Des fautes dans un livre, c’est souvent rude. On a l’impression qu’elles inventent une nouvelle langue faite d’approximation et d’horreurs orthographiques. Ça nous ferait relever la tête d’un livre avec une moue de dégoût. Nous faire claquer la porte de l’évasion. Moi, même si je fais des fautes, de distraction, par manque de temps et de relecture (l’occasion, chers lecteurs, de vous écrire à quel point j’en suis désolé, platement), je traque les erreurs. Pourtant, ici, Élisa (parrainée par Nadia Nakhlé) a une bonne excuse et nous prouve comme la langue à sa façon peut élever et être poétique, s’adapter. D’un spectacle à un livre, par exemple.
Résumé de l’éditeur : Atteinte de dysphasie, Élisa, 8 ans, est confrontée à une réalité qui ne la comprend pas. L’enfant développe son propre langage, celui de son imaginaire, propre à l’affranchir du monde réel. Au fil des pages de son journal intime, l’enfant nous livre son quotidien, ses peurs, ses doutes, l’incompréhension des adultes, les moqueries des élèves, mais aussi ses joies, ses aspirations et ses rêves.
La nuit, tous les chats sont gris. Mais les dyslexiques? Et les dysphasiques? Passent-ils plus inaperçus? En tout cas, c’est dans la solitude, quand elle peut rêver et s’éveiller au monde qui l’entoure qu’Élisa devient mettre de son destin et le mener comme elle l’entend, avec les sonorités si particulières qui sortent de sa bouche.
La gamine n’y peut rien. Depuis sa naissance, ou plutôt qu’elle est en âge de parler, elle fait des fautes. À l’oral ou à l’écrit, on ne la comprend pas. Elle est bien courageuse et téméraire de rester dans l’enseignement « classique » alors que professeurs et directeurs l’encouragent à aller dans le spécialisé. Ses petits camarades aussi, à qui on ne peut reprocher le manque d’ouverture que leurs maîtres mettent eux aussi en application. Mais Zaza Bizar, comme on l’appelle, ne recule pas, elle avance, portée par ses rêves les plus fous (dans les étoiles et l’inconnu immense que symbolise l’espace où toute chose est pourtant à sa place), bien plus certains cela dit que l’hypothétique « pessialite » qui fera d’elle une enfant comme les autres. Le veut-elle seulement?
Après son incroyable roman graphique, Les Oiseaux ne se retournent pas, Nadia Nakhlé prouve à nouveau à quel point son audace vertigineuse et sa compréhension de ce que peut véhiculer dans les formes et le fond le média BD, peuvent dynamiter le Neuvième Art et l’emmener vers des terrains moins conventionnels. Avec une quantité insaisissable de fôt de françé qui parfois se révèlent magnifiques dans leur manière à partir d’un lapsus graphique pour nous emmener vers la poésie, l’auteure désarticule les mots et les phrases, les assure mal pour donner corps au journal intime de son héroïne malgré elle.
Dans la noirceur pour trouver la lumière (celle des étoiles et de la Lune peut suffire), Nadia prouve toute son empathie et valorise la différence dans ce qu’elle peut créer comme liberté et comme espace de (ré)inventions. C’est beau, c’est ample, c’est autant sensé qu’insensé.
Petits et grands (qui ne manqueront pas de planter le décor pour ne pas induire en erreur les enfants pouvant jouir de l’apprentissage de leur langue en bonne et due forme – c’est une chance à ne pas galvauder!) vont trouver là un terrain de jeu et de contemplation, de documentation riche et élégant. Avec des compagnons de route qu’on dit perdus mais qui sont surtout gagnés pour qui saura les rencontrer.