Le freak, c’est toujours aussi chic et porteur. Car la bizarrerie n’a comme limites que celles de l’intolérance des Hommes. Et comme celle-ci n’en a pas, la fiction aura toujours des monstres en réserve, pour nous épouvanter mais aussi nous apprendre à nous méfier des apparences et à aimer ce qu’elles cachent. On ne sait pas encore à quel saint se vouer dans la série Sideshow que proposent avec brio Éric Corbeyran et Emmanuel Despujol mais on se laisse happer par une Amérique en proie à bien des maux.

Résumé de l’éditeur : Charly a le pouvoir de neutraliser un vampire par sa seule présence. Dans un New York secoué par la crise, les créatures malfaisantes pullulent et Charly vit de son art. Accompagné de sa prisonnière, une Lamie coupable de meurtre transformée en fillette, Charly rejoint une troupe ambulante de « monstres de foire » dans une ambiance à la « Freaks ». Il se lie avec Trixie, femme tatouée de la troupe.

Ce qui est bien avec une couverture comme celle-là, c’est que si elle convoque en une affiche quelques mythes circassiens bien connus (la femme-serpent, Musclor, la poupée humaine, la femme à barbe…), devant laquelle passe un homme réprimandant et tenant fermement par la main une petite fille, rien ne dit à quel degré la promesse sera concrétisée. Dans le réalisme ou le merveilleux-fantastique ?


Si tout commence au cimetière, c’est bien la marche arrière qu’enclenchent les trois auteurs (le scénario d’Éric Corbeyran, le dessin superbe d’Emmanuel Despujol et les couleurs cruciales de Fabien Alquier) en faisant appel à deux personnages singuliers (les autres le seront aussi) qui, la seconde d’avant, ne se connaissaient pas. Un homme barbu qui n’a pas froid aux yeux quand il s’agit de mendier sa croûte et une petite femme qui n’a l’air de rien mais cache bien son jeu, enveloppée sous sa capuche, et son passé. Tous deux se remémorent Charly, un homme pas comme les autres. Sous ses airs de rien, Charly, c’est une gousse d’ail sous pied, un annihilateur de pouvoirs machiavéliques, qu’ils viennent de vampires, trolls ou autres bêtes à Satan. Son pouvoir? Ne pas en avoir tout en mettant sur pause ceux de ses ennemis.

Être étrange sans que cela puisse être visible, est-ce un mal ou un bien? Toujours est-il que cela fait de lui le dépositaire d’une grande douleur, celle d’être le seul enfant survivant de l’urbex d’une vieille maison dans laquelle un vampire géant a tué ses deux collègues explorateurs en herbe. Voilà, vous avez la réponse, assez vite dans l’album (et même dans le résumé), la couverture est bien la porte d’un monde oscillante entre l’Histoire de l’Amérique des années 50, le polar noir et le fantastique-horrifique. Et comme on vivote à cette époque, prenant du temps à découvrir son don, Charly va en faire son gagne-pain et ainsi devenir une sorte de détective paranormal au service de ceux qui peuvent le payer. Comme cette bourgeoise dont le mari est mort dans d’atroces circonstances, la nuit de (dé)plaisir avec sa prétendue maîtresse (les Lanies peuvent revêtir n’importe quelle apparence). Et voilà Charly qui sillonne l’Amérique, sa campagne et ses villes intolérantes pour retrouver l’âme damnée qui risque faire d’autres victimes.


Monstre parmi les hommes, hommes parmi les monstres, Charly va de surprise en surprise, découvrant un monde de sensations et de sentiments contradictoires qui le fera peut-être dévier de sa mission. Car les apparences peuvent être trompeuses, on l’a dit. Si le final qui laisse ses points de suspension jusqu’au second tome est un peu mou, aurait pu être plus fort et cinglant, Corbeyran, Despujol et Alquier signent un très bel album, envoûtant autant que glaçant, surtout chaleureux (coup de sang compris) dans les relations entre les protagonistes dans lesquelles il s’immisce.


Le casting s’annonce prometteur et palpitant, combinant les amitiés ou les inimitiés entre les héros en présence. Le terreau et les ingrédients sont là pour une série au long cours, d’autant plus que le dessinateur d’Aspic, détective de l’étrange n’a pas son pareil pour amener dans une même planche la naïveté comme la maturité, la rondeur ou la gravité, qui correspondent aux états de ses deux personnages principaux : un homme et une petite fille, prisonnière, dont le lien ne manque pas d’ambiguïté.


Série : Sideshow
Tome : 1 – Charly
Scénario : Éric Corbeyran
Dessin : Emmanuel Despujol
Couleurs : Fabien Alquier
Genre : Fantastique, Horreur, Roman Noir, Polar
Éditeur : Soleil
Nbre de pages : 56
Prix : 14,95€
Date de sortie : le 02/06/2021
Extraits :