Laisser verdure. C’est un peu ce qu’il s’est passé avec le confinement et les règles interdisant toute sortie intempestive. Encore plus dans une grande ville française comme Paris. Profitant de l’aubaine pour observer la toute-puissante nature reprendre ses droits sur les espaces verts de Paris, Pascal Giudicelli s’est laissé inspiré et a promené son carnet de croquis et de notes au gré de ses aventures naturelles au fil des arrondissements. Il nous fait découvrir cette facette moins connue de Paris et pourtant d’une biodiversité éclatante. En espérant que la cohabitation entre homme, plante et animaux reste consciencieuse et respectueuse.
Bonjour Pascal, avant toute chose, qui êtes-vous ?
Bonjour Alexis, je suis architecte paysagiste/land artiste. Je réalise notamment des murs et tableaux végétalisés uniques que je compose comme des toiles.
Êtes-vous parisien pur jus ou d’adoption ?
Je suis originaire du Loiret près d’Orléans et vis à Paris depuis une vingtaine d’années.
Dans quel arrondissement habitez-vous ? Quelles sont ses spécificités, qu’y a-t-il à y voir ? Faites-nous voyager un peu.
J’habite dans le (petit) 9e arrondissement, dans le quartier la Nouvelle Athènes près de notre Notre–Dame de Lorette. Je suis situé au bas de la rue des Martyrs, une rue très commerçante, touristique et animée qui monte vers le Sacré Cœur. C’est une des dernières rue de Paris au charme d’antan, c’est l’âme du 9e arrondissement. Il y en a pour tous les goûts, depuis l’Opéra Garnier aux grands magasins, la grande synagogue, le Musée Gustave Moreau, les célèbres salles de ventes aux enchères, les magnifiques Passages Couverts des Grands Boulevards, les théâtres. Bien sûr, il y a l’incontournable Pigalle avec ses pubs, ses salles de concerts et ses magasins de musique, paradis des guitaristes (une autre passion).

N’est-ce pas un contre-sens d’aimer tant les jardins tout en habitant une ville. Lumière, certes ?
Je pense que c’est précisément l’inverse, je suis venu à Paris pour étudier l’art des jardins et le paysage (à la Sorbonne puis à Versailles). En plus des parcs et jardins publics, il y a d’innombrables jardins privés, dissimulés, artistiques et uniques. J’ai pu découvrir bon nombre de ces jardins secrets durant mes années en agence de paysage. En vivant à Paris, on comprend d’avantage le rôle historique, sociologique, écologique (etc.) des jardins. Ils sont indispensables car ils sont pour les Parisiens la seule connexion au monde du vivant au milieu de l’asphalte. Ils sont aussi les témoins des saisons. Créer des jardins à Paris est à mon sens plus exaltant qu’en rase campagne, puisque précisément on apporte du vivant, de la poésie dans la grisaille, on se sent investit d’une mission, celle d’apporter du beau.
Quelle est la plante, la fleur, qui, pour vous, serait le symbole de Paris ?
Le blason de Paris est orné de fleurs de lis, mais on croise rarement ces plantes dans les jardins parisiens. Je pense que la fleur du camélia pourrait être le symbole de Paris. Je pense inévitablement au roman La Dame aux camélias dont une partie du récit offre une belle description de Paris au XIXe siècle mais aussi parce que le camélia symbolise l’élégance, le raffinement et la passion amoureuse. Parfait emblème pour Paris encore et toujours surnommé « la ville de l’amour ».
Comment en êtes-vous arriver à vous éprendre de la nature, des jardins, des paysages ? Et du dessin ?
Depuis ma plus tendre enfance, je me souviens d’une connexion très forte avec la nature, notamment avec le végétal. Je passais la plupart de mon temps dans mon jardin familial dans le Loiret. C’était mon terrain de jeu favoris, de découverte et d’expériences botaniques. À l’âge où la plupart s’intéressent aux motos, foot etc., j’étais enivré par les arbres, plantes et fleurs. Ma chambre était recouverte de plantes, mousse de forêts et matériaux issus de la nature avec lesquels je construisais des « mini-paysages ». Quarante ans plus tard, je réalise que je reproduis les mêmes gestes lors de la confection des tableaux végétalisés.
Je pense que c’était un refuge, une échappatoire dans un monde fascinant et bien plus magique que le monde qu’on nous impose. Je le pense toujours aujourd’hui. L’intérêt pour les jardins est arrivé très tôt puisque c’est précisément le lieu où l’on crée un mini-paradis, un espace unique de liberté. L’intérêt pour la notion de paysage est venu plus progressivement au cours de mes études. En effet, lire un paysage, l’apprécier pour ce qu’il est, le comprendre, éduquer son regard, tout cela s’apprend. Paysagiste n’est pas juste un métier mais à mon sens une philosophie de vie et de rapport au monde.

