En studio ou en bande dessinée avec Bashung : Alain, l’alien de la chanson française, devenu immortel à force d’essais-« erreurs » fabuleux

© Petit à Petit

« Tout est parti d’un film, avec Fernando Arrabal. Il m’avait fait jouer une espèce de Jésus après l’Apocalypse. Il m’avait demandé de faire la musique et il n’y avait pas un rond pour faire cette musique. (…) Une nuit à délirer. En fait, en une nuit, on a fait l’équivalent de deux albums. » Bashung, le regard volontaire après avoir traversé la dépression, obstiné, prêt à tout et son contraire, prend lui-même la parole en ouverture de ce nouvel album accommodant les restes, majeurs, les braises d’un album d’anthologie. En studio avec Bashung, paru cet automne, rembobine la casette pour revenir au début des années 80 avec un ange du rock en pleine ébullition, émulation électrique. Aussi dans le monde de la BD qui fait sa bio graphique.

En jetant son dévolu sur cet album, c’est un ticket pour un bond dans le temps qu’on se procure. On prend la voiture, de nuit, on traverse les époques, pour gagner le Studio 92, un jeune ingénieur du son nommé Michel Olivier (toujours là 40 ans plus tard, si ce n’est qu’il a son propre studio – la Mitch’s Room -, puisqu’il a réalisé le (re)mixage de ces pistes exhumées aujourd’hui) nous accueille. L’ambiance est cool, relax, chaleureuse, cocoon, on pense au film, le premier réalisé par Clint Eastwood. Play misty for me. Sauf qu’ici, c’est Play et blessures pour nous.

Bashung en studio, c’est une heure au sommet, à être témoin privilégié d’un chanteur-compositeur en pleine expérimentation, création de tout et de rien, de tout surtout. S’il a connu le succès après des années de galère, il ne persévère pas dans cette voie, il ne se contente pas d’appliquer à nouveau la recette. Pas sûr qu’elle marche encore, alors, autant, partir ailleurs. Aidé par la production d’un téléfilm assez fauché que pour ne pas pouvoir défrayer la BO du chanteur-acteur. Qui se retrouve donc une nuit fiévreuse et électrique à enregistrer matière pour deux albums. La BO du Cimetière des voitures et le « storyboard » de Play Blessures. De la musique, pas de paroles, ou en tout cas du yaourt, en anglais, qui n’empêche pas les envolées, les écritures automatiques. Post-punk, cold wave. C’est après que Gainsbourg viendra poser ses lettres de noblesse et les cosigner avec Bashung.

L’improvisation en anglais se mêle à des morceaux d’interviews. On est, dans un autre genre, avec une autre patte, dans la lignée de Christophe qui, une fois ses succès dans la poche, part en live, en interviews, en conquête d’ailleurs, au pluriel. Ces 11 pistes noires pour une heure (!) de musique hors format (Procession, avec voix, c’est 13’44 »), sans repère, sans filet, qui déboucheront sur une seconde vie une fois les textes de Gainsbourg intégrés, témoignent d’un sacré génie rien que pour nous, totalement libéré depuis qu’il a rencontré le succès, qui n’hésite pas à tout bousiller des sentiers battus et des chemins attendus.

Bashung en studio, c’est recherche et développement, ça joue, ça expérimente (Bashung réédite l’exploit en compagnie du KGDD – Manfred Kovacic – claviers, saxophone -, Olivier Guindon – guitare-, François Delage – basse – et Philippe Draï – batterie), en mode sauvage, tuerie, en version extended, transpirant de cet esprit de ces autres années 80, qui ont accouché notamment de l’irradiant Cargo de nuit de Bauer. Il y a de ça ici, c’est sulfureux, ça dynamite. C’est mémorable, comme la puissance crescendo d’un Cause I want you.

Ce CD/vinyle paru sur le Label Panthéon d’Universal Music s’accompagne d’un album photo, témoignage et enquête de Christophe Conte aux Éditions Seghers, et peut être complété du live 81 paru un peu plus tôt cette année.

Puis, manifestement, la carrière de Bashung ne s’est pas arrêtée à ce funeste 14 mars 2009 qui a vu le cancer emporter ce rockeur incandescent à 61 ans. D’autres pépites pourraient encore arriver, au-delà des deux albums posthumes, à l’invitation notamment de Chloé Mons, la dernière compagne du chanteur.


Bashung, la nuit, la vérité BD

Mais, outre cette lucarne sur l’univers à part, très singulier de l’Alsaco-Parisien, sous le titre Bashung plus immortel que nous, un nouveau docu-bd des Éditions Petit à Petit retrace par morceaux choisis, de climax en coups de bambou, la vie et la carrière d’Alain Baschung, de ses débuts, avec Dick Rivers, à, sur le tard, son record de Victoires de la musique (à égalité avec -M-), avec cette alternance entre disques lumineux et autres obscurs, toujours dans l’intériorité avec une poésie (de Bergman, Fauque puis Roussel, Manset, et quelques autres) qui avait son propre phrasé, son vocabulaire imaginatif et imagé. De quoi transcender l’image de ce chanteur qui n’a longtemps pas parlé au public qui lui restait indifférent. Avant que le dynamiteur d’aqueducs ne dépose bombe sur bombe sur la fréquence : Gaby, oh Gaby, Vertiges de l’amour, Ma petite entreprise, Osez Joséphine, La nuit je mens, etc. Vaste programme que Bashung a pu dessiner avec de la chance dans ses malheurs: des producteurs (enfin, un, surtout) lui ont fait confiance malgré les fours qui n’étaient pas gage de mauvaise qualité. D’ailleurs, un album comme Play Blessures, incompris au début, s’est installé au panthéon progressivement.

© Petit à Petit

Alternant planches de BD et textes illustrés de documents d’époque pour aller plus loin (quitte à parfois trop répéter ce qui est dit dans la BD), Petit à Petit joue une carte complètement différente de celle des Éditions Soleil qui alignaient les stars de la BD pour mettre en dessins et en couleurs les chansons d’un Cabrel, d’un Polnareff, d’un Lavilliers ou encore d’un Goldman, pas uniquement avec inspiration, cela dit. Petit à Petit fait appel à des inconnus, cosmopolites (quelques Français, des Italiens, un Portugais, un Argentin, un Sud-Coréen…). Cyrille Pac (au scénario) et Franck Verrechia (aux textes documentaires) ont fait un bon boulot de vulgarisation et de sélection pour faire de cet album collectif une vraie mine d’or, remplie d’anecdotes et donnant carrément envie de s’enfiler toutes la discographie, dans ses aspérités et ses légendes, de cet enfant terrible.

© Petit à Petit

Dans l’incarnation graphique, la diversité des auteurs donne des couleurs et des ambiances différentes aux instants incarnés dans la vie du chanteur, de 1947 à aujourd’hui. L’un ou l’autre dessinateur passe un peu à côté de son sujet en se loupant un peu dans la représentation de Bashung mais force est de constater que l’ensemble se tient, entre les volutes, les brouillards et les périodes rêvées de ce chanteur-créateur, majeur. Une bonne porte d’entrée, donc, pour ceux qui connaissent Bashung par ses tubes mais n’ont pas fouillé plus loin et auraient besoin de clé pour comprendre à quel point Alain jouait, chantait sa vie dans ses albums.

© Petit à Petit

À lire aux Éditions Petit à Petit.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.