“Traqué sans répit par une créature mystérieuse, Moon Deer n’a qu’un but : protéger l’Oeuf à travers l’espace immense et vide. À bord de son vaisseau, le petit cerf écume les planètes pour échapper à sa poursuivante et tente d’arriver à son but secret. Une course-poursuite terrible dont l’issue pourrait sceller le sort de l’univers frappé par le Grand Silence… Mais faut-il se fier aux apparences ?” Par ce résumé, un OVNI a débarqué sur notre fil d’actualité bédéphile en crowdfunding (jusqu’au 30 avril): Moon Deer. Une odyssée de l’espace kawaii, silencieuse et très mystérieuse, le premier album BD de Yoann Kavege, mais aussi le premier de Bubble Éditions. Intrigué, j’ai cherché à en savoir plus, à poser quelques questions (qui sont devenues nombreuses) à ce jeune auteur qui a déjà un solide bagage et une vision très pertinente de la BD et, plus largement, des arts de l’image. Interview qui lève un coin du voile, sans spoiler, et donne sacrément envie d’embarquer dans cette étrange course-poursuite, cette aventure de science-fiction qui devrait marquer les sorties BD de cette année. Dans son vaisseau, un petit cerf nous a ouvert sa porte.
Première partie, ici : Le cerf… des étoiles de Yoann Kavege et le singe bédéphile de Bubble se sont trouvés : « On ne veut pas lancer de bouteille à la mer »
Bonjour Yoann, Moon Deer, kézaco, alors ? Qu’est-ce que ça raconte ?
Yoann : Moon Deer raconte la traque à travers les galaxies d’un petit cerf astronaute et de l’œuf qu’il protège d’une mystérieuse et inquiétante poursuivante. Une fuite en avant dont l’issue pourrait sceller le sort de l’univers frappé par un étrange fléau, le Grand Silence… C’est une histoire que j’ai voulu simple et accessible, un bon mélange d’action, de SF, d’aventure et de scènes plus contemplatives, le tout entouré de nombreux mystères qui se révèleront peu à peu.

Comme ça, Yoann, vous avez été attiré par les étoiles. La science-fiction, c’est votre influence la plus forte ? Celle qui vous a donné envie de faire de la BD ?
Yoann : Pas tant que ça pour être honnête ! J’aime la science-fiction, car elle ouvre beaucoup de possibilités graphiques et permet de traiter de nombreux thèmes qui me sont chers par des métaphores plus ou moins directes. J’ai également une fascination pour les grands espaces vides et calmes, donc une masse noire étoilée qui s’étend à l’infini est un décor qui me parle.
Mais si bon nombre de BD et de films de science-fiction m’ont assez marqué pour inspirer mes travaux, ce n’est pas le seul genre qui me fait vibrer. On en reparlera sûrement plus tard, mais mes autres histoires ne sont pas du tout dans le même registre. Quant à la littérature SF, c’est un de mes grands manquements culturels !

C’est d’abord le personnage de Moon Deer qui m’est venu avant même son histoire, la science-fiction s’est donc imposée d’elle-même pour ma première BD.
Justement, on a forcément envie d’en savoir plus sur vous, qui êtes-vous ?
Yoann : J’ai 23 ans et j’ai étudié l’animation à Roubaix puis fait une courte année de formation BD à Paris, pas mal amputée par les grèves et le confinement de mars dernier en France. J’ai donc tout récemment terminé mes études et je me lance avec motivation et appréhension dans le monde de la BD. C’est assez dur de se présenter en fait, j’ai même du mal à me qualifier d’auteur de bd tant que le livre n’est pas encore sorti haha !
Mais si vous demandez à un.e ami.e de me décrire, vous obtiendrez quelque chose comme : »c’est un type sympa qui aime un peu trop Batman et Radiohead », et j’aurais du mal à les contredire.

