Il est rare que je sois aussi agressée par une oeuvre culturelle mais Sylvia remporte la palme du désagréable. Une torture permanente de vos sens. Des sons stridents sortant d’instruments pourtant habituellement agréables, une chanteuse agaçante par ses onomatopées étirées et des spots lumineux qui vous transpercent la rétine. Des monologues qui se veulent réfléchis mais qui sonnent creux comme une bobo au milieu d’un vernissage. Une seule envie durant cette soirée : se lever, hurler que cela cesse et s’en aller. C’est ce que j’aurais dû faire mais les gens qui m’accompagnaient voulaient laisser une chance à la pièce. Ils en sont sortis aussi déçus que moi, une remontée acide en plus ! L’histoire d’une poétesse américaine bipolaire qui vous fait vivre une torture durant 100 minutes au Théâtre de Namur!
« Je gagne ma liberté en rognant sur mes heures de sommeil ».
Sylvia, c’est Sylvia Plath, une poétesse américaine des années 50 et 60 et une des figures de proue d’un féminisme plus poétique qu’engagé.
Toute sa vie, elle se débattra entre son désir de correspondre au rêve américain (épouse et mère parfaite) et son besoin irrépressible d’écrire. Une vie brève et intense marquée par les dépressions et brutalement interrompue par un suicide à l’âge de trente ans.
Et c’est le féminin qui domine le plateau de tournage – on est au théâtre, on est au cinéma – : des comédiennes, des musiciennes, des techniciennes, d’âges, d’origines et de langues diverses.
Rythmé avec la magnifique Ann Pierlé et son Quartet, on assiste en direct à la réalisation d’un film sur Sylvia Plath, projeté sur écran et à son « making off ».
Et tandis que les spectateurs prennent place, ces filles s’approprient déjà l’espace, déambulent ou échangent quelques mots, légères et court vêtues à la mode des années 50-60 : robes fleuries et virevoltantes ajustées à la taille, hauts talons et ongles vernis.
Chacune, à tour de rôle, incarnera le personnage complexe de Sylvia Plath. Un spectacle musical à la lisière du théâtre et du cinéma.
« Il y a en moi une voix, qui refuse de se laisser réduire au silence. »
« (…) mon rêve à moi n’est pas le rêve américain : c’est d’écrire des histoires de femmes drôles et tendres. Mais je dois aussi être drôle et tendre, et non une femme désespérée, comme ma mère. » Sylvia Plath, le 9 août 1962.
« Ce que je redoute le plus, je crois, c’est la mort de l’imagination. Quand le ciel, dehors, se contente d’être rose, et les toits des maisons noirs : cet esprit photographique qui, paradoxalement, dit la vérité, mais la vérité vaine, sur le monde… » Sylvia Plath – Carnets intimes
« Nous qui avons si longtemps regardé ces spectacles pompeux dans les livres ; ou qui avons observé, cachées derrière les rideaux d’une fenêtre, les hommes cultivés quitter leur maison vers neuf heures et demie pour aller au bureau et retourner à la maison vers six heures et demie revenant d’un bureau, nous pouvons nous aussi, quitter la maison, monter ces marches, entrer et sortir par ces portes, porter des perruques et des robes, gagner de l’argent, rendre la justice. […] Les questions que nous devons poser, auxquelles nous devons répondre, à propos de la procession, sont d’une telle importance en cette époque transitoire qu’elles pourraient bien modifier l’existence de tous les hommes et de toutes les femmes, et à jamais. Car nous allons nous demander, ici et maintenant : désirons-nous la rejoindre cette procession ? Et, surtout, quelles conditions accepterons-nous ? Où nous conduira-t-elle, cette procession d’hommes cultivés ? » – Virginia Woolf, « Trois guinées », 1938, traduction de Viviane Forrester, édition Des femmes, 1977. »
Dès que le spectateur s’installe, l’agression commence. Auditive d’abord. Avec des sons presque expérimentaux qui sortent d’instruments pourtant fort agréables habituellement tels le saxo ou le synthé. Et puis ces syllabes criées comme une corde de guitare pincée par une chanteuse haut perchée. Le volume sonore est fort. Tellement poussé que, très vite, je me suis vue contrainte de fouiller mon sac à la recherche de mouchoirs en papier qui, une fois déchirés et transformés en boulettes, ont fait office de boules Quies improvisées... et conservées durant tout le spectacle.
Et ce monologue, en voix off, pseudo intellectuel qui réfléchit à l’oeuvre de l’artiste Plath. Digne des pires vernissages et réunions culturelles où des bobos viennent expliquer comment il faut penser. La seule chose que je pensais, moi, c’était « Mais faites-la taire« …
Et cela ne fait que dix minutes que la pièce a commencé !