Le dessin est venu naturellement en dessinant les plantes pour mieux les comprendre d’un point de vue botanique. Puis, pas extension, le « croquis » de paysage est apparu pour imiter ce que je voyais. Mes carnets de croquis me suivaient lors de mes voyages et lors de mes projets en tant que paysagiste. Comprendre les volumes, les perspectives, l’attention aux détails, travailler son imaginaire, modifier/recréer ce que l’on voit, etc. Mais c’est surtout pour le plaisir du trait sur le papier, un tracé apaisant.
Quels ont été vos coups de foudre, tant en jardin qu’en crayonné, qui vous ont fait embrasser cette passion à double-facette ?
Sans hésitation aucune, j’ai eu une révélation pour les jardins japonais et leurs prouesses graphiques, esthétiques et techniques. Une parfaite harmonie de composition. Des tableaux vivants tout aussi complexes que passionnants à dessiner. Ce sont de véritables œuvres d’art qui nécessitent des codes de lectures pour je pense les apprécier encore davantage. Ils sont dotés d’une richesse inouïe en symbolique. Dès l’instant où l’on tente de dessiner la nature, on mesure l’immensité de sa créativité. Chercher à la dessiner force l’humilité.

Comment rendre compte au mieux des paysages ? Quelles sont vos techniques ?
Il faut tout d’abord y être sensible et accueillir le paysage avec tous ses sens en éveil. Puis certainement désapprendre un peu la technique (perspective, etc), pour se laisser happer et rentrer dans le paysage. On est trop souvent en position d’observateur, la difficulté est d’y pénétrer, faire partie intégrante de ce paysage. Enfin un certain lâcher prise à retranscrire sur papier, sans chercher à être dans la précision absolue et s’avouer qu’on ne le peut pas à l’échelle d’un paysage. Simplement suggérer par des lignes, points, etc. des volumes, rythmes, formes et relief. Jouer sur les ombrages et les plans.
Si je ne me trompe pas, c’est votre premier livre, non ? Comment avez-vous franchi le pas ? Vos différents travaux avant ce livre ne sont pas publics, qu’y trouve-t-on ?
C’est effectivement mon premier livre. J’ai songé il y a quelques années à faire un livre pour 2020. L’idée de 20 arrondissements à célébrer pour 2020 prenait forme. Ce que je n’avais évidemment pas prévu c’est la pandémie de Covid-19. Ironie du sort, cette épidémie a permis aux jardins de se déployer comme jamais auparavant. Sans entretien ni visiteurs, la nature a repris ces droits durant le 1er confinement. Il m’a paru intéressant de dessiner ces jardins comme jamais observés auparavant. Mes précédents travaux sont essentiellement des documents graphiques pour des projets à différentes échelles tels que cartographies, plans (masse, paysager, de plantation), schémas, perspectives, croquis, photomontage, coupes, axonométrie, bloc paysager et autres dessins (à la main et sur logiciels). Mais aussi la réalisation sur le terrain de jardins, terrasses, installations land art, murs et tableaux végétalisés.
Au fond, c’est quoi un jardin parisien ? Quelles sont les ressemblances de l’un à l’autre ? Et les divergences ?
Paris présente 490 espaces verts. Il serait malaisé de chercher une définition tant il existe une diversité de styles et de compositions selon l’époque de création. Au cours de mes déambulations, je les vois surtout comme des petits nids, des îlots cachés. Bien souvent, pour les plus secrets, il faut les chercher, les mériter en quelque sorte. Ils représentent de véritables bulles d’oxygène, des refuges de liberté. Il y règne une atmosphère paisible radicalement opposée au reste de la ville frénétique. Ils sont toujours fermés et difficilement visibles de l’extérieur. Les grilles, certaines fontaines, le mobilier (chaises, bancs, kiosques) est commun à de nombreux jardins. Il existe d’innombrables différences entre les jardins selon leur vocation (d’agrément, historique, de conservation, de collection botanique, de musées, de promenade) et de style à la française ou contemporain. Il faudrait un livre complet pour recouvrir le sujet.

Avez-vous visité tous les jardins qu’offre Paris ?
Tous les parcs et jardins oui. En revanche, il y a encore plein de squares que je ne connais pas et sans aucun doute des jardins privés magnifiques qui ne se visitent pas.
Choisir, c’est renoncer, comment avez-vous fait le casting de ces jardins présents dans votre livre ?
Effectivement, c’était un vrai dilemme, mais finalement j’ai choisi l’option suivante. Quand mon choix se portait sur 2 ou 3 jardins pour un même arrondissement, je sélectionnais toujours le jardin le moins connu du grand public.

