
Éternels globe-trotteurs du crayon et de l’imagination, Maryse et Jean-François Charles concluront bientôt leur tétralogie consacrée à China Li chez Casterman. En intermède, chez Kennes, pour des soirées de rude hiver qui réchauffent les ardeurs, ou celle du printemps qui soufflent le renouveau, ils proposent Faune, un album qui échappe aux règles et se veut libre et sensuel, laissant la nature et ses plus simples appareils faire leur œuvre.

Résumé de l’éditeur : Au Moyen Âge, à la nuit tombée, un groupe de pèlerins se réfugie dans une auberge. Rassemblés autour du cantou, ils décident pour tuer le temps de se raconter chacun à son tour une histoire pieuse. La première est contée avec force gestes par un laboureur, sourd et muet de naissance. Mais son récit glisse très vite vers le grivois.

Sous une couverture burinée, toute neuve mais donnant l’impression d’avoir traversé les âges, à l’instar d’un vieux grimoire, Maryse et Jean-François Charles (avec l’aide de Dominique Paquet à la mise en page) ont imaginé, ou peut-être est-ce une flûte de pan qui les leur a soufflées, six courtes histoires telles qu’on aurait pu se les raconter il y a quelques siècles, aux temps féodaux et faussement pudibonds. Car, après une longue journée de pèlerinage pénitent vers l’encore lointaine chapelle Saint-Aimable (du nom de ce saint qui préserve des maux de tête et de gorge), une fois à table et au vin, les langues se délient et ne sont pas plus catholiques que le pape.

Il y a là un laboureur sourd et muet, un chevalier, un mercier, un peintre, un collecteur d’impôts et une veuve. Représentants de ce groupe foutraque dans lequel les castes se mélangent et n’ont pas les mêmes préoccupations. Pourtant les histoires qui se succèdent, finissant toujours par tomber en dessous de la ceinture, où peuvent se cacher des sabots et des cuisses trop velues que pour être humaines, ont le don de rassembler, de faire communion en dégustant le fruit du péché.

Au temps des châteaux et des forêts vierges comme l’était cette donzelle avant de rencontrer l’homme-animal, le bestial hybride, ils ont nommé le faune, les Charles varient donc les plaisirs de la chair et des sens autour de cette figure mythologique, d’ici ou d’ailleurs. Et si on craint au début que toutes ces saynètes érotiques se ressemblent par la redondance de leur personnage vu comme satanique, comme un renard chez les poules, force est de constater que ce livre-objet, qui se lit comme on visiterait une exposition, est finement exécuté et ambiancé. Chaque chapitre est ainsi composé d’une page-titre lorgnant vers la caricature, d’un portrait le pus sérieux possible, d’un texte à l’apparat féodal, avec enluminures, d’une page de BD restituant le contexte de l’histoire racontée et, enfin, les illustrations sous-titrées donnant corps et aura au conte grivois ainsi narré pour offrir du bon temps aux pèlerins.

En bonus, c’est un jeu de la griv-oie qui ouvre cet album hybride et retrouvant, dans ces corps entremêlés jusqu’à expirer, la pureté de l’amour dans les prés, les greniers ou au bord de l’étang. Dans la quiétude d’une nature faite pour ça : survivre et se reproduire.

Usant de vieux françois et de procédés graphiques anciens, avec tout un imaginaire, les Charles crédibilisent leur oeuvre dans l’époque qu’ils racontent à travers ces fables, avec un certain goût également d’immortalité.
Titre : Faune
Sous-titre : Contes grivois et autres diableries
Scénario : Maryse et Jean-François Charles
Dessin et couleurs : Jean-François Charles
Genre : Conte, érotisme, Fantastique, Mythologie
Éditeur : Kennes
Nbre de pages : 128
Prix : 32€
Date de sortie : le 10/11/2022