Dans la neige des Ardennes 1944, tous les soldats américains sont logés à la même enseigne et pourtant le racisme ressort un peu plus

De peur de prendre le train en marche, je n’avais pas osé me lancer dans la série Airborne 44 du Verviétois Philippe Jarbinet qui, depuis neuf tomes, balaye les territoires pris dans les tenailles de la seconde guerre mondiale, en France mais aussi et surtout en Belgique, dans les Ardennes. « La guerre partout pour tous », résumait l’auteur dans l’entrée en matière de cette saga. C’est finalement par le tome 9, chassant la belle musique, pleine d’âme, par les cris de la guerre vociférante, que je suis finalement arrivé dans la boue et le sang que la neige est tout de même en peine de masquer.

© Jarbinet chez Casterman

Résumé de l’éditeur : Alors que Nice est libérée en août 1944 et que la fête bat son plein dans la ville du sud de la France, deux soldats sont amenés à se rencontrer. La liesse conduit Virgil, un jeune afro américain, vers les bras d’une jeune infirmière blanche. Ceci n’est pas pour plaire à un autre soldat Jared, qui ne voit pas d’un bon œil ce rapprochement entre un noir et une blanche. Passé à tabac, le jeune homme devra pourtant dans le futur se battre au côté de Jared. Ainsi, deux mondes se confrontent et ne sont pas aussi manichéens qu’ils en avaient l’air à l’origine.

© Jarbinet chez Casterman

Oui, j’ai pris le train en marche, et bien m’en a pris. Hormis quelques allusions à des rencontres et faits s’étant déroulés dans les précédents albums, la guerre ne se faisant pas en un jour, c’est une histoire totalement indépendante, dans la fiction du moins tant Jarbinet crédibilise cet horrible événement mondial. Pour preuve, pour ce nouveau diptyque, participant à la dynamique chorale de la série, c’est un nouveau personnage que l’auteur intègre : Virgil Burdette. Oh il est bien plus à l’aise avec une guitare dans les mains qu’une arme mais, voilà, contre vents et marées, il est engagé.

© Jarbinet chez Casterman
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Loin de sa terre natale mais sur les traces de son père qu’il a trop peu connu. La guerre n’était-elle pas le prétexte pour repartir sur les traces de son géniteur, lui aussi bluesman de génie et ayant laissé de bons souvenirs là où il est passé. Même s’il est trop tôt parti. Mais cet horrible animal qu’est le conflit armé et sanglant laisse peu de place aux séquences émotions.

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Mais ce n’est pas pour autant que le combat et l’attente de celui-ci étouffent les personnalités, agissent comme la locution « Unus pro omnibus, omnes pro uno » que les trois ou quatre mousquetaires avaient fait leur. Non, si on tient les armes en fonction de son vécu, face à des enjeux dont il pourrait n’avoir cure et à une guerre qu’il aurait pu considérer comme n’étant pas la sienne, Virgil va se heurter une nouvelle fois au racisme, peu importe qu’il soit héroïque ou qu’il perde ses moyens.

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Lui et la bande de « blacks » ont fait preuve de courage et de dextérité pour couvrir les combattants et leur permettre de percer les lignes ennemies ou de ne pas succomber, mais il reste des noirs. Et il y a des sales bêtes dans les régiments qui sont prêts à chaque instant pour leur mettre des bâtons dans les roues. C’est ainsi que de son poste protégé de chauffeur pour une huile, Virgil va tomber sur le champ de bataille, mal embarqué. Aux côtés de celui qui a provoqué sa chute. Entre les moments chauds, où il faut déconnecter les émotions de son cerveau pour faire oeuvre de tactiques et de survie, il y a de la place pour que l’humain et la tentation de la haine reprennent le dessus. Quand les accalmies n’ont de pouvoir que sur la poudre et que les cris et coups de gueule et de sang peuvent continuer d’ébranler la peine, la plaine.

© Jarbinet chez Casterman
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Rythmant son récit entre les épisodes de feu, Philippe Jarbinet témoigne de l’aventure psychologique autant que musculaire qui se larve dans la longue marche qui mène vers la liberté ou l’enfer, la mort, qui force à l’entraide après les brouilles et les gnons. Surtout, même si certains de ses personnages ont l’air de vraies crapules, l’auteur montre qu’il ne faut pas s’arrêter à la façade, encore moins mettre tout le monde dans le même sac, et qu’il y a des explications (excusables ou non, on ne peut pas le savoir quand on n’a pas vécu les situations dramatiques qui peuvent émailler et forger une vie) à certains comportements débouchant sur des actes malheureux, racistes même. En territoire assiégé, morne, Philippe Jarbinet saisi, dans l’excellence de son dessin rappelant parfois Hermann, l’occasion pour creuser l’humain et l’Histoire, donner de la profondeur derrière les gueules et les corps burinés par la météo sauvage tout comme l’angoisse de ne pas savoir de quoi demain sera fait. Si on est toujours en vie.

Et si le héros central doit très vite lâcher sa guitare, le duo Charlier/Sourisse aidé d’une bande de musicien chevronnés a créé une belle bande originale pour accompagner la lecture de cet album.

Et si vous souhaitez une rencontre masquée, un beau dessin, il y aura des dédicaces de Philippe Jarbinet à la librairie The Skull (Saint-Gilles) le 21 mai et à la Librairie Flagey (Ixelles), le 22 mai. Jusqu’au 16 mai, ses oeuvres sont exposées à la librairie Jaune à Wavre.

Et, le tome 10, en cours de dessin, a une couverture qui répond à celle du tome 9, sous le titre Wild Men.

Série : Airbone 44

Tome : 9 – Black Boys

Scénario, dessin et couleurs : Philippe Jarbinet

Genre :Guerre, Drame

Éditeur : Casterman

Nbre de pages : 64

Prix : 14,50€

Date de sortie : le 07/04/2021

Extraits : 

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