De même, il fallait représenter chaque jardin en un seul angle de vue. Ça doit être cornélien ? Comment le choix s’est-il fait ? Vous vous êtes laissé faire par l’instinct et l’impro, l’ambiance ?
En effet, pour la majorité des jardins, j’ai beaucoup marché pour trouver ce qui me semblait être la meilleure vue, comme ferait un photographe à la recherche du meilleur plan. Parfois la conception même du jardin a été pensée pour imposer une vue remarquable au visiteur, c’est généralement celle que je privilégiais. L’instinct et l’ambiance du moment ont inévitablement une incidence sur le choix de la vue. Mais aussi selon le moment de la journée, selon l’éclairage, selon les senteurs, certaines vues me semblaient plus ou moins évidentes. Le parti pris était vraiment de ne pas analyser un jardin avec un regard de paysagiste strict mais plutôt de se laisser porter par les sensations du moment. Un peu comme un touriste avec son carnet de voyage
Y’a-t-il parfois eu des changements en cours de route. Ou, finalement, plusieurs dessins réalisés avant que vous choisissiez celui qui correspondait le mieux ?
Oui, de nombreux changements. Il y avait certains jardins que je voulais absolument voir figurer dans ce livre, mais qui étaient en travaux ou fermés à cette période (jardin asiatique du musée Guimet, jardin de la pagode). Parfois certains jardins offrent une ambiance extrêmement poétique mais que je ne parvenais pas à traduire en croquis car la scène n’est pas suffisamment graphique ou « pittoresque » mais pourtant il se passe quelque chose d’intraduisible. Certains jardins que j’adore ne sont pas forcement intéressants visuellement une fois croqués. Pour un même jardin, il était fréquent d’avoir deux ou trois dessins et de faire un choix .

Y’avait-il un moment de la journée particulier que vous mettiez à profit pour ce carnet ? Si oui, lequel est propice au dessin en temps réel ?
Oui je dessinais généralement tôt le matin dès l’ouverture des jardins à 8h30 et avant midi, heure à laquelle les Parisiens se pressent pour déjeuner. Le matin, la nature se réveille, les oiseaux ne se cachent pas encore des visiteurs, c’est le moment idéal pour apprécier le charme des jardins en solitaire.
Par tous les temps ? Vous dessinez parfois sous la pluie, dans le vent ?
Par chance, il n’y a eu aucunes intempéries durant toute la période où j’ai croqué les jardins.
Pas de couleurs, aussi, pourquoi ?
Le croquis en noir et blanc me permet de se concentrer sur l’essentiel. De souligner l’architecture des jardin (composition, conception, échelles, formes, volumes, plans, lignes, axes, perspectives, points d’appels..). De plus, nous sommes abreuvés quotidiennement d’images saturées de couleurs. Le noir est blanc me semble intemporel et fait travailler l’imaginaire, ce qui correspond bien à Paris.
Les couleurs sont trop changeantes selon l’heure de la journée et ne figent pas une réalité du jardin. Enfin, compte tenu du format du livre, les croquis aurait été trop chargés.
J’imagine aussi, et ce n’est pas dans votre livre, que cette activité est sujette à favoriser les rencontres ? Des gens s’arrêtent, vous observent, vous parlent ? Des anecdotes ?
Oui, c’est assez drôle, les gens sont relativement curieux. Ils sont habitués à voir les promeneurs prendre des photos, les dessinateurs sont plus rares aujourd’hui. Les jardins sont pour certaines personnes isolées des lieux de socialisation, certains sont mêmes très bavards! J’ai pu échanger avec des photographes et peintres habitués de certains jardins qui connaissent bien les lumières selon les saisons et heures. Des savoirs uniques, d’une rare précision offerts par des gens passionnés et passionnants.

