
Spirou est sans doute le héros européen à avoir connu le plus de vies parallèles, suivant l’imagination de tous les auteurs qui, dans la série originelle ou dans les collections one-shot, lui ont un jour prêté, vie, traits et couleurs. Alors, niveau schizophrénie, il est blindé, bien plus que vous et moi. Pourtant, c’est bien à l’asile psychiatrique qu’il se retrouve, dans une nouvelle aventure à part signée Jul et Libon et placée sous le signe méta et de ce gros bêta de Fantasio. Ben oui, il n’y a qu’à Angoulême que les gens ont le virus de la BD, à tel point qu’ils prennent le gros nez et l’onomatopée toute l’année.

Résumé de Spirou chez les fous des Éditions Dupuis : Aaaaah… Angoulême ! Son festival, ses bédéphiles, sa belle humeur bon enfant et ses fous enfermés à l’hôpital psychiatrique depuis qu’ils se prennent pour des héros de BD. Oui oui, vous avez bien lu : une grave épidémie frappe la capitale mondiale du neuvième Art ! Avec des Angoumoisins, des Angoumoisines qui se prennent pour Snoopy, Largo Winch, Obélix ou Mafalda ! Même Fantasio a été touché et se trouve depuis enfermé dans un étrange institut pour aliénés… Et vu que l’album où Spirou abandonnera Fantasio n’est pas encore dessiné, notre groom va, bien sûr, tenter de sortir de là son ami !

Hé hé, Jul se rachète. Après m’avoir déçu, laissé sur ma faim, avec le dernier Lucky Luke, il semblerait qu’il soit bien mieux dans son élément avec Spirou. Qu’il entraîne dans une farce de bout en bout mais qui tient la route et le délire. Il faut dire qu’il a un bon compagnon pour voler au-dessus d’un nid de coucou, en la personne de Libon. Alors, je dois vous l’avouer, là où beaucoup sont épris de sa poésie et de son monde très particulier, enfantin tout en étant bourré de l’esprit, j’ai toujours eu du mal avec le trait de ce dessinateur.

Avec, dans les mains, un personnage aussi iconique que Spirou, je me suis pourtant laissé gagné par la folie de ces deux auteurs en parfaite osmose, dans le texte et les dessins. La magie de cette enquête, dans laquelle Spirou est pris à son propre jeu et pourrait bien être mis sous traitement, tient surtout aux protagonistes secondaires, dans laquelle les bédéphiles de près ou de loin (et les collectionneurs) se reconnaîtront, qui n’ont rien d’héroïque. Ce sont des messieurs et mesdames tout le monde qui, sous l’effet de l’épidémie (le syndrome non pas de Paris ou de Jérusalem mais d’… Angoulême – sic!), se prennent pour quelques-uns des héros de chair et de papier qu’on a tant aimé. Y compris de la concurrence (vous savez ceux qui refusent d’habitude toute utilisation de leur héros autre que leurs rééditions à l’envi… mais qui n’auront ici pas leur mot à dire, c’est de la parodie, de l’évocation). Même pas peur.

Sous le joyeux foutage de gueule, on perçoit un réel amour et hommage à la BD dans tout ce qu’elle a de fédérateur et de matière à se projeter. Et Jul et Libon réussissent parfaitement à faire de ce lieu lamda, un hopital pas comme les autres mais dont les murs ne trahissent rien, un vrai terrain d’aventure et de péripétie, de course-poursuite et de dialogues très rafraîchissants. Une belle réussite, vraiment à part dans le Spirouverse tant elle parle de nous, amateur du Neuvième Art et de toutes les émotions qu’il procure. Désopilant.
À lire chez Dupuis.