Il ne faut pas confondre le sympathique Lord Jeffrey de notre ami Hamo et Lord Harold (douzième du nom) du tandem Charlot-Fourquemin. Outre la difficulté de savoir s’il faut ou non doubler la consonne du milieu, ces deux héros sont très différents. Si le premier évoque dans tous les décors britanniques possibles l’enquête mystérieuse et aux limites de l’ésotérisme d’un jeune homme; le second a plus ou moins le même âge et se « cantonne » au Londres victorien et, plus précisément, à un quartier plein à ras bord de fripouilles en tous genres. L’occasion pour Philippe Charlot et Xavier Fourquemin de poursuivre avec brio leur collaboration en visitant après New York (et l’Amérique) et Paris, le Grand Brouillard qui n’a jamais aussi bien porté son surnom. Avec un petit bonhomme qui a tout à y apprendre mais n’en démord pas.
Résumé de l’éditeur : Lord Harold Alaister Cunningham Talbot, douzième du nom, est l’héritier de l’une des plus grandes familles de l’Angleterre victorienne. Mais alors que ses nobles ascendances lui assureraient un train de vie confortable et sans effort, ce grand amateur de littérature romanesque décide de se plier à la dure loi du travail en mettant les fruits de sa prestigieuse éducation au service de la police. Et pas n’importe où : le voilà propulsé inspecteur novice à Blackchurch, l’un des quartiers les plus mal famés de tout Londres ! En arrivant sur place, le candide Harold va découvrir un univers bigarré, peuplé d’escrocs et de fieffés forbans, où l’unique loi qui vaille est celle du silence. Ses trop bonnes manières risquent de ne pas passer inaperçues… surtout auprès des trois jeunes femmes qui semblent tenir le quartier d’une main de fer.

Puisque la relève, c’est la jeunesse, les jeunes héros peut-être naïfs mais avides de réaliser leurs rêves et de bousculer les contraintes et les frontières qu’on leur met, Philippe Charlot et Xavier Fourquemin y vont gaiement, passant d’un univers à l’autre, avec la même envie d’incarner de chouettes personnages qui ne se reposent jamais sur leurs lauriers ni sur ce qu’ils n’ont pas forcément pour réussir, mais trouvent la force ailleurs pour se montrer inspirant, proactifs, courageux ou malicieux.

C’est le cas avec Lord Harold, avec qui nous avons déjà pu nous familiariser durant deux albums qui se suivent. Lord Harold, il fait les choses à l’envers. Orphelin depuis très longtemps, il n’y a pas dans son entourage une personne qui va disparaître et le faire sortir de son cocon. Non, si Lord Harold a décidé de devenir bobby, c’est entièrement sa volonté. Vue au mieux avec cocasserie, au pire d’un mauvais oeil, par ses proches, il faut dire que cette lubie paraît incongrue, peu conciliable avec son rang d’héritier d’une des plus riches familles de la perfide Albion. Un milieu qui ne se prête pas forcément à l’aventure. Alors Lord Harold a revêtu ce que certains prennent pour un déguisement: pantalon, cape et casque reconnaissable entre toutes combinaisons policières.

Et voilà Harold qui quitte son quartier huppé, y abandonne son majordome (dans un premier temps), et part résoudre les mystères, disparitions suspectes et menus trafics de Blackchurch, quartier dont le crime est l’affaire et tout le monde trouve ça normal. Y compris la police, quelques bras cassés sous le commandement d’un commissaire qui préfère peindre de meilleurs jours et peut-être laisser couler par peur de représailles, de se frotter à beaucoup plus fort qu’elle. Ce ghetto des « méchants » ne s’attire ni les foudres ni les inquiétudes des puissants et dirigeants. Tout le monde s’en fiche, sauf quelques conspirationnistes dangereux, et laisse Blackchurch s’encanailler toujours plus, sous l’égide de la Mystérieuse, figure fantomatique (tout autant que son bateau qui surgit les soirs de brumes), papesse de ces fous non pas parisiens mais bien anglais.

Par son envie de mettre son nez dans ce qui ne regarde peut-être pas ceux qui ont envie de rester en vie, Harold va dynamiter tout ça. Avec Hermès, son bulldog, il va apprendre à se mettre en poche ses collègues mais aussi quelques fripouilles. À l’image de ces trois jeunes filles qui tiennent une partie des rênes du quartier, qui ne mettent pas hors-jeu Harold et semblent même l’apprécier, mais pas au point de mettre en péril leur business juteux.

Les quelques vols de portefeuilles, c’est de la rigolade à côté des cadavres humains, de la noyade de tout un troupeau de vaches, de la disparition de plaques nommant les rues de cet enfer et les bagarres de pub (dignes de western, le pub s’écroulant même) que notre aspirant enquêteur va trouver sur son chemin. L’Angleterre victorienne, c’est un univers tellement riche que beaucoup de séries et fictions ont tenté de l’épuiser ces derniers temps. Pas assez que pour Charlot et Fourquemin y mettent leur grain de sel avec esprit, humour mais aussi de l’enjeu. À tel point qu’ils se sont peut-être un peu perdus dans le premier tome de cette saga en voulant trop présenter de long en large cet arrondissement malsain. La fin faisait pshiit par son « à suivre », alors que deux autres moments de l’album auraient pu bien mieux servir à relancer le suspense sur un cliffhanger. Mais peut-on en vouloir à des auteurs d’être trop généreux ? D’autant plus quand le deuxième album épouse si bien les nombreuses pistes développées dans le premier album.
Dans Lord Harold, il y a à la fois de l’action et de l’intelligence (avec même un passage C’est pas sorcier), le tout au profit d’une galerie de personnages frétillant entre humour, sens du devoir (ou du crime) et mystère. Si certains paraissent superficiels, le duo créateur connait son affaire pour réserver quelques surprises de derrière les fagots qui donnent le supplément d’âme qui crée l’étincelle chez le lecteur. Sous les couleurs bien senties, poisseuses, de Clément Canthelou, Xavier Fourquemin est comme un poisson dans la Tamise mais aussi comme un oiseau agile sur les toits, lors d’une course-poursuite essoufflante.

Résolument, les deux auteurs ne se font pas enfermer dans cet univers codifié mais où ils trouvent bien leur place pour nous promettre le meilleur. Avec un jeune héros qui ne s’attendait sans doute pas à trouver en face de lui une autre hiérarchie que celle qu’il connaissait au sommet des strates anglaises, celle des bas-fonds, du crime acéré, auquel peuvent se mêler quelques notables pour de sombres secrets. « – Un flic incorruptible. – Il n’a pas besoin d’argent, ça va être compliqué. – Heureusement, il existe certaines choses qui sont plus fortes que l’argent. »

Au final de ce premier cycle, tout cela est très excitant et sans doute est-ce mieux de découvrir les deux premiers tomes ensemble pour saisir tout le potentiel de cette série qui plaira à tous les publics.
En attendant la suite, les deux auteurs se lancent dans un western.
Série : Lord Harold, douzième du nom
Tome : 1 – Blackchurch et 2 – Trois petites souris
Scénario : Philippe Charlot
Dessin : Xavier Fourquemin
Couleurs : Clément Canthelou
Genre : Drame, Enquête, Jeunesse, Polar, Mystère
Éditeur : Vents d’Ouest
Nbre de pages : 56
Prix : 14,50 €
Date de sortie : le 08/01/2020 et le 10/02/2021
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