Faire de la BD, c’est une envie qui est en vous depuis longtemps ?
Yoann : Depuis tout petit, et malgré quelques errances où je me disais que ce n’était pas un projet de vie sérieux, surtout pour rassurer mes parents d’ailleurs (qui aujourd’hui me soutiennent à fond je le précise), ça ne m’a jamais quitté. Même mes études d’animation n’étaient pour moi qu’un moyen de perfectionner mon dessin pour pouvoir faire de la BD ensuite (et bon, d’assurer mes arrières si ça ne fonctionnait pas).
Quelles sont les lectures qui ont été des déclics, vos auteurs phares ?
Yoann : Les œuvres qui m’ont inspiré enfant ne sont plus celles qui me font vibrer aujourd’hui, mais il est indéniable que Les Légendaires de Patrick Sobral, les travaux de Jim Lee et les mangas Fullmetal Alchemist, Naruto, Ranma 1/2 et Eyeshield 21 m’ont poussé à persévérer dans le dessin quand j’étais enfant, parmi beaucoup d’autres.
Quant à mes auteurs et autrices phares aujourd’hui je suis incapable de faire une liste exhaustive, désolé ! Plus j’avance dans le monde de la BD, plus je découvre des choses fantastiques : il n’y a pas une poignée d’auteurs et autrices que j’admire, mais plutôt une bonne centaine ou deux !

Pour tout de même citer un nom, Taiyo Matsumoto est l’auteur qui m’a rappelé à quel point j’avais besoin de faire de la BD quand je m’en étais un peu éloigné pendant mes années d’animation.
Plutôt comics, manga ou franco-belge ?
Yoann : À nouveau, il y a trop de bonnes choses dans ces trois écoles pour que je puisse en préférer une à l’autre. J’essaye de lire de tout, et même si possible hors de ces trois catégories. J’ai encore de nombreux courants et chefs-d’œuvre à découvrir dans tous les styles de BD.
Je pense d’ailleurs que cette impossibilité de choisir se ressent dans Moon Deer, qui rentre difficilement dans une case à cause de ce mélange d’influences. Pour cet album spécifiquement, je dirais que le découpage et le trait font penser à du comics, sauf pour l’action qui emprunte beaucoup manga, tandis que le ton de l’histoire et ma nationalité le rapprochent d’un album de franco-belge moderne.

Et les premiers dessins que vous ayez faits et dont vous vous souvenez ?
Yoann : Quand j’ai dépassé l’étape du bonhomme bâton, je crois me souvenir avoir dessiné beaucoup de Spider-Man, sûrement à cause la série d’animation des années 90 et des comics que mon parrain me faisait lire (des Strange, Spidey et autres Spider-Man de Todd McFarlane…). Puis, assez vite, j’ai commencé à dessiner des BD inspirées par le manga et mettant en scène mes camarades de classe.

Dès les primaires, vous faisiez un projet BD par année, c’est vrai ou c’est une légende ?
Yoann : Ça a bien duré jusqu’au début du lycée, je les garde encore précieusement même si aucun n’a jamais été terminé ! J’avais même envoyé Aurore, mon premier projet d’envergure de l’école primaire, à Delcourt qui avait eu la gentillesse de me renvoyer mes originaux avec un refus poli !
Avez-vous déjà publié des choses (fanzines, collectif, autopublication) ?
Yoann : Non, en dehors de travaux scolaires qu’on peut qualifier de fanzine ou d’auto-édition et vendus à des portes-ouvertes, Moon Deer sera mon premier projet à dépasser le stade de post sur les réseaux sociaux, c’est très excitant !


Qu’est-ce que l’animation (vous en avez fait le motif de vos études à l’ESAAT) apporte à l’inanimé, en BD par exemple ? Et qu’est-ce que la maîtrise du Neuvième Art peut amener à l’animation ?
Yoann : Ça en fera peut-être tiquer quelques un.e.s mais je pense qu’on peut plus facilement passer de l’une à l’autre que pour d’autres disciplines artistiques : il y a de bonnes bd d’animateurs.trices et des auteurs.trices de bd qui font de très bons animateurs.trices. Les grosses différences entre les deux viennent du rapport au temps, au format et au mouvement, la BD ayant tendance à être plus dans la synthèse de l’action, à capturer l’angle et la pose la plus adéquate pour transmettre une idée en une case, puis en une page.