Les lumières ensuite. La mise en scène montre des scènes filmées en direct sur le plateau du théâtre et la projection de ces dernières sur un écran. La lumière semble être pensée essentiellement pour ce « rendu caméra ». Au parterre du Théâtre Royal de Namur, ce 19 février 2022, à la rangée D, les spots étaient directement dirigés vers nos rétines. Nous étions plusieurs à devoir nous cacher les yeux lors de certaines scènes… On va au théâtre pour se détendre, pas pour subir une agression lumineuse.
Et cet écran sur lequel les scènes filmées sont diffusées… Tellement haut que nous en avions des douleurs à la nuque et qu’en rentrant ce soir, un bon ostéopathe nous fait terriblement envie. Je n’ose imaginer ce que les trois premières rangées ont dû ressentir. J’ai quand même l’impression que beaucoup ont raté une partie des actions diffusées sur cet écran car peu levaient la tête… Trop inconfortable sans doute.
Il y avait quand même un aspect positif. Les scènes filmées, surtout celles en noir et blanc, étaient d’une beauté rare. Digne des films d’époque avec les actrices élégantes. Mais l’on vient avant tout au théâtre pour voir du spectacle vivant et il est dommage que l’essentiel de l’esthétique soit sur le film. Réalisé en direct, certes, mais avec des inconvénients majeurs pour le spectateur dans la salle. Nous les avons développés.
Je ne saurais me prononcer sur les actrices ou sur leurs qualités tant les désagréments de la mise en scène m’ont incommodée. Mes sens étant saturés de stimuli désagréables. Elles étaient vivantes et incarnaient à tour de rôle cette écrivaine suicidaire dont le talent n’est que peu connu en Europe. Il est indéniable qu’elles proposent un travail important tant leur présence sur le plateau est de tous les instants. Elles sont tour à tour Sylvia, les copines, machiniste, déplacent les décors, guident la camera-woman, ….
Soulignons également que cette pièce est intéressante pour le contraste qu’elle offre entre la scène observée depuis la salle et celle filmée et diffusée en direct sur l’écran. Le changement de perspective, de point de vue, le déplacement des caméras, le rendu des lumières, etc. feraient l’objet de beaux cours de cinématographie. Observer ce film en train de se faire est un aspect intéressant et que le spectateur lambda n’a que peu l’occasion de rencontrer.
Cette chronique n’est pas le reflet du ressenti de l’ensemble des spectateurs dans la salle puisque des applaudissements se sont faits entendre à la fin de la pièce. Elle n’est que la transcription subjective de mon expérience de ce soir.
Sylvia, c’est avant toute chose l’histoire de Sylvia Plath. Cette poétesse – écrivaine américaine des années 50 et 60, totalement méconnue chez nous. C’est aussi une figure de lance du féminisme outre-atlantique. Et c’est l’aspect le plus développé dans cette pièce. Les combats intérieurs de cette femme qui opposent la créatrice et la mère au foyer.
Il est tout de même plus que regrettable que les droits sur les textes n’aient pas été obtenus par les créateurs de la pièce. En effet, il est impossible d’entendre les textes écrits par l’artiste durant le spectacle puisqu’une interdiction a été prononcée. Les descendants de l’écrivaine ne cautionnant pas le spectacle. Les seuls éléments qui sont livrés sont quelques citations mais, surtout, ces interminables monologues explicatifs de l’oeuvre de l’artiste. Il est quand même léger de présenter un projet basé sur la vie d’une artiste dont on fait l’éloge sans permettre au spectateur de se faire sa propre idée sur l’oeuvre.
Sans doute, la volonté du metteur en scène était-elle de nous faire prendre conscience du désordre dans la vie et dans la tête de Sylvia Plath. La bipolarité est une maladie mentale qui ravage tout dans la vie de celui qui la subit. Mais cela n’est qu’hypothèse…et en tant que spectateur, c’est bien trop violent à recevoir. C’est la première fois que je dois faire ce constat mais ce soir fût une soirée désagréable et vécue comme une agression permanente des sens et de l’esprit.
Pièce de théâtre : Sylvia
Au Théâtre Royal de Namur le 19 février 2022
Metteur en scène : Fabrice Murgia
Création du Théâtre National
Compagnie Artara – An Pierlé Quartet
Distribution : Nancy Nkusi, Clara Bonnet, George Cizeron, Vanessa Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers
Je n’ai pas vu ce spectacle. Je pense que cette représentation d’une Sylvia Plath hystérique et « beuglante » m’aurait écœurée. Ne faisant pas partie du cercle des artistes, des intellectuels et des décideurs de la culture, des universitaires, mon humble avis n’aura aucune importance. Encore une fois pour moi d’explorer ce monde très spécial de la « culture »