« Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n’est pas là et le soleil attend Ici-bas, souvent chacun pour sa chacune Chacun doit en faire autant La lune est là, la lune est là La lune est là, mais le soleil ne la voit pas Pour la trouver, il faut la nuit Il faut la nuit mais le soleil ne le sait pas et toujours luit Le soleil a rendez-vous avec la lune Mais la lune n’est pas là et le soleil attend »(Charles Trenet)

Onze ans (!) après la sortie du second et dernier tome de cette saga des origines, Les Orphelins, oeuvre qui aurait pu mettre sur orbite Cyril Knittel mais n’a fait malheureusement que confirmer sa rareté, ressort dans une intégrale. Une histoire dont le sens est sans doute encore plus fort en un one-shot, format qui respecte la volonté initiale de l’auteur, que dans la lecture de deux volumes bout à bout. Coup de coeur intemporel.
Résumé de l’éditeur : Cette histoire se déroule au commencement du Monde. Dans un monde plongé dans une nuit sans fin, habité par des animaux doués de parole, vivent Fêne et Tïa, les Orphelins, seuls représentants de leur race. La vie s’écoule paisiblement pour eux, jusqu’au jour où une mystérieuse rencontre va affecter Tïa, qui décide de partir pour trouver des réponses… Accablé, désespéré et seul dans un monde où règnent désormais la mort et la famine, Fêne reste seul. Qui sont ces Orphelins? Quel est le secret de leur origine? Quelles relations entretiennent-ils avec le monde? Les animaux semblent en savoir plus long qu’ils n’en disent.

Hé hé, y’a pas que la Bible qui peut expliquer symboliquement l’évolution de notre monde. Pourquoi les dieux ne seraient-ils pas dans les éléments qui nous entourent depuis l’aube des temps. Dans cette forêt, cette jungle même, sans âge, dans laquelle nous entraîne Cyril Knittel, les conventions humaines sont réduites à leur plus simple expression: deux petits bouts d’homme en tenue d’Ève et d’Adam. Minuscules enfants, jeunes pour toujours et pour qui chaque nuit (si la notion existe) est un éternel recommencement, un amusement, de liane en liane. Sans vertige, car sous leur crinière, il y a des ailes. Ils sont éternels et éternellement seuls, sans se douter que, dans ces reflets bleutés et verdâtres sublimes, il y a un peuple de tous poils, toutes mandibules et toutes plumes qui veille. Et si vous pensez que cet album, à première vue enfantin, peut convenir à vos enfants, accompagnez-les bien dans la lecture, car il y a l’un ou l’autre moment trash. La vie sauvage quoi, avec ses clans et ses luttes de pouvoirs. Les humains n’en ont pas le monopole.

Mais pour l’heure, tout est paisible, sans que le lion ait eu besoin de mourir ce soir. La nuit est propice à la vie. Ça grouille. Et sous un chapeau de magicien, tortueux comme un arbre qui cherche la lumière, un sinistre individu avance vers Tïa et la change à jamais. La fin de l’innocence. Fêne n’était pas prêt et Tïa est irrésistiblement attirée vers l’ailleurs pour peu qu’il y en ait un. Et c’est le début de la fin ou du commencement. Car tout l’environnement s’ébranle depuis que Tïa est partie et n’est pas revenue. Fêne doit partir, lui aussi.

En racontant les quêtes et les initiations de ces jumeaux qui sont deux enfants perdus, quelque part, Cyril Knittel réussit une magnifique odyssée, âpre parfois, enlevée tout le temps, jouant avec les reflets et les apparences. La surprise finale n’en est que plus belle. En attendant, les personnages sortent de leur bulle de confort et traversent les mondes, les épreuves, se trouvant des alliés et découvrant des sentiments inconnus. Des couleurs aussi. Car Knittel, avec son style qui évoque Crisse ou Jim mais fait valoir une vraie patte et une vraie identité, s’avance dans la lumière avec beaucoup d’audace, de créative et de sensations mortelles ou divines. Dix ans plus tard, l’auteur explique, sur le forum de BDGest, avoir « fait un re-travail numérique de toutes les cases qui en avaient besoin (de mon point de vue): nettoyages, équilibrages, ajouts, améliorations. J’ai fait en sorte de ne pas modifier le contenu originel et de rendre ses modifications aussi discrètes que possible. » C’est juste bluffant.

Reste à espérer que ce récit fondateur rallume concrètement la flamme de l’auteur et qu’il nous entraîne dans d’autres mondes aussi beaux et évocateurs que celui-ci. Manifestement, il a plein de projets. Toujours sur BDGest, il explique: « Des histoires, j’en ai plein: un dark fantasy bien raide et totalement achevé (dans ma tête), un scénar bouclé de mythologie grecque et un road-movie animalier avec un renard noir que j’aimerais faire à la manière d’un manga (en construction). Mais en cours? Non, malheureusement. Chat échaudé craint l’eau froide. Depuis quelques années, je travaille dans une belle médiathèque, avoir un salaire fixe (même modeste), de la liberté, des moyens et un sentiment d’être utile: quel repos pour l’âme. Pour autant je n’ai jamais fermé la porte à la bande dessinée. Retravailler sur cette intégrale m’a fait très plaisir. Que cette histoire retrouve un nouveau souffle et un nouveau public également. Tout ça m’encourage à (vous savez quoi). Cette ressortie éditoriale sera peut-être la petite impulsion qui me manquait pour me relancer sérieusement dans un projet. » Souhaitons-le lui.

À lire chez Paquet.