De mine de rien en mine d’or, Créons signe et joue un roman graphique fabuleux et profond sur l’universelle toute-puissance des arts et de la liberté d’expression

C’est une pépite, un trésor, un chef-d’oeuvre autant qu’un OVNI, ce que nous propose Créons en narrant les aventures de… Créons. Pourtant, ce n’est pas un récit autobiographique (encore que, qui sait) tant on soupçonne l’auteur, ou le collectif?, d’être bien humain de chair et d’os, et non un bâtonnet de bois couronné d’une mine. Ce qui est indéniable par contre, c’est la manière dont cet auteur s’allie, fusionne avec ses outils pour s’attaquer à l’immensément grand et fort. Ainsi, Créons, graffeur, a d’abord créé des fresques à la gloire de son héros sur les murs de Bruxelles, autant de failles spatio-temporelles dans la capitale qui s’offrent de plus belle à ceux qui découvriront L’autre part, roman graphique publié par les éditions-librairie CFC complètement fou et génial, sur près de 220 planches silencieuses mais tellement mélodiques dont on ne sort pas indemne.

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Résumé de l’éditeur : Depuis des années, en se promenant dans Bruxelles, sur les murs et à endroits improbables, on croise un personnage en forme de crayon. Il anime la capitale, orne les devantures, se cache dans les recoins, apparaît dans les interstices.  Crayon se costume, change de couleur et d’attitude au gré de ses humeurs. Il invite les passants à le repérer et à investir la ville comme un vaste espace de création à ciel ouvert, à la fois poétique, ludique et critique. Crayon est l’œuvre de Créons qui propose ici pour la première fois un récit graphique sans paroles mettant en scène son personnage.  Plongé dans un tourbillon, Crayon oscille entre songe et réalité et nous entraîne dans un road trip alternant rencontres et aventures. 

© Créons chez CFC
© Créons chez CFC

 

Crayon. Redites-le pour voir. Crayon. Ça, c’est un mot qui fait sourire, excitant. Parce qu’il cultive l’ambiguïté et la sonorité de tous les possibles, d’imaginer des univers incroyables tous azimuts, tous horizons. Un crayon, ça prolonge votre doigt, votre main, certainement soumis à rude épreuve là où le reste de votre corps est immunisé et peut vivre confortablement les drames ou les aventures, les larmes ou les rires, les fictions ou le documentaire que cet ustensile si utile à rêver, à se laisser aller, doit affronter. Si fragile et fort à la fois, le crayon est vent debout et il faut l’user pour en venir à bout, dans un ouragan de couleurs.

© Créons chez CFC

Sur la couverture, Créons est pourtant dans une sale passe, en chute libre dans un ciel infini. Va-t-il se rattraper sur un nuage, s’étaler sur un sol duveteux ou se crasher sur un terrain dur comme la pierre. Toujours est-il que son auteur, photo-graphiste a figé cet instant aussi tétanisant que gracieux, élégiaque et grandiose, avant que la course folle ne commence. Ça donne diablement envie d’ouvrir le livre, de déployer sa magie. Et déjà, sur les pages de garde, l’auteur a fait ses gammes, un assemblage de taches multicolores, de notes de peinture hirsutes permettant de faire ses armes, du dur au doux. Puis, hop, qui a éteint la lumière.

© Créons chez CFC
© Créons chez CFC

Certains créent à partir du blanc, Créons lui le fait sur le noir, en rallumant la lumière, en allumant le feu pour refroidir les ardeurs de la pluie qui s’abat sur la triste petite vi(ll)e de notre nouvel ami. Le réveil est désaccordé, casse-noisettes ne joue même plus « je te tiens tu me tiens par la barbichette » et les natures mortes le sont toujours plus. Dans la maison, tout est morne, mélancolique, délétère. Puis l’eau s’infiltre, l’inondation guette. Porté par les événements, Créons doit sauver son univers qui gondole. La scène est digne de L’apprenti sorcier de Fantasia.

