Interview fleuve d’Amazing Améziane #1 : « Je me suis fait passer pour un agent d’illustrateurs avec 3 clients, quand ils voulaient 2 illustrateurs, je faisais le double du taf »

Héhé, il est un auteur francophone (mais pas que franco-belge) que nous adorons mais dont le rythme de mitraillette nous a empêché de chroniquer une salve de ces derniers albums (Quentin par Tarantino, Martin Scorsese, sa version de 1984, Nazi Killers, D’onyx et de bronze, exclusivement aux Éditions du Rocher, ces dernières années). Cet auteur, c’est Amazing Améziane. Et comme on sait qu’il n’a pas sa langue en poche, qu’il est franc, qu’il possède un talent monstrueux, divers styles confondus, et qu’en plus il fête ses 20 ans (et un peu plus) de BD dans une méga-exposition (600m2 d’expo sur 5 salles) au Château de Ladoucette, à Drancy (93) jusqu’au 2 avril; je me suis laissé aller à lui envoyer une série de questions marquant le coup et tous les pavés qu’il a publiés ces derniers mois. L’occasion pour cet Action Man brut de décoffrage mais ne manquant ni de culture ni de profondeur de se livrer sur ses premières années, ses premiers métiers, et d’ouvrir son coffre à trésor. Dans une interview en plusieurs parties. Action ! 

Bonjour Amazing, alors comme ça tu as 20 ans ? C’est tout jeune !

Hello Alexis, mais je suis encore tout jeune. Enfin du milieu des cuisses jusqu’en haut. Les genoux, eux, font bien leurs 20 ans à ramper dans les cailloux pour en arriver là où je suis… un mec qui fait le métier qu’il aime depuis 20 ans. Raconter des histoires.

20 ans de carrière et peut-être un peu plus ?

Yep, tu peux facilement rajouter 10 ans à faire l’illustrateur freelance et le directeur Artistique pour la presse et le graphiste mercenaire.

Tu vois De Niro dans Brazil. Harry Tuttle, le gars qui déboule chez toi un soir, qui plonge dans les tuyaux, répare tout et se casse direct. C’était moi quand je faisais les bouclage express pour les magazines, ça payait bien et j’avais du temps pour dessiner et mater des films. 3 films par jour.

© Amazing Améziane

 Des remords, des regrets ?

« Regrets, i had few,

Too few to remember.

but I did it MY WAY! ».

Tu ne peux pas regretter d’avoir fait tel ou tel choix si ensuite cela a créé une opportunité ou une rencontre décisive. Donc des regrets, non, pas vraiment.

Des fiertés ?

Mes fils. De loin, le meilleur truc qui me soit arrivé.

Comment es-tu arrivé à faire de la BD ? Un rêve d’enfant ?

Je ne voulais pas me lever le matin à 6 heures pour aller bosser à l’usine. J’aimais lire les Strange, je me suis dis que ça pouvait être un travail cool, la bédé. Pas trop dur comme job et tu peux même lire des comics pendant le taf, et personne ne peut rien te dire.

« Bah oui, BATMAN YEAR ONE, c’est de la doc.

C’est pas ma faute si t’as choisi un boulot qui te saoule… Maman. »

Résultat, je bosse tous les jours, souvent jusqu’à minuit ou 1h. Mais j’aime ça, alors je vais avoir du mal à me plaindre. Un « vrai taf » je sais ce que c’est.

Avec quelles idoles ?

Je peux faire un TOP 200 ? Allez, je vais être sympa, juste les plus importants:

Frank Miller, Bill Sienkiewicz et OTOMO.

© Amazing Améziane

Miller m’a appris tout ce qu’il y a savoir sur l’écriture Comics.

J’ai passé des jours entiers à tenter de piger comment il fait ses histoires, les rythmes, la structure, les voix des persos, la densité de texte sur une page, le type de lettrage. Mais surtout la construction des histoires. J’ai analysé à mort DAREDEVIL – BORN AGAIN, BATMAN – YEAR ONE et ELEKTRA ASSASSIN et je voulais utiliser cela et l’adapter des polars.

J’avais acheté des comics de Year One et Elektra Lives Again, en version souple et en french, pour les griffonner de notes. Cela m’a beaucoup appris.

Le premier tome de GIVE ME LIBERTY est une pure merveille.

Give me liberty © Frank Miller

Pas un mot de trop, pas une image qui dépasse. En même temps quand tu as le scénariste de DARK KNIGHT RETURNS et le dessinateur de WATCHMEN, tu vas pas avoir une aventure de Blake & Mortimer ou Lapinot.

Les comics des années 90 m’ont brûlé la rétine et VERTIGO a changé ma vision des choses pour toujours. GARTH ENNIS est désormais mon scénariste préféré. Le premier numéro de PREACHER est aussi une merveille, une machine si bien huilée que j’ai pris l’habitude de regarder ce qu’il faisait à la loupe. Ses structures d’histoires sont presque mathématiques tant elles sont parfaites et limpides. Ensuite, il rajoute des dialogues qui déboîtent et des blagues de cul et c’est bon. UNKNOWN SOLDIER est si bien construit que cela m’a montré la voie pour enfin avoir le courage d’écrire mes histoires.

