
L’empire Zidrou continue de s’agrandir à force de visiter les univers littéraires et de dessinateurs. Et les albums s’enchaînent, singuliers et souvent originaux (à défaut, pour une poignée, d’être toujours réussis). Nouvelle association inédite, cette fois, avec Paul Salomone (que Wilfrid Lupano, autre stakhanoviste bien inspiré, avait propulsé avec la série L’homme qui n’aimait pas les armes à feu) autour d’un conte des mille et une nuits qui tourne au trash mais auquel survit ce qui fait le sel et l’essentiel de la vie terrestre, et le chant des oiseaux. Ça ne vous laissera pas indifférent, j’en mets ma main à couper.


Résumé de l’éditeur : Dans le paisible royaume de Shandramabad, un roi meurt, laissant sa femme Shikara, enceinte de jumeaux. À la naissance des enfants, la reine leur offre à chacun un oiseau-volcan, animal au plumage magnifique. Hélas, ce cadeau signera la perte de son fils Gorakh, qui fait une chute mortelle en suivant l’oiseau dans son envol. La mère, ravagée par la douleur, ne supporte plus le chant d’aucun oiseau ; elle ordonne de faire tuer tous les volatiles du pays, qui sombre alors dans la tristesse, le silence et la maladie. Elle bannit tout bonheur et tout plaisir de sa vie, si bien que quand elle surprend sa fille, la princesse Jalna, dans les bras d’un vulgaire voleur, elle le condamne à un sort terrible. Jalna va alors affronter son destin et sa mère autoritaire, cruelle et folle de chagrin.


Ah les sentiments humains, c’est fou comme ils sont capables de nous pousser à faire tout et n’importe quoi, le meilleur et le pire. Aussi imprévisibles soient-ils. Car tout se passe bien, puis, un jour, tout se renverse. Et, sans doute, la mort soudaine et injuste est-elle l’une des sensations glaciales qui est le plus capable, si vous n’êtes pas bien accroché, bien entouré (comme on peut ne pas l’être dans une tour d’ivoire), de vous faire sombrer dans la folie, entraînant d’autres morts.


À cause d’un oiseau, être de lumière, la reine Shikara a perdu une de ses moitiés, elle va tout faire pour enfermer l’autre, la princesse Jalna, l’isoler et en plus garantir qu’aucun oiseau ne lui volera à son tour sa vie. Petits ou grands, communs ou rares, elle fait assassiner tous les oiseaux. C’est le début de la faim, puisque la voie est royale pour les insectes. Et pour Jalna, privée de ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. C’était sans compter un coquin de sort, qui l’a où il peut défaire des vies, peut leur donner sens. Et c’est ainsi qu’un voleur, pas uniquement cupide, rencontre Jalna et lui donne un peu d’aise au coeur de sa cage.


De la fulgurante douleur au délire inconsolable comme seuls les puissants en ont les moyens, Zidrou et Paul Salomone nous entraînent dans cette légende orientale, inventée de toutes pièces et sans succomber aux bons sentiments de Disney (car oui, il y a une scène insoutenable dans cet album), en huis clos mais avec échos dans le vaste monde. Car le combat entre le bien et le mal (qui sont des états plus que des personnages) se mène à distance, avec de jolies et poétiques pirouettes Et une solution trouvée, à cet enfer aux mille étoffes et couleurs chatoyantes, absolument géniale. Dans ce conte qui pourrait tenir sur dix pages mais qui en compte 90, Paul Salomone tient la longueur et retrouve tout le charme dont il faisait preuve dans son Des plumes et Elle. C’est beau, c’est vivant, c’est puissant.

À lire aux Éditions Daniel Maghen. Et pour les amateurs, des originaux sont en vente sur le site de l’éditeur-galeriste.