© Créons chez CFC

Et lorsque la nuit d’encre s’installe après un grand éclair, le petit bâton rouge n’a d’autre choix de s’aventurer dans les profondeurs de sa cave et, à son insu, de traverser le miroir. Qui veut sa perte ou son échappatoire? Toujours est-il que le pas vers l’inconnu est franchi, dans une nature luxuriante, minérale, auprès des grands-frères, des grands-pères, ces arbres colossaux qui ne rentrent même pas les cases. Crayon touche du bois, il n’est pas en train de rêver, le rouge voit vert. C’est une renaissance dans un décor vaste et que personne ne semble avoir colonisé jusque-là. Enfin ça, c’était avant que l’intrus ne se fasse rattraper par deux drôles de gardes, dont l’armure guerrière cache des gus’ non-identifiés. Aux ordres de qui, de quoi ? On s’attend presque à ce que le chef de ce royaume hurle : « qu’on lui coupe la mine! »

© Créons chez CFC

Avec sa palette extraordinaire, l’auteur fait de ce périple intime, émotionnel, grandeur nature et féerie, une ode à la vie et à la liberté créatrice, expressive. Dédiant son album notamment à Miro, Créons (le dessinateur, donc) navigue entre crayonné et peinture, entre les styles et les grains. Car oui, il y en a, si le papier est lisse, dans la course en avant, il y a aussi des envies de relief. On sent les couches, les traits, la profondeur de cette aventure à la fois épique et contemplative, favorisant le lien mais aussi la douloureuse séparation. Sur sa route, Créons (qui ne peut s’exprimer que par les mouvements, sacré challenge sur papier, car il n’a ni yeux, ni bouche, juste cette mine qui le coiffe et son habit rectiligne) va croiser d’autres destins, bien plus d’amis que d’ennemis.

© Créons chez CFC

Comme les hôtes de ce bois, terrés de peur de représailles, ou cet homme (qui possède un gros pif aviné, une bouche gouaillarde mais pas d’yeux, enfoncés sous son gros chapeau) magicien à ses heures, qui donne à notre anti-héros le pouvoir de l’arc-en-ciel. Ici personne ne se parle, mais tout le monde s’écoute, et cela mène à chercher le sens profond et le besoin du dess(e)in intelligent, sa mythologie rupestre. Dessiner, c’est faire exister. Un allié, un monde meilleur, une évocation joyeuse qui vient à notre secours quand on broie du noir. Et la fête de s’installer, alors que l’orage guette à nouveau, la bataille durant laquelle Créons va peut-être prendre du galon et sauver enfin ses amis.

© Créons chez CFC

C’est un album impressionnant que j’ai tenu dans mes mains et que je ne lâcherai pour rien au monde. Ouvrage d’art autant qu’histoire fantaisiste puissante, L’Autre Part réussit avec des personnages hauts en couleurs mais handicapés dans leurs expressions à faire passer mille émotions, à utiliser tous les sens et les éléments et à faire percer comme un soleil toutes les couleurs du monde qui le rende bien plus joli. L’autre part est un mille-feuille dont on ne percera pas tous les secrets en un coup, même pas en cent. Vertigineux et audacieux, admirable. Je me taille, je vais m’y replonger.

© Créons chez CFC
© Créons chez CFC

Pour y plonger, une autre occasion en or est donnée. Jusqu’au 27 juin, le See U (Rue Fritz Toussaint, 8 à Ixelles) accueille une exposition déambulatoire faisant la part belle à l’art protéiforme des Crayons. Infos et réservations via les crayons1@gmail.com ou www.les-crayons.com

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Titre : L’autre part

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Créons

Genre : Anthropomorphe, Aventure, Merveilleux, Muet, Roman Graphique

Éditeur : CFC

Nbre de pages : 220

Prix : 24€

Date de sortie : le 19/11/2020

Extraits : 

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