Les fantômes du Titanic, Didier Quella-Guyot et Pascal Regnauld les ont faits leurs dans cette suite non moins tragique de la tragédie que tout le monde a en tête (et un air de Céline Dion dans les oreilles) depuis un fameux film de James Cameron. C’est en effet plus ou moins à la fin du long long-métrage et de l’histoire telle qu’elle a été retenue dans les grandes lignes que commencent la trame des deux auteurs et la basse besogne des pompes funèbres maritimes, qui n’avaient jamais été confrontées à un tel charnier. Mais elles le seraient encore sur le naufrage de l’Empress of Ireland, quelques années plus tard. Forcément, parmi les morts, il y a eu beaucoup d’appelés et peu d’élus à une sépulture décente. De quoi nourrir l’incompréhension, voire l’esprit de vengeance, de certains proches des victimes ayant coulé à jamais.


Résumé de l’éditeur : À l’automne 1917, Halifax connait une série de meurtres par noyade incompréhensibles. Quelqu’un en veut manifestement aux personnes présentes sur le Mackay-Bennett, le bateau ayant procédé à la récupération des corps des victimes du Titanic. Les enquêteurs découvrent en effet que les victimes sont les « décideurs » faisant partie de l’équipage : croque-mort, révérend, docteur, embaumeur, glacier… une équipe réunie par une entreprise funéraire locale qui a tout organisé dans l’urgence de la catastrophe. Le gérant de cette entreprise s’appelle Roy Collins. Il est d’origine indienne. En général, cela n’aide pas à se sortir de situations délicates…


Voir l’Atlantique Nord et puis mourir, ça fait froid dans le dos. Est-ce pour cela que parmi les vaisseaux de secours, personne ne voulait se mouiller ? Toujours est-il qu’à l’appel de l’armateur du Titanic, la White Star Line, et de son antenne à Halifax au Canada, peu de brancardiers maritimes se pressaient au portillon. Parce que la mission était suicidaire, qu’on savait que parmi tous les cadavres on n’en ramènerait que la surface visible de l’iceberg. Alors, la White Star est allé chercher celui qui ne pouvait pas refuser, pris à la gorge par les dettes : Roy Collins à bord de son Mackay-Bennett et son équipage finalement familial. Du moins avant d’aller naviguer en eaux troubles et d’essayer de ramener à bon port pour leur dernier voyage le plus de dépouilles. Tout en sachant qu’il faudrait en lester beaucoup plus. Parmi les vivants, le croque-mort, l’embaumeur, les menuisiers, le glacier, etc., tout le monde ne reviendrait pas indemne. Mais la société de Roy Collins, elle, tirant parti du malheur avec pourtant beaucoup de compassion, sorti la tête de l’eau.


Reste que le souvenir de ce cauchemar, auquel participa quelques années plus tard le naufrage de l’Empress of Ireland, marqua les esprits tandis que l’eau continuait de s’écouler à son rythme. Quelques années plus tard, à Halifax, d’où sont partis les secouristes pour ramener dans leurs cales malheur et douleur, une vague de meurtres sordides, et reproduisant une noyade, troublent l’actualité et les vies de tous les damnés qui ont pris place à bord du Mackay-Bennett (et ont depuis, bien souvent, changé de boulot, tout en gardant comme horizon cet océan qui peut être un piège). Qui est le démon qui fait ressurgir le passé de manière violente et mortelle ?


Pour tout dire, dans le récit que proposent Didier Quella-Guyot et Pascal Regnauld, on devine assez vite qui est le coupable entre les fausses pistes que suit un enquêteur de Québec diligenté sur place avec tous ses préjugés racistes (entre noirs et indiens, il y a le choix de les assouvir) et sa haute estime de lui-même. Oui, sans doute trop habitué aux déroulés des enquêtes qui pullulent sur nos écrans, dans la narration extradiégétique, on comprend très vite qui est la personne qui se venge dans l’ombre de tous ceux qu’elle juge coupable d’avoir laissé sombrer le corps d’un proche.



Deviner gâche-t-il le plaisir? Pas du tout, parce qu’on se laisse emporter par le trait si personnel et singulier de Pascal Regnauld, cultivant l’art du dessin façon film négatif qui donne un relief extraordinaire à ses planches. Puis, on se dit jusqu’au bout, que la donne va changer, qu’il y a eu quiproquo et que le coupable n’est pas celui qu’on croit. Il n’en est rien mais tout se justifie dans le mobile et la perception de la réalité du criminel-vengeur qui vaut son pesant de cacahuète et nous scotche jusqu’à la dernière note de cette fortune de mer chorale et n’épargnant personne.


Dans la puissance de l’eau mais aussi du feu, car dans le fil historique sur lequel il plante sa fiction, le duo n’a pas fait l’impasse sur la terrible explosion du navire Mont Blanc, la plus grosse explosion d’origine humaine avant qu’Hiroshima ne la surclasse malheureusement. De l’attendu surgit l’inattendu après même la résolution de l’enquête. Et on marche à fond, on y croit à cette histoire traquant et documentant la petite histoire dans la grande Histoire.


Titre : Halifax, mon chagrin
Récit complet
Scénario : Didier Quella-Guyot
Dessin et couleurs : Pascal Regnauld
Genre : Drame, Enquête
Éditeur : Félès
Nbre de pages : 108
Prix : 21€
Date de sortie : le 26/04/2021
Extraits :