J’ai noirci des cahiers entiers de diagrammes, de notes, d’analyse de structure.

Lire des livres ne suffit pas, il faut aussi faire ses devoirs.

Mais aussi aller chercher là où les grands maîtres modernes sont allés piocher leurs influences ; la littérature, le cinéma, l’art moderne, la publicité du début du siècle jusqu’aux années 70. Après la pub, c’est de la merde. Pareil pour les posters de films, après les 70’s, c’est foireux.

DARWYN COOKE est aussi une énorme influence.

Nous avons eu le même parcours, illustrateur et DA dans un magazine, puis ras le bol et on a lâché un boulot bien payé pour faire du Comics. Avec Darwyn, nous partageons un amour pour le graphisme qui se retrouve dans nos livres. Faut voir comment les covers de PARKER sont sublimes aux US, et ici, c’est de base. Nous avons aussi lui et moi un amour pour le polar. Et une certaine franchise…

© Darwyn Cooke

Outre vos albums, vous avez été graphiste et illustrateur pour des parutions comme Libération, Les Inrocks, DS Magazine, BIBA, TODAY in ENGLISH, MEN’S HEALTH… Mais aussi pour les labels musicaux Barclay et Sony. Ça en jette sur le CV, non ? Qu’avez-vous fait par exemple ?

 

© Amazing Améziane

Bosser comme freelance, ça apprend le métier, quand tu as eu une centaine de clients, des grosses boites ou des petits rigolos, tu as assez d’expériences pour gérer ton stress et surtout les lubies des clients. Tu es un artisan, tu vends de l’Art, mais tu as une obligation commerciale et des deadlines. L’échec n’est pas une option.

Tu deviens plus malin et plus organisé.

© Amazing Améziane

Être un auteur de BD, c’est pareil. Des fois, tu bosses pour l’éditeur ou le scénariste, tu dois gérer tout ce petit monde et rendre à l’heure ton travail… avec autant de qualité, que l’éditeur aura jugé que ton travail est censé valoir. C’est à dire « plus tu me paies, plus je bosse. »

Il faut donc se fabriquer un style « service minimum » qui puisse être produit assez facilement, mais il faut qu’il soit assez bon quand même au cas où un futur client découvre ton travail comme ça pour la première fois. Quand je faisais le découpage de mes albums, certains éditeurs étaient fous de joie, l’un d’entre eux m’a même dit : « Franchement je pourrai imprimer ça sans problème ».

On n’est jamais aussi bon que son « service minimum ».

Pour être un auteur de BD, il faut avoir 3 qualités ;

– Être RAPIDE (tenir les délais).

– Être SYMPA (ne pas faire sa Diva)

– Être BON (vendre des livres).

Tu en dois avoir obligatoirement 2 sur 3 pour avoir une carrière dans la BD/Comics.

Et comme les TROIS MOUSQUETAIRES ne seront au complet que lorsque D’Artagnan arrive, le dernier truc dont on a tous besoin c’est… la Chance!

© Amazing Améziane

Vous avez œuvré pour des stars de la chanson ? De la pub, aussi ?

J’ai bossé pour un studio de graphisme pendant un an, pour Yves St Laurent, LVMH, mais surtout pour des labels de musique.

J’ai fait une pochette pour un single de Brigitte Fontaine (pas terrible) et une autre pour Etienne Daho qu’il voulait dans le style de Corto Maltese. Un job super cool mais… ils m’ont laissé moins d’une journée et ont chopé le croquis au lieu de me laisser faire un truc finalisé à la HUGO PRATT pendant une semaine.

Cela m’a juste donné encore plus envie de bosser pour juste moi.

Raconter mes histoires. Dessiner ce que. je veux et faire le graphisme de mes livres. Comme chantait BJORK, être une « Army of One. »

La seule pochette de disque que j’ai aimé faire fut pour un album de techno (k-hand [ready for darkness]), j’ai récupéré mes photos prises à Tokyo la nuit. Ce qui est drôle est qu’il n’y a pas de vraie couverture. Le recto et le verso ressemblent tous les deux à un recto avec le code barre et le track listing SUR la couverture. Donc quand on attrape le disque, on est perturbé car on pense l’avoir pris à l’envers et on le retourne. Et là, on se rend compte que l’on peut jouer avec le design. Dans le milieu techno, on pouvait faire plus de trucs sympa question graphisme. Pas juste coller une photo foireuse de l’artiste et une helvetica.

 Pour faire son chemin dans la BD, il ne faut pas avoir peur de se lancer seul, de s’autopublier pour forcer le destin ?

À l’époque, les fanzines, c’était le max que tu pouvais faire sans avoir de la grosse thune. Et j’avais bien pigé que je devais faire mes classes et toutes mes erreurs avant de signer mon premier livre.

Ce qui ne m’a pas empêché de faire toutes les erreurs possibles sur mon premier livre, quand même.

Il y eut la revue Golgoth, par laquelle tout a commencé. C’est quoi Golgoth ? Ça a à voir avec votre BD Golgoth Aqua Tek ? 

