
Ah les hôtels. Il y en a des moisis ou d’autres de luxe. On y passe ou on y vit. Ils sont des dortoirs, des lieux de séjours one-shot ou des environnements interlopes où l’on peut vivre un secret à l’abri des regards. C’est dans l’un d’eux, sur une bande-son jouée par The Cars que les Danois Tomas Lagermand Lundme et Rune Ryberg nous entraînent. Et tout est possible. Les amours impossibles aussi?
Résumé de l’éditeur : Un jeune garçon de 18 ans monte dans un taxi, direction l’hôtel habituel. Il emporte avec lui toute sa vie dans trois sacs en plastique et s’apprête à déclarer à un politicien quinquagénaire à qui il vend son corps, qu’il souhaite faire sa vie avec lui. Entre espoir et chantage, la discussion ne sera pas celle espérée. Car même si l’amour est évident, les attentes de l’un ne sont pas celles de l’autre.

Cette fois, Émile est descendu du taxi comme d’habitude mais pour ce qu’il espère être la dernière fois. La preuve, plus que ses affaires légères pour une nuit, il a dans les mains des sacs en plastique, de quoi partir pour la vie. Son maigre patrimoine. Émile arrive dans l’hôtel, les prochaines heures seront décisives. Il attend Stefan, un homme bien plus mûr que ses 18 ans à lui. Et avec des responsabilités. Peut-être feront-ils l’amour, sans doute parleront-ils beaucoup. Car, cette fois, aucun d’eux n’aura le choix.

Manifestement écrivain pluridisciplinaire (roman, jeunesse et maintenant BD), si j’en crois ce que j’ai trouvé sur internet, Tomas Lagermand Lundme arrive pour la première fois, avec un livre sur le territoire francophone. Son compatriote, Rune Ryberg, y est désormais habitué, avec l’appui de l’éditeur Les Aventuriers de l’Étrange. Mais jamais nous ne l’avions vu dans un registre aussi intime et bavard. Adepte des récits pulp et pop, parfois muets, avec l’aventure chtarbée et musclée comme drapeau, le dessinateur s’insinue à merveille dans ce huis clos, cette chambre 316, dans ce building qui donne l’ivresse des hauteurs mais avertit aussi que la chute sera rude. Tour à tour, pas à double tour, les murs jouent à se rapprocher et à s’éloigner, jouant sur l’appel d’air des lieux, suffocants ou respirables.

Émile a donc 18 ans, de l’amour et des rêves à revendre, aucun port d’attache. Son amant, lui, a son costume d’homme sérieux, pris dans sa fonction et sans droit à l’écart. Sauf s’il décidait de tout laisser tomber, de faire son coming out. Mais s’il a les épaules pour servir l’état, les a-t-il pour servir ses émotions et ses élans personnels. Prise entre le marteau et l’enclume, la raison et la déraison, tout et rien, cette dernière nuit passe par tous les sentiments, témoins des affrontement ou des réconciliations entre les deux hommes, de la pression sociale et de celle de l’ambition, du regard des autres, du confort tout relatif de la vie d’avant et de la richesse que pourrait avoir celle d’après. Tout en sachant que l’humain reste un mystère et que tout pourra quand même capoter.
Le téléphone sonne, on toque parfois à la porte, mais les deux amoureux tantôt sur le déclin tantôt sur l’espoir d’avoir une chance restent entre eux et avec nous. Entre douceur (celle des couleurs avant tout, rosées-bleutées) et dureté, verbes et actes, les deux auteurs épient avec pudeur mais sans rien cacher de ces hommes mis à nus. Témoins au centre d’un accord tacite. Entre poésie et pragmatisme, avec des envolées, des chansons (liste en fin d’album si vous voulez rendre cette lecture musicale) mais aussi des mots bien réels, qui feront du bien et du mal.

Dans cette pièce de théâtre de papier dont la fin se devine quand même assez vite mais dont l’ensemble tient en haleine, même si on l’a déjà connu plus acéré (avec des personnages il est vrai moins incertains et plus déterminés), Rune Ryberg réussit son incursion dans le social et le psychologique, du dépouillement de cette chambre au spectacle qui s’y invite, dans le corps à corps et l’onirisme, le romantisme, l’érotisme, la haine, le sursaut, l’abandon, la résilience. Le champ lexical trouve matière et traits sur papier. Autour d’un lit qui sera le tombeau de ces héros du réel, ou qui, à la manière de Little Nemo leur permettra de voguer bien plus loin. La solution leur appartient.

Titre : Toute une vie dans des sacs en plastique
Récit complet
Scénario : Tomas Lagermand Lundme
Dessin et couleurs : Rune Ryberg
Genre : Comédie romantique dramatique, Huis Clos, Psychologique
Éditeur : Les aventuriers de l’étrange
Nbre de pages : 128
Prix : 22€
Date de sortie : le 28/01/2022
Extraits: