Thierry Debroux, directeur et âme du Théâtre Royal du Parc, dans Les Coulisses d’une Passion : « Il faut de l’enthousiasme, que les neurones s’entrechoquent constamment »

Cette fois, ça y est, la culture a repris ses droits et les salles de spectacles peuvent à nouveau accueillir du public quasi normalement.

C’est dans ce contexte de reprise que j’ai  voulu rencontrer Thierry Debroux, directeur du Théâtre Royal du Parc, pour un entretien en face à face où l’on évoque son nouveau livre « Le Théâtre Royal du Parc, les Coulisses d’une Passion » aux Éditions Luc Pire, son amour des comédiens et du théâtre, et le combat quotidien qu’il mène pour nous proposer des spectacles novateurs et de qualité. Une rencontre enrichissante et passionnante avec un homme affable et sympathique qui parle de sa passion avec une grande sincérité et un enthousiasme communicatif. Un bon client comme on dit dans le milieu !

Bonjour Thierry, merci d’avoir accepté cette interview pour Branchés Culture. Il y a quelques semaines, tu as sorti un livre intitulé « Le Théâtre Royal du Parc, les coulisses d’une passion », dans quel état d’esprit étais tu lorsque tu as décidé d’écrire ce livre, et quelle fut ta motivation pour mener à bien ce projet ?

T.D: Alors, il y a eu un moment où je me suis retrouvé devant à peu près toutes les photos qui avaient été prises depuis 10 ans de spectacles, et c’était tellement magique et magnifique, car on a eu la chance d’avoir des photographes qui parviennent à trouver les instants magiques du spectacle, ces petits moments émotionnels qui restent dans l’esprit des spectateurs. Et je me suis dit que tout ça allait rester dans des tiroirs, et que ce serait quand même génial de regrouper le tout, d’en faire un livre, et d’offrir ça aux spectateurs qui sont venus et qui se rappelleront, ou à ceux qui ne sont pas encore venus et qui auraient encore des préjugés sur le théâtre en général ou sur le Parc, et qui en voyant ça par hasard pourraient en avoir envie. En plus, ça correspondait à ce moment du confinement où je me suis dit qu’il fallait maintenir le lien avec le public à travers ce livre pour leur rappeler à quel point on peut prendre du plaisir avec l’art vivant du théâtre.  Je trouve d’ailleurs que certaines photos sont plus fortes qu’une captation car elles rappellent des moments très précis émotionnels ou visuels.

En 1987, tu sors de l’Insas et tu rencontres, pour la première fois, Yves Larec, le directeur du TRP de l’époque, dont tu prendras la succession 24 ans plus tard. Peux-tu me parler de cette rencontre ? Et comment un jeune comédien arrive-t-il un jour à prendre la direction du plus prestigieux théâtre de Bruxelles ?

TD: J’étais comédien, metteur en scène, j’écrivais aussi, mais les premières années où j’ai navigué dans ce métier je ne me suis jamais dit que je deviendrais directeur d’un théâtre. Il se fait qu’un jour, et va t’en savoir pourquoi, je vois une affiche d’une saison du Théâtre du Parc et j’observe que sur les cinq spectacles proposés on retrouve toujours les mêmes noms. Sachant qu’il y a tellement de talents non exploités en Belgique et qu’il s’agit tout de même d’argent public, j’en vais de ma lettre, non pas agressive mais remplie des convictions du jeune comédien que j’étais, et j’envoie ça à Yves Larec, qui me répond vertement mais qui, avec l’élégance qu’on lui connait, m’invite à aller prendre un verre et à en discuter. Et c’est de cette discussion qu’est né le petit défi qu’il m’a lancé en me disant : vas-y, écris-nous une pièce.

Et j’ai sorti Robespierre. Ca a bien marché, et il m’a proposé dans la foulée de présenter autre chose, et j’ai fait Le Capitaine Fracasse qui a été le déclencheur et où j’ai vu cette salle se métamorphoser, toutes générations confondue. La salle était comble, les rires fusaient de toute part, venant des enfants et des adultes. Et là je me suis dit waow, je tiens quelque chose. Il faut savoir qu’à l’époque le public était très âgé et que ce public était en train de s’éteindre, et qu’il n’y avait pas de renouvellement, et comme Yves arrivait à son quatrième mandat et s’épuisait un peu, je me suis dit que j’étais peut-être au bon endroit au bon moment. J’avais un pied dans la tradition mais, venant de l’Insas, aussi un autre dans la modernité: j’étais peut-être la bonne personne pour ne pas faire fuir les anciens, mais aussi pour ramener des nouveaux spectateurs. Et à voir ces trois générations faire un triomphe au Capitaine Fracasse, je me suis dit qu’il fallait relever le défi.

J’ai toujours été attentif à faire de la vulgarisation et à notamment amener de grands textes à un large public

Ca fait 10 ans que tu a repris la direction du TRP et tu as réellement transformé l’esprit d’un théâtre qui avait connu de belles heures de gloire en rajeunissant le public et en apportant un nouveau souffle plus actuel, je dirais même plus cinématographique et plus grandiose avec des scénographies et des mises en scène hors norme. Était-ce une volonté délibérée d’aller vers cette voie ou le fruit de multiples rencontres qui t’ont porté dans cette direction ?

TD: Il y a un fait aussi qui n’est pas anodin, qui est que je suis devenu papa en même temps que directeur. Le 1er avril on annonçait ma nomination, et en mai je suis devenu papa pour la première fois. J’ai toujours été attentif à faire de la vulgarisation, et notamment amener de grands textes à un large public, et à essayer d’offrir des chefs-d’oeuvre (Les Trois Mousquetaires, 1984) à des générations très jeunes pour qu’elles soient tout de suite en contact avec de grandes écritures.

(c) JP Vanderlinden

Tout commence avec cette première saison 2011/2012 et cette première du Tour du Monde en 80 jours adapté génialement par Thierry Janssen avec une scénographie incroyable de Ronald Beurms. Ce choix judicieux et le talent de ces deux- là n’ont-ils pas ouvert la porte à ce que j’appellerais le renouveau de l’ère Thierry Debroux ?

TD: Ah oui évidemment ! Je suis bien conscient que mes atouts ont été les choix que j’ai fait. Tu parles de Ronald Beurms, il a apporté un vent frais au niveau de la scénographie avec son inventivité, et avec Thierry (Janssen) on a démarré là une vraie collaboration, car il amène un texte mais reste ouvert à des tas de choses qui vont aussi évoluer au fil des répétitions. Et j’ai aussi amené très rapidement un tas de gens qui n’avaient encore jamais travaillé au Parc, des metteurs en scène, des créateurs de lumières. Les portes étaient grandes ouvertes. Un Georges Lini, par exemple, a monté un Macbeth sanglant et pleuvant qui aurait pu très bien se jouer sur une scène nationale française. J’essaie aussi régulièrement d’emmener le public vers un ailleurs, de ne pas aller toujours vers la facilité.

Dans ton livre tu reviens bien sûr en détail sur chaque saison théâtrale, mais tu consacres aussi de nombreux textes aux comédiens qui ont foulé les planches du T.R.P. Quels sont ceux qui t’ont le plus impressionné et pourquoi ?

TD: Alors, forcément, il y a une histoire d’amour entre Othmane Moumen et le public, démarrée avec Le Tour du Monde en 80 jours. Othmane est venu régulièrement si bien que lorsque j’annonce un spectacle avec lui je sens bien qu’il y a des frémissements dans l’audience. Ce qui est particulièrement fort avec lui, c’est qu’il a pu, sur un personnage comme Chaplin, nous montrer aussi toute sa palette, de l’émotion, de la sensibilité et de la chose juste. Alors que dans Le Tour du Monde, on est plutôt dans l’humour absurde et les acrobaties. Ce qui est étonnant c’est que pour Le Tour du Monde, j’aurais pu être tendu. Au contraire, on s’est tous lâchés, on s’est autorisé tous les délires, et ce spectacle délirant a tout de suite rencontré le public. D’ailleurs on l’a joué au total huit fois en comptant toutes les reprises lors de saisons différentes.

(c) JP Vanderlinden

Un théâtre qui ne s’adresserait qu’à l’entre-soi, n’est pas très intéressant.

Lorsqu’on évoque le TRP, on pense directement à la notion de spectacle total. On sait qu’en-dehors de la pièce elle-même l’écrin sera superbe et souvent impressionnant. Es-tu conscient d’être quasi le seul à proposer ce type de spectacles novateurs face à beaucoup d’autres théâtres qui continuent à véhiculer un théâtre plus traditionnel et parfois même un peu poussiéreux ?

TD: C’est assez incroyable car le Théâtre du Parc a longtemps été considéré comme un théâtre poussiéreux et il l’est encore sans doute pour des gens qui ne sont jamais venus et qui ont un a-priori. Alors que je considère, par rapport à certains spectacles dits modernes, que rassembler trois générations dans une même salle il n’y a pas plus contemporain. Un théâtre qui ne s’adresserait qu’à l’entre-soi, n’est pas très intéressant. Et c’est vrai que, chez nous, il y a eu un renversement qui s’est installé, et c’est très bien comme ça. D’ailleurs, une critique a titré « Mieux qu’au cinéma  » au sortir de la vision du Tour du Monde, et on a eu des réflexions de jeunes qui nous l’ont confirmé en nous disant: « c’est mieux qu’au cinéma car c’est vivant et qu’il il y a cette interaction avec le public » !

C’est amusant Thierry car tu anticipes chaque fois mes questions. (rires!) Lorsqu’on regarde la programmation de ces 10 saisons passées, on se rend compte qu’on passe de comédies familiales à grand spectacle comme Le Livre de la Jungle, Fantômas, Chaplin, Peter Pan ou Le Noel de Mr Scrooge, à des adaptations étonnantes moins accessibles comme Macbeth, Les Atrides mis en scène par Georges Lini ,ou 1984. Est-ce chez toi une réelle volonté de ratisser large et de brasser théâtre populaire et théâtre plus classique destiné à un public plus exigeant ?

TD: Même Les Atrides, c’est violent et le texte l’est, mais j’ai toujours envie qu’on raconte une histoire et qu’on ne sorte pas de la pièce idiot. Il n’y a rien de pire que de sortir d’un spectacle et de se dire qu’on n’a rien compris.

C’est ce que disait Gabin, ce qu’il faut avant tout c’est une bonne histoire !

TD: Une bonne histoire en effet. Après, esthétiquement, tout est possible et parfois ça peut être dur et très violent bien entendu.

(c) JP Vanderlinden

Prendre la direction d’un théâtre n’est-ce pas un peu renoncer par la force des choses à ta carrière de comédien ?

TD: Ma carrière de comédien, oui, bien entendu. Mais ca aurait pu être le contraire, j’aurais pu profiter de mon statut de directeur pour me programmer dans les plus grands rôles du répertoire, mais c’est une charge de travail supplémentaire colossale dont je ne me sentais pas capable de toute façon. Et je n’avais pas cette envie de profiter de ce statut pour me mettre en avant. Par contre, je ne peux pas me passer de mettre en scène, d’écrire ou d’adapter car sinon je me coupais de tout rapport avec l’artistique et l’artiste en moi serait aigri. Ce n’est pas bon qu’un directeur soit aigri, il faut que ses neurones s’entrechoquent, constamment, et qu’il montre de l’enthousiasme.

C’est un vrai plaisir de voir les gens sortir du théâtre avec des larmes dans les yeux ou enthousiastes, et ça c’est grisant !

Quel sentiment éprouves-tu quand tu assistes au spectacle d’une adaptation théâtrale que tu as écris toi-même comme ce fut le cas pour Le Chevalier d’Eon, 1984, ou Les Chevaliers de la Table Ronde ?

TD: En fait, c’est très étrange car, une fois que je commence à travailler la matière avec les acteurs, c’est comme si j’étais étranger à la chose. Et d’ailleurs je n’ai aucun problème à me dire que tel ou tel dialogue n’est pas très bien écrit, et à me remettre en question une fois que je suis sur le plateau avec les comédiens. Et si j’ai cette capacité à me critiquer c’est que j’ai la faculté de prendre du recul. En réalité ce n’est plus tout à fait mon texte, la pièce m’échappe comme un enfant qui devient autonome et le passage par le plateau est une nouvelle étape, c’est autre chose. Ce qui est surtout gratifiant c’est de constater que quelque chose que tu as écrit provoque des rires ou des émotions au moment où tu pressentais que ça arriverait. C’est un vrai plaisir de voir les gens sortir du théâtre avec des larmes dans les yeux ou enthousiastes, et ça c’est grisant !

Dans ton livre, tu évoques aussi brièvement ta famille, ton couple avec la comédienne Anouchka Vingtier et vos enfants qui, de temps à autre, foulent aussi les planches dans certains spectacles. N’est ce pas difficile d’allier vie professionnelle et vie privée quand tous travaillent dans le même monde du spectacle, et du théâtre en particulier? 

TD: C’est difficile et facile à la fois. Facile, parce qu’on comprend la difficulté d’un artiste et de sa vie familiale dans laquelle nous sommes tous impliqués. On apprend à être tolérant par rapport aux autres et par rapport aux exigences de ce métier. La difficulté, par exemple, avec Anouchka lorsqu’on s’est rencontré, fut d’éviter qu’elle soit cataloguée comme « la femme de ». Je lui avais d’ailleurs dit que nous ne jouerions jamais ensemble à cause de cela. Alors on a résisté. Puis, à un moment, j’ai constaté que, même si on ne travaillait pas ensemble, elle était de toute manière devenue « la femme de » Thierry Debroux alors que c’est une formidable comédienne et elle l’était bien sûr déjà avant que je ne la rencontre. On s’est donc dit tant qu’à faire, autant assumer la chose. Elle aurait été une piètre comédienne ça aurait été différent. (rires)

(c) JP Vanderlinden

En lisant ton livre j’ai ressenti énormément d’enthousiasme, mais aussi énormément de tendresse pour les comédiens, les techniciens, les artisans, metteurs en scène, scénographes, couturiers, tous ces gens de l’ombre qui oeuvrent pour qu’un spectacle devienne magique. N’est-ce pas là une part importante de la fonction de directeur de théâtre que d’insuffler un esprit particulier à ses troupes ?

