Mort aux Cons & Happy Tech : Corbeyran pile ou face pour observer notre société et ses travers cyniques

© Corbeyran/Fattore

Dans la vie, il n’y a pas trente-six solutions, soit on se fait fort, soit on est faible. Ou on se bat, on prend le dessus, ou on se laisse avoir, berner. En deux albums, chez deux éditeurs et avec deux dessinateurs différents, Corbeyran explore ce yin et ce yang avec férocité.

© Corbeyran/Saint-Georges chez Jungle

Mort aux cons, même si vous en êtes un

Résumé de l’éditeur : Mort aux cons raconte le parcours de Ben, ce combattant qui a un jour décidé de franchir le pas… Des cons, il y en a partout. Il y en a toujours eu. Il y en aura toujours. Le con est une engeance qui s’adapte à tous les climats, à tous les reliefs, à toutes les époques. Le con est endémique, on n’arrive pas à s’en débarrasser, comme le chiendent, c’est à désespérer.

© Corbeyran/Saint-Georges chez Jungle

« J’ai jamais tué d’chats
Ou alors y’a longtemps
Ou bien j’ai oublié
Ou ils sentaient pas bon… »

Tout le monde connaît la prose brelienne que notre ami Ben (il y a bien eu Mon ami Dahmer) n’a pas faite sienne. Sa carrière criminelle a commencé par un chat noir et blanc qui squattait un peu trop son balcon, jusqu’au coup de griffe de trop. Hop, par-dessus tout, le minou. Fracassé, le minet! Ni vu ni connu, Ben avait mis le doigt sur l’engrenage. À mains nues, puis sur une crosse, ou une poignée de somnifères. Tous les moyens sont bons pour réussir le crime parfait. C’est ainsi que notre « héros » est sorti de sa léthargie de loser, qu’il a repris le contrôle de sa vie.

© Corbeyran/Saint-Georges chez Jungle

Même si sa femme commence tout doucement à en avoir marre qu’il ne soit pas foutu de garder un job et qu’il végète parmi ses projets artistiques qui n’aboutissent jamais. Si elle savait, qu’il y a dans le projet meurtrier de Ben, quelque chose de salvateur. Une visée sociale puisque les gens se ressoudent pour passer outre l’épreuve de la mort, qui frappe tout près. Et bientôt une portée philosophique et sociologique. Parce qu’il ne suffit pas de frapper au hasard, il faut une méthodologie.

© Corbeyran/Saint-Georges chez Jungle

C’est en compagnie de Saint-Georges (Alexis de son prénom), qui signe là son premier album, que Corbeyran adapte le roman, cynique, de Carl Aderhold et nous entraîne dans le quotidien d’un criminel en puissance, même s’il n’a l’air de rien, qu’il est passe-partout. Là où le duo réussit bien sa mission, c’est que la plongée dans l’illégalité la plus monstrueuse de ce personnage sinistre, au fond, est jouissive pour le lecteur qui ne peut s’empêcher de se prendre de passion pour Ben, quitte à le comprendre parfois un peu même s’il n’a pas compris que, plus que contre les gens, il devait se battre contre le fonctionnement de cette société, qui institue les rôles, et oblige certains à prendre le rôle, parfois avec saveur, de « méchant ». Après tout, même s’il y a dans ces victimes, quelques personnalités face à qui on a parfois perdu nos nerfs, on est tous le con de quelqu’un. Qu’il soit pris ou qu’il continue, c’est addictif.

© Corbeyran/Saint-Georges chez Jungle

Sur ce livre, Saint-Georges fonctionne à l’économie de couleurs et fait confiance à son trait, expressif, capable de retenue comme de férocité, et éclipsant parfois les décors pour mieux cerner, assiéger les personnages. C’est du beau boulot, jusqu’à un final intime et spectaculaire. Mort aux cons, avec sa couverture originale qui va à l’échafaud, est sans doute l’une des BD française réaliste (champs de bataille exclus) où il y a le plus de cadavres!

© Corbeyran/Saint-Georges chez Jungle

Happytech, non-thérapie

© Corbeyran/Fattore

Résumé de l’éditeur : Xavier Guignard passe un dimanche désastreux. Mais le lundi est pire encore, et tout s’enchaîne. Alors avant de toucher le fond, il décide de soigner son malheur chez Happytech, une boîte spécialisée dans l’accès au bonheur. Mais… la femme la plus heureuse du monde, la sublime égérie d’Happytech, ressemble étrangement à cette jeune mendiante qui l’a insulté hier dans le métro…

© Corbeyran/Fattore

Vin rouge sur vin rouge, Xavier s’enivre mal lors de cette fête de famille qui ne lui plaît guère. L’odeur du vomi va le suivre: sa femme l’engueule, une mendiante lui joue un pied de cochon à la gare et l’envoie au cachot et voilà qu’il perd son boulot. Rien ne va plus et l’horloge a tourné: vu son âge et l’attitude de défaite dans laquelle il s’est engoncé, Xavier va avoir du mal à remonter la pente.

© Corbeyran/Fattore/Priori chez Delcourt

Mais depuis ce week-end où son peu de chance a définitivement tourné, une idée le poursuit. Happytech, société dont l’efficacité est louée par sa cousine, et dont il a cru reconnaître l’égérie dans la SDF qui a causé son incarcération. Pourtant, Happytech serait la maison du bonheur, où se ressourcer et se rebooster aux côtés de gens cassés par la société comme vous. Des formations aidant à reprendre le contrôle de sa vie.

Forcément, Xavier, qui n’a plus rien à perdre si ce n’est un peu plus d’oseilles, se laisse tenter, l’occasion aussi pour lui de mieux comprendre le mystère de la muse qui prête son visage et son corps à l’entreprise. Si tout est mielleux, Happytech ne ferait-elle pas du « well being-washing », profitant que certains soient dans le creux de la vague pour alourdir son chiffre d’affaires?

© Corbeyran/Fattore
© Corbeyran/Fattore

Chronique sociale des temps qui courent, Happytech propose là un bon premier tome qui noue contact entre avec une société de laissés pour compte et redonne de l’espoir, tout en s’opposant au machiavélisme économique de certains businessmen qui bouffe à tous les râteliers. Et notamment à celui du mal-être en proposant une solution soi-disant miracle. On sent que ce monde-là ne perd rien pour attendre et qu’Éric Corbeyran ne dévoile pas toutes ses cartes et en garde (peut-être un peu trop que pour nous tenir en haleine sur 64 pages) sous la pédale.

© Corbeyran/Fattore/Priori chez Delcourt

De son côté, pour son premier album, Alessia Fattore prouve sa maîtrise du dessin dans un contexte urbain et social. Elle rend vrais les échanges entre les différents personnages, qu’ils se connaissent ou qu’ils se rencontrent. Il y a quelque chose de l’énergie d’un Jordi Lafebre ou d’un Morgann Tanco, c’est très plaisant et très coloré par Giulia Priori, qui cerne bien le métro-boulot-dodo mais aussi l’oasis promise par Happytech. Je serai là pour la suite.

© Corbeyran/Fattore/Priori chez Delcourt

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