GOLGOTH (les méchants robots du camp de la Lune Noire dans Goldorak, mais aussi le Mont Golgotha où a été crucifié Jesus), un mélange de Culture et contre-Culture.

C’était un magazine qu’on avait monté dans notre école de dessin entre potes. Au début en photocopie – j’avais une photocopieuse chez moi, un truc dément que j’avais fait trafiquer pour virer la marge de sécurité, donc je pouvais imprimer des aplats noirs à bords perdus.

La qualité du noir était superbe, tout  le monde croyait qu’on faisait ça en OFFSET (impression professionnelle chez un imprimeur). Et en bonus, j’avais une encre supplémentaire rouge. C’était une machine hardcore, je pouvais passer tous les papiers dedans. Du coup, nous avons imprimé sur du papier recyclé, sur du calque et aussi sur des transparents et en DEUX couleurs. Nous étions dans le délire typo avant-gardistes.

Nous avons scotché des feuilles d’arbres sur une page de titre.

Nous avons collé de la trame de couleur.

Et, ma grande fierté, nous avons collé 2 feuilles A4 ensemble.

Au centre, invisible, il y avait un dessin d’orgie.

Et ne pouvait le voir qu’en transparence à la lumière.

C’était assez fou. C’était « GOLGOTH, LE MÉGAZINE » . Nous avons fait 3 numéros. N°Zéro, N°1 et N° 1 et demi.

Après mon école de dessin, j’ai refusé de travailler dans la pub et j’ai pris une année sabbatique. J’ai bossé mon dessin et mon style de graphic designer pour avoir un book pro. J’ai fait plusieurs versions de ce GOLGOTH n°1 et demi. La version finale fut la V3.3. On en faisait imprimer un bon nombre et on vendait tout direct dans les salons de BD. Une fois, on a fumé le stock en 30 minutes. Il n’en restait même plus un pour nous. J’ai à la maison un seul exemplaire que je garde précieusement.

C’était tellement balèze graphiquement, que c’est ça qui m’a permis de taffer direct dans la presse magazine en sortant de l’école. Ils ont vite pigé que le dicton « Qui peut le plus, peut le moins » s’appliquait à moi et que je pouvais rentrer sans problème dans leur mise en page de pseudomickey de style école suisse. J’avais 2 carrières en même temps, graphiste mercenaire et illustrateur. Des fois, dans le même magazine. J’avais un book avec 3 styles très différents (déjà) et les DA ne comprenaient pas ça à l’époque, alors je me suis fait passer pour un agent d’illustrateurs avec 3 clients. Quand ils voulaient embaucher 2 illustrateurs en même temps, je faisais le double du taf et je leur expliquais la situation. Ah, ça les faisait beaucoup rire.

© Amazing Améziane

J’allais voir un magazine pour des illustrations et ils m’embauchaient comme graphiste et quand je bossais comme graphiste, ils me commandaient des illustrations. Je payais mon loyer, « par tous les moyens possibles » comme disait Malcolm X, et j’avais grave du temps pour lire du MILLER et PREACHER en attendant de faire mes propres livres.

Quand nous avons fait notre premier album, ça devait être CLAN 2039 (il y avait 5 tomes prévus de CLAN et c’était le dernier), mais j’ai changé l’histoire et le titre est devenu G.A.T. (GOLGOTH AQUA TEK). On avait signé pour une série et j’ai passé 6 mois à écrire les 6 tomes pendant que Corentin SHTL construisait les décors et surtout les MECHAS en 3D.

© Corentin/Amazing Améziane

On voulait faire du MANGA/COMICS/ANIME sur papier en format BD, et of course, ce p’tain de format 44 pages cartonné était un enfer. Les pages sont trop grandes, il n’y en a pas assez et tu ne sais pas quand sortira la suite… L’éditeur s’est planté dès la première année, il n’y a pas eu de suite. Mon pote est parti bosser dans la 3D comme un pro, je pleure de voir son niveau maintenant… si seulement on avait réussi à continuer. Mais il ne faut pas avoir raison trop tôt, ça fait un peu mal du cul.

© Corentin/Amazing Améziane

Après la sortie du livre dans l’ignorance la plus totale et la faillite de l’éditeur et donc la fin prématurée de G.A.T. (alors que j’avais découpé le tome 2 en entier), pour un premier album , ça t’apprend bien vite l’humilité et la fragilité de notre écosystème. Ce que j’ignorais, c’est que ce n’était que le début et j’allais assister à plusieurs chute d’éditeurs, condamnant ainsi presque tous mes premiers livres pendant 10 ans.

J’avais immédiatement corrigé toutes mes erreurs de débutant sur G.A.T. en remontant le livre en version COMICS. Juste pour moi. Je l’ai revendu à KSTR, mais le label a fermé avant qu’ils puissent le publier.

J’ai réécrit toute l’histoire une dernière fois en 2019 et ça s’appelle maintenant MASTAKI. Je bosse pour trouver un éditeur pour ce livre. J’ai 130 pages sur les 180. Et les mechas sont toujours aussi balèzes, même 20 ans après leur création. Moi, par contre je me suis considérablement amélioré.

 

(à suivre)

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