TD: C’est clair que, malgré toutes les bonnes et belles idées artistiques, si on n’a pas des gens de l’ombre qui se donnent pour les spectacles, les accessoiristes, habilleuses, techniciens etc…et qui n’acceptent pas la grande aventure en tant que famille c’est compliqué. C’est le problème d’ailleurs des maisons où on deviendrait brusquement fonctionnaires. Pour ma part, j’essaie d’exciter les neurones de tout le monde tout le temps.

A l’époque des Jean-Pierre Loriot, Christiane Lenain, Serge Michel et de mon petit cousin, Jacques Lippe, on parlait de compagnie: La Compagnie des Galeries, la Compagnie du Parc, etc…Cet esprit a fort disparu de nos jours excepté chez des gens comme Le Magic Land Théâtre et quelques autres. J’ai l’impression de retrouver un peu cet esprit au Théâtre du Parc où une jolie brochette de comédiens se retrouvent assez souvent à l’affiche de différents spectacles. Penses-tu que le choix des comédiens qui s’apprécient mutuellement est un maillon important du succès d’un spectacle et que certains d’entre eux attirent du public sur leur seul nom ?

TD: Moi, ce que j’essaie de faire, parce que j’aime bien les fidélités – et puis c’est plus facile de travailler avec un acteur avec qui on a déjà bossé quatre ou cinq fois, on se comprend sans se parler-, c’est de retrouver des comédiens pour des spectacles, mais aussi trouver des nouvelles énergies dans tous les domaines. Si je n’ai pas encore travaillé avec tel ou tel créateur lumières, par exemple, ça va m’intéresser qu’il amène son savoir-faire différent, son univers. Pareil pour les acteurs.

Sur Les Chevaliers de la Table Ronde, j’ai fait appel à la comédienne Emilie Guillaume qui a réglé les cascades et les combats, et elle m’a amené certainement cinq à six acteurs susceptibles de se battre ou de maîtriser les acrobaties, et avec qui je n’avais jamais travaillé auparavant. Et ça c’est un vrai plaisir, et ils se sont mélangés avec des comédiens avec qui j’ai l’habitude de travailler. Il faut du sang neuf, c’est indéniable, même si le public aime bien retrouver certains acteurs fétiches, ça a un côté rassurant. En fait, il faut éviter de tomber dans le côté troupe à l’année où on retrouve toujours les mêmes.

(c) JP Vanderlinden

A l’heure où nous parlons, la culture est toujours impactée par les dernières mesures prises par le Codeco en raison de la crise du Covid-19 ( ndlr : l’interview a été réalisée début février) et vous avez été limités à maximum 200 personnes avec Cocid Safe Ticket et masque dans un théâtre qui peut contenir 550 places. Comment avez-vous géré ce problème alors que des spectacle comme Le Noel de Mr Scrooge ont dû être annulé, et que Notre dame de Paris affole déjà les réservations ? Crois-tu que le plus dur est derrière vous?

TD: Je pense que oui. Maintenant, on a aussi appris, avec cette pandémie, à se méfier de ce qu’on pense…(rires). On a appris beaucoup et surtout que le vivant était essentiel et fondamental. Beaucoup de spectateurs nous disent : vous nous avez manqué ! Et c’est d’ailleurs réciproque. En réalité, on ne peut pas se passer du vivant, ou pas longtemps. Sur mon canapé, en regardant Netflix, combien d’heures puis-je rester? Il y a toujours un appel du vivant. On a aussi appris à s’adapter. Il nous est arrivé un matin de transformer une salle du soir parce que brusquement on ne pouvait plus mettre qu’un certain nombre de personnes. C’est épuisant mais c’est aussi formateur. Mais on a résisté. Le public aussi. Au niveau des abonnés, on avait plus d’abonnés cette année que l’année précédente, et ça c’est formidable !

Thierry Debroux, merci pour cet entretien bien sympathique, que puis je te souhaiter pour les années à venir ?

TD: Que je reste vigilant à ne pas m’endormir, très actif, et que je continue à chercher constamment à réinventer. Et surtout que je continue à m’amuser !

Propos recueillis par Jean-Pierre Vanderlinden

Le prochain spectacle du Théâtre Royal du Parc « Une Flûte Enchantée » aura lieu du 03 mars au 2 avril 2022.

Infos et réservations sur : https://www.theatreduparc.be/

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