Il n’y a que des arbres, des brins d’herbes, des briques… pas d’humains, dans ce livre, pourquoi ce choix ?
Pour plusieurs raisons. Nous savions que la nature dans les jardins sans présence humaine avait explosé durant ce 1er confinement. Je voulais donc la retranscrire telle quelle. Il y a néanmoins quelques personnages sur certains dessins que j’ai volontairement dessinés pour donner une notion d’échelle. De plus la présence de personnages nuirait à la lecture de l’architecture du jardin. Il y quelque chose d’intimiste en dessinant un jardin dépourvu du public, je me l’approprie davantage. Au même titre que visiter un jardin sans public est un voyage bien plus calme et intime.
D’autant plus que, pour peu qu’il fasse bon, j’imagine que les jardins étaient remplis de gens qui se déconfinaient. Aller au jardin, le sien ou celui public, n’était-ce pas l’une des seules activités possibles durant les confinements auquel a donné lieu l’épidémie de Covid ?
Les jardins sont restés fermés du 17 mars au 30 mai 2020. Je dessinais tôt le matin pour éviter l’affluence de l’après-midi. Au déconfinement, il y avait de toute façon très peu de monde, la plupart des Parisiens n’étaient pas revenus. L’ambiance était similaire à celle du mois d’aout à Paris.
On y voyait des gens qu’on ne voyait jamais auparavant ?
Je présume que oui. Beaucoup éprouvaient le manque de nature. Un sevrage puis l’appel de la nature. Certains semblaient aussi découvrir l’existence des jardins parisiens.
Cette découverte de la biodiversité par un public qui n’y allait pas, cela n’a-t-il parfois pas donné lieu à des comportements peu respectueux et menaçant la faune et de la flore.
Je ne saurais le dire car je n’ai pas assisté à des scènes du genre. Mais cette nature triomphante, ne l’a été que sur une courte durée. La faune a dû inévitablement être déconcertée du retour bruyant des visiteurs. J’ose espérer que cette crise a rendu le public plus respectueux et curieux de son environnement.
En parlant de faune, que voit-on comme espèces à Paris ? Et parfois des animaux qu’on n’aurait jamais pensé trouver là ?
Ce confinement a permis de répertorier une biodiversité très riche en insectes (papillons, libellules, abeilles…), mammifères (hérissons, fouines, chauve-souris, renards, écureuils…), oiseaux (faucons crécerelles, chardonnerets, chouettes hulotte…), reptiles (lézards des murailles, orvet…) amphibiens (crapauds accoucheurs, tritons palmés) de nombreuses espèces de poissons également.
Quel est pour vous votre jardin préféré ? Ils sont tous différents ?
Tous ces jardins sont extrêmement différents. Mon préféré est le Jardin Du Luxembourg, l’ambiance qui y règne symbolise vraiment un Paris bohème et poétique. Il a un côté carte postale. Mes souvenirs des années d’étudiant à la Sorbonne de géographie y sont sans doute pour beaucoup.
Enfin, vous avez décidé de décliner votre périple en fonction des arrondissements. Au fur et à mesure de votre voyage, sent-on une ambiance, une identité, une population différente en fonction des arrondissements/jardins traversés ?
Chaque arrondissement et chaque jardin à son identité, son ambiance. Il y a en réalité dans Paris, vingt Paris différents. La population est extrêmement différente selon les arrondissements. C’est vraiment flagrant lorsqu’on se déplace en métro. Mais pourtant, une fois dans le jardin, toutes les populations, origines et tranches d’âges se mélangent. C’est aussi ça la magie des jardins, il y a une diversité végétale et sociale. Un travail sociologique approfondi serait intéressant.
J’imagine qu’il y a sous la verdure des légendes, des histoires, des faits historiques, patrimoniaux qu’on se raconte. Y’en a-t-il l’une ou l’autre que vous auriez envie de nous raconter ?
Parmi toutes ces histoires, il en existe une pour la plupart du temps inconnue du grand public. C’est l’épopée botanique qui se cache derrière chaque jardin. En parlant avec les jardiniers on peut recevoir de précieuses informations. Ainsi j’ai pu découvrir l’orme de chine de 200 ans au Jardin des Tuileries, l’if taxus baccata de 250 ans au parc de Bagatelle ou encore le sequoia de 153 ans aux Buttes Chaumont. Je suis toujours impressionné face à de tels sujets. Ces arbres discrets sont les témoins du temps. Si comme les murs, ces arbres pouvaient parler, ce serait à coup sûr incroyable.
La suite pour vous, quelle est-elle ?
Après un an de crise liée à l’épidémie du Covid-19, mon activité en tant que paysagiste repart progressivement. Mon site internet sera en lignes d’ici quelques semaines. Celui-ci présentera mon travail en tant que paysagiste/land artiste. Deux autres livres verront le jour d’ici quelques années.
Merci beaucoup, Pascal, on vous souhaite du soleil et de l’ombre, de la verdure, surtout.
Titre : Jardins parisiens
Sous-titre : 1 arrondissement – 1 croquis
Auteur : Pascal Giudicelli
Genre : Art book, Dessin, Nature
Édition : Bookelis
Collection : Copernic
Nbre de pages : 152
Prix : 12€
Date de sortie : le 12/11/2020