Dans le pré derrière l’église, façon Crisse et Paty, on se cherche non pas un roi lion mais un dieu… mouton

La religion, c’est une affaire d’humain. Puissent les bêtes du bon dieu (ou pas) vivre d’amour et d’eau fraîche le plus longtemps possible. En terre gaélique, pourtant, du côté de Kilkenny (qui a tué Kenny ?), la frontière s’est faite perméable le jour où le prêtre du village a été laissé pour mort dans un crime horrible. Comme dans la fricadelle (ça, ce n’est pas irlandais, c’est belge), tout le monde sait ce qui s’est passé mais personne y le dit ! Le diable est passé par ici, il y a quelques dizaines d’années, il ne faudrait pas qu’il revienne.

© Crisse/Paty

Résumé de l’éditeur : Kilkenny, paisible petit village irlandais dans les années 1930. Paisible ? Pas tant que ça… Ce serait sans compter le pré, derrière l’église, les moutons, dans le pré, et le Pink Glover, collé à l’église ! Depuis toujours le curé de Kilkenny vient réviser son prêche devant les moutons qui l’écoutent pieusement, dans le pré derrière l’église. Un matin, il ne vient pas, ni les suivants. Un écureuil et un vieil hibou vont mener l’enquête sur cette disparition, pendant que les ovins se déchirent pour succéder à celui qu’ils prennent pour Dieu et les humains se divisent pour le pub accolé à l’église !

© Crisse/Paty chez Soleil
© Crisse/Paty chez Soleil

On connaît Crisse pour ses héroïnes sexy et tenaces, ses projets de science-fiction, mais sur le plancher des vaches, le Bruxellois n’est jamais en manque d’idées. Après s’être intéressé au sort des Lemmings médiévaux, chez Kennes, Crisse se retrouver en compagnie du décidément tout terrain Christian Paty. Sans épée de Cristal mais par la conviction des mots, qu’ils soient issus de sermon ou de discours politiques (les deux se rejoignant quand il faut se mettre le peuple dans la poche), Crisse continue de semer le doute dans le chef d’une joyeuse ménagerie pas si paisible face à ce que peuvent traverser les hommes. Après tout, on dit que si le Covid qui nous martyrise aujourd’hui a fait le tour du monde, un des accélérateurs de la pandémie est la désormais porosité entre le monde animal et le monde de l’Homme. Ça se passe bien virologiquement dans les jungles et les continents lointains. Alors pourquoi pas idéologiquement en Irlande.

© Crisse/Paty chez Soleil

Toujours est-il que la petite communauté est ébranlée. Sans curé, les regards noirs se braquent sur le seul bar du village, le Pink Clover (là où, tard la nuit, on voit non pas des éléphants mais des trèfles à quatre feuilles roses). La bière n’a pas noyé les rancœurs et la jalousie d’antan et n’est-ce pas tenté le démon de faire attenir un lieu de débauche à l’un des murs d’une institution pieuse. Qu’est-il arrivé au curé ? Les langues ne se délient que dans la discrétion. Alors, pendant que les moutons dans le pré attendent la résurrection de celui qu’ils prenaient pour Dieu et qui leur donnait quelques menues hosties, l’écureuil et le hibou vont mener l’enquête, être les témoins dont on ne se méfie pas des confessions des poussés au crime du village. Chance, les auteurs, et les lecteurs aussi, ont percé le secret de la langue des animaux et nous allons recueillir, en témoins privilégiés, les bribes de la tragédie qui s’est jouée.

© Crisse/Paty
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Mais une autre se joue encore. Si expliquer les choses, les aplanir, là où le brouhaha amplifie la rumeur, a quelque chose de plus sain(t) que la pratique de ceux qui veulent déjà être calife à la place du calife; les moutons sont déjà soumis à la consultation pour élire lequel d’entre eux sera le nouveau « dieu ». Quitte, déjà, à sacrifier les brebis galeuses. Dans l’eau de la claire fontaine, voilà que les auteurs trouvent le miroir de nos sociétés dites civilisées, de l’envie de pouvoir et d’écraser tout pour y arriver.

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Dans ce qui pourrait être vu, jusqu’à un certain point comme un préquel du Château des animaux (La ferme des animaux d’Orwell) – d’autant plus parce que si on les comprend et les entend, les animaux sont rendus expressifs mais restent des bêtes, ils ne sont pas anthropomorphisés -, les deux auteurs livrent un album inégal, prenant parfois trop son temps et accélérant un poil trop les révélations car la fin arrive, mais assez savoureux. Sous des couleurs tantôt un brin surexposé, tantôt fortes en atmosphère (la brume, le coucher de soleil, la pluie), Christian Paty a trouvé le juste style pour se balader entre les deux peuples; être au ras des pâquerettes ou prendre de la hauteur (pourquoi bouder son plaisir quand on peut s’installer sur les ailes d’un hibou ?). S’il se moque des humains, les animaux en prennent aussi pour leur grade, dans leurs rituels ou des positions qui ne sont pas à leur avantage. Le vaillant chien de berger prêt à « mâchouiller du gigot » est bien peu de chose quand le sommeil le fait grimacer. Paty caricature gratuitement les animaux, dans le décor, et c’est très réussi tout en n’étant pas si loin du « plus vrai que nature ». Dans cette fable universelle, les deux auteurs étudient avec le juste ton les manigances et les crimes auxquels peuvent mener les différents, les abcès qui n’ont pas été crevés et dont les intervenants auraient pu se tirer avec deux ave et trois pater. Avant que mort ne s’en suive et que lutte fratricide prenne le relais. À moins de trouver un trèfle à quatre feuilles? Rose ou vert, peu importe !

© Crisse/Paty chez Soleil

Alors qu’il continue sa drôle d’Odyssée avec Bernard Swysen – on vous en parle bien vite – le dessinateur semble s’abonner aux animaux et aux religieux puisque, toujours en compagnie de Bernard Swysen (avec qui il avait déjà pu illustrer une série de bestioles tous azimuts pour entourer le destin de Brigitte Bardot) et avec la femme de celui-ci, Sophie Flamand, Christian Paty livrera bientôt une nouvelle histoire d’hommes et de femmes mais où les animaux semblent bien présents.

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Titre : Le pré derrière l’église

Sous-titre : Le Pink Clover

Récit complet

Scénario : Crisse

Dessin et couleurs : Christian Paty

Genre : Animalier, Drame, Enquête, Humour

Éditeur : Soleil

Nbre de pages : 48

Prix : 14,50€

Date de sortie : le 10/03/2021

Extraits : 

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