, pas de galanterie dans ce monde de brutes émaciées, c’est donc avec Zachary qu’Anthony Pastor entame cette longue marche dans le froid, dans la neige, entre les pierres. Extérieur-intérieur. Car le fuyard raconte ce que lui ont dit les trappeurs d’en bas sur ce recoin oublié du monde, mais pas du diable. Puis, il dit aussi par bribes son drame personnel. Qui se heurte à celui de Pearl, électrique même si tous les deux sont frigorifiés. Un round d’observation avant de se rendre compte que quitte à être dans la même galère, ils ont plus de chance de survie face à ceux, bien armés et vieux de la vieille, qui se prétendent du côté de la justice. À deux, ça double les chances de s’en sortir.

Puis, il y a plus d’idées dans deux têtes que dans une. Oh, certaines ne mènent à rien, à accélérer la mort peut-être, sans vraiment ralentir les marshals (un par criminel) et leurs alliés de circonstances. Mais d’autres pistes de défense, et donc d’attaque, relèvent tout simplement du génie. Anthony Pastor a trouvé une manière tout à fait originale pour tenir ce siège qui va tenir sur cent pages sur 258. Sans jamais perdre le lecteur de vue, avec des rebondissements, des attaques et des contre-attaques, des courses-poursuites (comme on peut, quand on a de la poudreuse jusqu’au-dessus des bottes), du blizzard.

Malmenant ses protagonistes, Anthony Pastor se révèle maître des lieux et des éléments (avec les armes graphiques pour en faire sentir toute l’âpreté), surpuissant, mais tout en finesse pour allier la forme et le fond pour parler de la violence à laquelle on peut être forcé et de la paix intérieure, à trouver chez ces deux forcenés, après un lot de cauchemars cinglants (des flash-backs oniriques et éprouvants baignant dans une pellicule de rouge, qui contraste avec le noir et blanc bleuâtre ambiant). De la rencontre à distance et méfiante à la symbiose voulue selon des lignes de vie (et de mort) similaires et par la résistance face aux bras armés d’une justice – trop lente et trouvant parfois la finalité plutôt que les racines du mal -, les deux héros ne sont pas flamboyants, mais vivants, désarmants et intenses. Parce que la mort, après ce qu’ils ont été obligés de vivre, serait un gâchis.

Dans cet album à la hauteur de son décor, vertigineux et dantesque, beau et effroyable, Anthony Pastor signe un très puissant western, crépusculaire et spectaculaire. Détonnant et surprenant. Saisissant, y compris dans la manière dont se tiennent ou s’écrasent, se nouent ou se libèrent les corps de ces personnages tous damnés, sans exception. Il n’y a ni bons ni mauvais, finalement, juste des humains, des points de vue, parfois corrompus par ce qu’on conçoit être bien ou mal, être juste ou pas, avec des retournements de veste, des doutes ou des certitudes. Surtout, des personnalités extrêmes comme les conditions de ces territoires dont on ne revient pas indemnes.

À lire chez Casterman.




















