De merveilles en voyages, de Marco Polo à Gulliver: des livres s’aventurant à l’intérieur comme à l’extérieur, légers et profonds à la fois

Dans deux albums de la collection Noctambule, la grande littérature d’aventure et d’exploration s’invite dans l’art soigné de deux binômes d’exception. D’un côté, Bertrand Galic et Paul Echegoyen suivent une partie du voyage (pas la plus connue, quel plaisir) de Gulliver tel que raconté par Jonathan Swift. De l’autre, Étienne Le Roux et Vincent Froissard (déjà à l’oeuvre dans une Mille-et-unième nuit enivrante) refont le périple de Marco Polo, par les souvenirs du vieil homme qu’il semble être devenu. Deux adaptations libres et fortes pour que le lecteur en quête d’évasion s’y projette et y croie.

© Le Roux/Froissard chez Soleil

Résumé de l’éditeur : Après une attaque de pirates, Lemuel Gulliver cumule les découvertes : l’île volante de Laputa, Balnibarbi, l’Académie de Lagado, Maldonada, l’île de Glubbdubdrib, le royaume de Luggnagg puis le Japon, avant de rejoindre l’Angleterre. Conte philosophique, pamphlet sociétal et politique ou récit fantastique…

Résumé de l’éditeur : Un jeune vagabond rencontre de manière fortuite un vieil homme qui se révèle être Marco Polo. À travers les confidences de l’explorateur, le jeune homme va s’immerger dans le récit de son incroyable épopée en Chine, et comprendre ce qui a motivé son voyage…

© Le Roux/Froissard chez Soleil

Waow, quelle bouffée d’air salée les deux duos nous font-ils prendre, à plein poumon. Le livre des merveilles comme Les Voyages de Gulliver sont deux invitations ultimes au voyage, celui qui vous en met plein les yeux mais remuent aussi vos tripes, vous écartèlent entre les choix. Partir ou rester, c’est toujours la question. Et que ce soit Gulliver, pris ici entre Laputa au Japon (pas de Lilliputiens à l’horizon mais des hommes étranges et souvent masqués), ou Marco Polo, ils devront faire face à ce dilemme: avoir le mal de son chez-soi ou celui du paradis qu’ils ont trouvé.

© Galic/Echegoyen chez Soleil

Entre la fiction de Jonathan Swift et le récit autobiographique de Marco Polo – encore que peut-être que son grand âge l’oblige à défaillir en face du jeune homme qu’il va fasciner par ses récits -, il y a pas mal de points communs. À commencer par cette découverte, en filant vers l’Asie de nouvelles organisations de société et de pouvoir. Qui forcent le respect et, même si l’on est a priori invité, à ne pas faire un pas de côté. Il y a là un peu d’une prison dorée dont les barreaux se feront sans doute sentir après avoir percé les mille et un mystères que ces nouveaux horizons ont à proposer.

© Le Roux/Froissard chez Soleil

Les auteurs, eux, je le disais, ne se sont pas fait emprisonner par le texte de leurs illustres prédécesseurs dans l’art de conter. La liberté narrative et graphique est bel et bien à l’oeuvre pour nous faire rêver. Quand on parle d’aventure, on verrait facilement Bob Morane sortir des fourrés avec une machette, il n’en est rien ici : c’est avant tut par tous les sens et la contemplation que les adaptateurs tracent la voie, à travers les mers et les esprits.

© Galic/Echegoyen chez Soleil
© Galic/Echegoyen chez Soleil

Car il y a aussi toujours cette impression que tout n’est qu’un rêve, ou que le narrateur, le voyageur héroïque dont la mémoire perdure jusqu’à nous donc, exagère. Éh oui, même pour Marco Polo, Le Roux et Froissard ne choisissent pas entre le réel et l’irréel, mais les mélangent, dans les mots mais également dans des dessins suggestifs, transformant les décors d’ampleur et bien ancrés comme s’ils n’étaient que des petits nuages malléables selon les yeux inventifs de ceux qui les regardent. On peut y voir un monstre ou un yéti, pouvoir aux lecteurs, mais la fascination est bien là. Jusque dans l’ennui, quand Marco Polo radote sans génie, sans frénésie, qu’on s’apprêterait presque (mais non, le dessin est là pour nous tenir en haleine) à refermer l’album, mais que son jeune disciple lui répond… « ça ne me parle pas du tout ». À l’instant même où nous, en tant que lecteurs, nous nous disons la même chose. C’est magique, cette transmission de pensée par le papier.

© Froissard
© Le Roux/Froissard chez Soleil

Faisant force de ses ambiances, Vincent Froissard nous entraîne dans cet inconnu chinois où le jeune Marco Polo devient l’espion du Grand Khan pour les décennies à venir, au détriment de sa liberté et de celle de ses proches, riches mais ne sachant que faire de leur or. La tension commence là, dans ces voyages toujours plus loin, libre de mouvements tant qu’ils sont cadrés par la volonté sans faille et intraitable du dirigeant, entre missions périlleuses et cartographie d’un monde indocile, malgré les arts martiaux appris.

© Le Roux/Froissard chez Soleil

De leur côté, Galic et Echegoyen, sur leur île flottante remarquablement mise en labyrinthe, il n’y a pas d’échappatoire, Gulliver reste au coeur de cette cité mais peut y voyager entre les strates d’une société clivante et agencée pour que les frontières entre les nobles et la plèbe ne soient pas perméable. Tout est réglé comme une montre suisse, et c’est dans cette esthétique qu’est bâtie cette ville-monde parfois anarchique. La rigidité s’oppose à la rondeur dans le dessin d’Echegoyen où, contrairement à ses aventures précédentes, Gulliver paraît tout petit, de plus en plus petit à mesure qu’il conçoit son éloignement des siens, alors que le monde dans lequel il est arrivé est incroyablement riche mais n’est pas le sien.

© Galic/Echegoyen chez Soleil
© Galic/Echegoyen chez Soleil
© Galic/Echegoyen chez Soleil

Dans ces deux albums hautement recommandés, au fond, les quatre auteurs réussissent le voyage dans les décors mais aussi en intérieur, entre le cerveau et le coeur, transmettent de la passion et, surtout, font une grande et belle, mémorable, ode aux raconteurs d’histoires, qui inventent peut-être mais y croient, font corps et âmes avec elles et nous emportent, nous fascinent. Une tradition orale et puissamment narrative.

© Galic/Echegoyen chez Soleil
© Le Roux/Froissard chez Soleil

Titre : Les voyages de Gulliver

Sous-titre : De Laputa au Japon

Récit complet

D’après le roman de Jonathan Swift

Scénario : Bertrand Galic

Dessin et couleurs : Paul Echegoyen

Genre : Aventure, Conte, Fantastique

Éditeur : Soleil

Collection : Noctambule

Nbre de pages : 116

Prix : 17,95€

Date de sortie : le 02/12/2020

Extraits :

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Titre : Le livre des merveilles

Récit complet

D’après les récits de Marco Polo

Scénario : Étienne Le Roux

Dessin et couleurs : Vincent Froissard

Genre : Aventure, Conte, Onirique

Éditeur : Soleil

Collection : Noctambule

Nbre de pages : 74

Prix : 18,95€

Date de sortie : le 31/03/2021

Extraits :

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Un commentaire

  1. Le livre des merveilles est un gros coup de coeur, comme la 1001eme nuit, le precedent album du duo. Gulliver me faisait de l’oeil. .. merci pour cette chronique apetissante!

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