Molière est un génie. Un génie des lettres et des mots dont toutes les pièces traversent le temps avec un bonheur mille fois renouvelé. L’Ecole des femmes, actuellement à l’affiche du Théâtre Royal du Parc, dans une superbe mise en scène de Patrice Mincke, ne faillit pas à la règle malgré son sujet délicat aux yeux de certains observateurs rétrogrades et moralisateurs très premier degré qui n’ont sans doute pas tout compris du propos d’un auteur en réalité très en avance sur son époque. Ne boudons donc pas notre plaisir !
Résumé de l’éditeur : Arnolphe, qui vient de changer son nom en celui, plus aristocratique, de « M. de La Souche », est un homme d’âge mûr qui aimerait jouir du bonheur conjugal mais il est hanté par la crainte d’être trompé par une femme. Aussi a-t-il décidé d’épouser sa pupille Agnès, élevée dans l’ignorance, recluse dans un couvent.
Horace, fils d’Oronte (un ami d’Arnolphe) est tombé amoureux d’Agnès au premier regard ; il le confie sous le sceau du secret à Arnolphe dont il ignore la double identité.Arnolphe décide de précipiter le mariage et inculque à sa future épouse les rudiments des devoirs conjugaux, sans oublier les terribles effets de l’infidélité. Mais Horace n’a pas dit son dernier mot et Agnès est, elle aussi, amoureuse du jeune homme …
« Dis-moi, n’est-il pas vrai, quand tu tiens ton potage,
Que si quelque affamé venait pour en manger,
Tu serais en colère, et voudrais le charger ?
– Oui, je comprends cela. –
C’est justement tout comme : La femme est en effet le potage de l’homme ;
Et quand un homme voit d’autres hommes parfois
Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts,
Il en montre aussitôt une colère extrême. »
L’Ecole des femmes II, 4 (v. 432-439)
Dans L’Ecole des femmes, Molière se base sur l’idée générale de l’époque voulant que l’homme qui, estimant que l’esprit rend les femmes frivoles et infidèles, fait élever une jeune fille dans l’ignorance la plus totale des choses du monde dans le but de l’épouser, et qui malgré cette précaution se voit trompé par celle-ci.
À la lecture de la pièce de Molière, Patrice Mincke ne se contente pas de traiter le propos avec légèreté, critique ou moquerie, il tente de mieux comprendre ces personnages et d’explorer les ressorts de leur relation complexe.
Molière nous offre d’ailleurs un texte riche et rempli de nuances, dans lequel il bouscule les idées reçues sur le mariage et la condition des femmes, et il balançait déjà à son époque les vieux barbons qui abusent de leur pouvoir et de leur argent pour séduire de très jeunes filles. En réalité, sa pièce donne raison au libre choix de la jeune fille et laisse son vieux prétendant seul et désemparé malgré tous les stratagèmes déployés.
C’est nous inspirer presque un désir de pêcher,
Que de montrer tant de soins de nous en empêcher.
Il est clair que Molière – qui, le , avait épousé Armande Béjart, âgée d’une vingtaine d’années, et qui, au dire de ses détracteurs, aimait se faire courtiser par une foule d’admirateurs, au grand dam d’un Molière fort jaloux dont les rieurs se moquaient – a dû s’interroger sur ce genre de relation de mariage « contractuel » difficile à vivre pour les deux parties, et surtout pour la promise dont il comprend au final la rébellion et la recherche réelle du bonheur amoureux.
Outre une scénographie inventive absolument bluffante (la scène suggérée de la douche; celle magistrale et dérangeante de la robe de mariée; celle de l’apparition des petites filles démultipliées), le casting de la pièce est impressionnant avec un Guy Pion, magistral en Arnolphe, dont le texte est certainement un des plus imposants qu’il lui a été donné d’interpréter, et une Tiphanie Lefrançois, issue du Conservatoire Royal de Bruxelles, qui brille de mille feux et campe une Agnès magnifiquement crédible et touchante dans des scènes parfois difficiles et éprouvantes. Une révélation !
Notons aussi la juste interprétation de Nathan Fourquet-Dubart dans le rôle d’Horace, épris éperdument d’Agnès, celles de Thierry Janssen, égal à lui même, et de Béatrix Ferauge, parfaits tous les deux dans les rôles des serviteurs d’Arnolphe, de Benoît Verhaert en Chrysalde, et de Thierry Debroux dans le rôle d’Oronte. Mention spéciale aussi aux enfants qui jouent en alternance : Sophia Bloch, Lily Debroux, Laetitia Jous, Lilya Moumen, Jannah Tournay, Babette Verbeek.
Une fois de plus Molière séduit, et cette Ecole des femmes là mérite indéniablement votre déplacement, pour aller applaudir ce spectacle exceptionnel dont la dernière scène vous laisse interpellé et touché par la magie d’un théâtre intelligent aux mille facettes, source de réflexion et d’émotion.
Bravo !
Jean-Pierre Vanderlinden
L’ÉCOLE DES FEMMES de Molière 21.04.2022 > 21.05.2022
Création le 21 avril 2022 au Théâtre Royal du Parc
Coproduction Théâtre Royal du Parc / Théâtre de l’Eveil
Avec : Guy PION, Tiphanie LE FRANCOIS, Nathan FOURQUET-DUBART, Béatrix FERAUGE, Thierry JANSSEN, Benoît VERHAERT, Thierry DEBROUX, Lilya MOUMEN, Lily DEBROUX, Jannah TOURNAY, Sophia BLOCH, Laetitia JOUS et Babette VERBEEK.
Mise en scène : Patrice MINCKE
Assistanat : Sandrine BONJEAN
Scénographie et costumes : Renata GORKA
Musique : Daphné DHEUR
Combats : Emilie GUILLAUME
Maquillages et coiffures : Jennifer MERDJAN
Lumières : Alain COLLET
Photos : ZVONOCK