D’Ostende 1905 au Coq 1933 : entrE(n)sor à la côte belge, dans l’ombre d’Einstein ou de Léopold II, la petite histoire ne tient pas en place dans la Grande Histoire

© Miel/Deville/Marquebreucq chez Anspach
Illustration © Wozniak

Il y a BD patrimoniale et bd patrimoniale. Si les Éditions Anspach font du neuf avec du vieux (et le font bien), elles ne le font pas pour rééditer les exploits de la bande dessinée en ces temps héroïques (encore que, il y a la noble Ligne Claire dans ces récits) mais plutôt pour retrouver quelques instants passés et perdus d’une Belgique d’hier ou d’avant-hier. Emmenés par le succès des aventures de Kathleen dans le Bruxelles de 1943, 1958 ou 1967, Nicolas Anspach et sa belle écurie ont décidé de prolonger le plaisir, entre histoire et fiction, du côté d’autres villes ayant marqué l’histoire. Ostende et Coq-sur-Mer, avant d’autres? 

Résumé des Éditions Anspach pour Ostende 1905 : Ostende, 1905. Une grande effervescence règne dans la station balnéaire. Le roi Léopold II arrive bientôt. Le Shah de Perse Mozafafred-ed- Din sera l’hôte de sa Majesté. L’émissaire du Shah a été assassiné dans sa suite de l’hôtel Royal Palace. Juste avant l’arrivée du Roi, on a déversé des dizaines de maquereaux devant le Chalet Royal ! Le cadeau est accompagné d’un pamphlet à l’attention de la « mère maquerelle » du Roi, la catin Blanche Delacroix. Certains milieux n’apprécient guère la venue à Ostende de la maîtresse du Roi, enceinte de leur premier enfant. Le séjour du Roi promet d’être à haut risque ! Hendrikus Ansor, le Commissaire de Police, est saisi de l’enquête. Il la mènera tant dans les lieux prestigieux où le Roi a ses habitudes que dans les coulisses moins reluisantes d’Ostende. Inutile de préciser que le Roi n’apprécie pas ce désordre quelques jours avant l’arrivée du Shah.

Résumé des Éditions Anspach pour Coq-sur-Mer 1933 : Lorsque Hitler accède au pouvoir en Allemagne, le 30 janvier 1933, Albert Einstein s’inquiète que ses travaux ne tombent pas entre les mains des nazis. Il se réfugie, avec son épouse et leur entourage, à Coq-sur-Mer, une petite station balnéaire belge. Mais le Reich traque le physicien. Des agents projettent d’enlever Einstein pour le contraindre à reprendre ses recherches à Berlin. Pourquoi l’Allemagne nazie porte un tel intérêt à ses travaux ? Et que cache la soudaine curiosité d’Einstein pour l’univers pictural du peintre expressionniste, James Ensor, qui vit à Ostende ?

© Anspach

D’un côté, le roi Léopold II; de l’autre Albert Einstein, rien que ça. Ce sont des figures marquantes, en bien ou en mal, du siècle dernier, qui sont ici convoquées. Et c’est ainsi qu’une toute petite ligne biographique sur une ligne du temps bien fournie, devient une grande aventure, pleine de péripéties et, donc, d’un voyage dans le temps. Baudouin Deville comme Olivier Wozniak réussissent la reconstitution du Coq ou d’Ostende, chacun dans leur style, avec de la vie et le goût du haut en couleurs. Avec des personnages de caractère qui ont du répondant, dans un beau mariage entre les personnages véridiques et ceux inventés. C’est le défi de ce genre de récits: réussir à ce que les protagonistes sortis tout droit de l’imagination des auteurs ne fassent pas pâle figure face aux colosses ayant réellement existé et dont le lecteur a déjà pu lire la vie en bien d’autres endroits. Ici, le combo fonctionne et est même délicieux.

Illustration © Wozniak
© Miel/Deville/Marquebreucq chez Anspach

Avec, comme pierre angulaire, qu’il le veuille ou non, le mythique James Ensor, dont la peinture et les masques transcendent les âges. Au Coq, Rudi Miel interroge la liberté et fait peser de tout son poids le dilemme d’Einstein: pour ne pas mettre entre les mains de l’ennemi (qui jusqu’il y a peu était son compatriote) une arme incontrôlable, doit-il faire fi d’années de recherches?

© Miel/Deville/Marquebreucq chez Anspach
© Miel/Deville/Marquebreucq chez Anspach

Entre espions et bodyguards, à deux pas de la plage, le scénariste joue de la fiction pour faire se rapprocher deux grands créateurs dans leur domaine et offrir à Baudouin Deville et Bérengère Marquebreucq (l’excellente coloriste, toujours très affûtée pour saisir les meilleures ambiances et apporter à l’histoire) un vrai terrain de jeu, intrigant et à suspense, sans prendre le risque de changer le cours de l’histoire. Mais puisqu’il y a des mystères, pourquoi ne pas l’investir d’une interprétation rocambolesque mais pas insensée.

Recherches © Wozniak
Recherches © Wozniak

Ostende 1905 est fait du même bois, avec aux commandes un Patrick Weber qui taille un peu plus un costard à Léopold II, désagréable personnage ayant tous les pouvoirs. Y compris de tout savoir. La pression est donc sur les épaules d’Hendrikus Ansor (la moustache frétillante, bien plus que celle de l’émissaire du shah, saigné dans son bain) face à un serial killer qui entache la réputation de la Reine des plages. Entre attentats artistiques (tiens tiens, déjà en ce temps-là) et autres pouvant être meurtriers, sans oublier la dénonciation d’un souverain belge qui se prend pour Zeus et a une nouvelle conquête extraconjugale… qui ne plaît pas, il y a fort à faire pour le commissaire.

Illustration © Wozniak
Illustration © Wozniak
© Weber/Wozniak/Cynthia du studio Cerise chez Anspach

Il faut le voir hâter le pas : le personnage est bien campé, bonhomme et marrant avant qu’il n’ouvre la bouche, par Olivier Wozniak. L’heure est grave mais le sourire reste de mise tout au long de cette enquête, qui ne passe pas à côté des arts de la table forcément marins et de la peinture d’Ensor (encore lui). Moyennant l’un ou l’autre saut d’un lieu à l’autre un peu invraisemblable, cette épopée dans un mouchoir de poche fonctionne du tonnerre et a tout ce qu’il faut là où il faut.

© Miel/Deville/Marquebreucq chez Anspach
© Weber/Wozniak/Cynthia du studio Cerise chez Anspach
© Weber/Wozniak

À lire aux Éditions Anspach.

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