Roger Eno est un compositeur et pianiste britannique dont le style distinctif en tant qu’artiste d’enregistrement entre musique ambient et classique a attiré un certain culte. L’année dernière, il a fait ses débuts sur Deutsche Grammophon avec Mixing Colors , son premier album en duo avec son frère, Brian, qui a connu un grand succès. Ce mardi soir il se produisait à La Rotonde du Botanique pour le plus grand plaisir de ses admirateurs.
Connu aussi comme compositeur solo au théâtre et au cinéma, Roger Eno a contribué à la musique de nombreuses bandes sonores de films au fil du temps et sa discographie est bien fournie et diversifiée, mais toujours hautement qualitative. Sa musique assez introspective atteint néanmoins des moments suspendus d’une beauté troublante. Eno accompagne ses morceaux de piano, clairsemés et obsédants, tirés de ses propres installations visuelles. Il utilise également une technique de composition aléatoire pour créer une atmosphère enveloppant le public. Son dernier album The Turning Year offre une présentation complète du travail solo de Roger.
C’est au catering du Botanique que s’établit le premier contact entre Roger et moi.
Notre homme est attablé seul à quelques mètres de nous, et c’est en allant se servir au buffet qu’une courte conversation s’établit entre lui et mon photographe du jour Fabian Braeckman, qui se présente, et lui montre que l’auteur du futur article est assis à quelques mètres de là. Du coup spontanément Roger se lève et se dirige vers moi la main tendue pour me saluer. Le contact est directement excellent et je lui demande s’il a apprécié la cuisine belge. « Bien entendu me dit il, j’ai vécu une partie de mon enfance en Belgique, ma mère est belge, flamande, et d’ailleurs à cette table là bas, un peu plus loin, il y a quelques membres de ma famille qui habitent à Dendermonde et qui se sont déplacés pour le concert. C’est les retrouvailles dans mon pays de coeur. »
Interrogé sur le futur concert de ce soir à La Rotonde il me répond qu’il tient d’abord à s’excuser au sujet de deux points qui l’ont fortement déçu à son arrivée à la salle : l’acoustique et le bruit important autour de la salle, et surtout la qualité du piano qu’il estime être le plus « shitty » qu’il ai connu dans sa carrière. Il en est vraiment désolé.
« Tu connais ma musique me dit il, elle est délicate et chaque note doit sonner dans l’air jusqu’au dernier son infime, et ici il va falloir que le public l’imagine ce son. Je suis très contrarié à ce sujet car je veux toujours offrir une certaine forme de perfection. »
Je le rassure en lui disant qu’on aime sa musique et que les choses se passeront bien. Il sourit et nous dit : je dois regagner ma loge mais je suis un peu perdu vous savez me guider ? Voilà Mr Eno qui nous la joue Spinal Tap !
Bien sûr qu’on va le guider, et après quelques pas dans les couloirs il descendait les escaliers qui mènent au backstage, avant de réapparaître sur scène environ un bon quart d’heure plus tard.
Seul sur scène, en toute simplicité, Roger Eno salue son public, explique brièvement son problème de qualité de piano, fait une courte présentation et demande d’être indulgent, et annonce que le récital durera 1h, mais une heure intense.
Et ce fut tout à fait ça, un concert magique, en clair obscur sur fond d’images magnifiques où l’artiste s’efface pour laisser la vedette à sa musique. Et quelle musique !
Des titres d’une esthétique rare, qui me font penser tantôt à l’univers du pianiste batave Joep Beving, tantôt à Franz Schubert. Excusez du peu.
Entrecoupée par quelques mots adressés au public de temps à autre entre les titres, et jamais dénués d’un humour bien british, Roger Eno nous a offert une prestation formidable. Et au diable le piano médiocre, l’instant magique était bien au rendez-vous ! Juste un florilège de moments de grâce suspendus qui resteront gravés à jamais dans nos mémoires.
Jean-Pierre Vanderlinden / Photos Fabian Braeckman