Je pense que d’autres en parleraient mieux que moi et ça demanderait un article entier pour élaborer. Donc, pour synthétiser, je dirais que l’animation peut apporter à la BD des idées de suspension du temps, de décomposition de l’action, là où la BD peut apporter une science du cadrage et de l’économie à l’animation. Ceci étant dit, je ne sais pas si c’est nécessairement une bonne chose, les deux domaines ayant leur grammaire propre pour une raison, il faut savoir quand piocher dans l’un ou l’autre est vraiment pertinent.
Là, on est à fond sur une technique d’animation, non ?

Yoann : Typiquement, oui! Je me suis autorisé ça pour une scène de cauchemar où je voulais créer un rapport au temps différent du reste de la BD. Mes réflexes d’animateurs sont encore là, un professeur avait d’ailleurs jeté un œil à mon premier story-board et avait tout de suite compris de quelle formation je venais. Je me suis alors posé beaucoup plus de questions sur mon découpage et j’ai essayé de réduire ce genre d’artifices dans l’album, même s’il en reste quelques-uns.
Mais je ne veux pas condamner les BD qui se permettent ce genre de découpage quand c’est justifié. Avoir grandi avec l’animation et les mangas, plus qu’avec Astérix, Gaston ou Tintin, fait que j’ai plus de mal à rentrer dans des albums très typés bd de 50 pages, très synthétiques. Attention, j’admire les auteurs.trices qui arrivent à faire ça, il y a tant de leçons à en tirer et je rattrape doucement mon retard de ce côté-là !

Au fond, Moon Deer n’est-il pas le genre de projet qui pourrait avoir plusieurs vies ? En animation aussi ?
Yoann : Il y aurait beaucoup de choses à réadapter, je pense quand même qu’un grand intérêt de Moon Deer est son découpage. Mais c’est tout ce que je lui souhaite !
D’ailleurs, un teaser animé a été créé. Vous l’avez fait vous-même ?
Yoann : En effet, sauf pour la fantastique musique d’Artuan de Lierrée.
Enfin, animé, c’est vite dit. J’ai majoritairement mis des cases en léger mouvement plutôt que créé des plans de toute pièce quand je le pouvais. Je n’avais pas le temps pour et on craignait qu’un trailer en animation traditionnelle soit trompeur, voire mensonger.
Mais c’était un plaisir à faire, revenir ponctuellement au monde de l’animation pour de courts projets ne me déplait pas, ça me permet d’entretenir certains réflexes.
Avez-vous déjà travaillé sur d’autres projets d’animation ?
Yoann : Cà et là, j’ai surtout travaillé sur des courts métrages dont je m’occupais de A à Z pour l’école, même si j’ai pu, par des stages ou des travaux en indépendant, m’essayer à différents métiers dans un cadre professionnel.
Si je ne m’abuse, Moon Deer est un projet qui remonte à 2016, Yoann. Quelle était l’idée de départ ? Une histoire courte ?
Yoann : En 2016, je faisais une année d’art généraliste et obligatoire pour accéder aux écoles publiques d’animation. Je ne m’y retrouvais pas, car on y dessinait très peu malgré une importante charge de travail. Cela m’éloignait peu à peu de la BD, je ne trouvais pas le temps d’écrire une histoire et j’avais absolument besoin d’un moteur pour me remettre rapidement à faire des planches, pour garder la main.
Je découvrais Moebius à la même époque, et avec lui l’envie de dessiner des mondes étranges et des grands espaces. Il ne me manquait qu’un personnage pour les explorer. Puis, au détour d’une bête conversation, le nom d’une personnalité connue de la téléréalité française a inspiré ce petit cerf de la lune, dont l’essentiel du design et de la personnalité me sont venus immédiatement.

Je comptais faire autant de planches que possible en improvisant une page après l’autre, au final je n’ai eu le temps que pour 9 ! Mais le personnage ne m’a jamais lâché.
Qu’y racontiez-vous ? Aura-t-on la chance de les lire ?
Yoann : L’essence du projet était déjà là, Moon Deer perdu dans l’espace, les planètes étranges et désertes, l’exercice de style d’une bd muette dans laquelle on plonge au cœur de l’action et dont le contexte se révèle peu à peu… même certaines idées de découpage sont restées.
C’est peut-être trouvable en ligne dans les tréfonds d’internet, je n’en suis pas sûr, et je pense les montrer dans les bonus de l’édition collector. Mais je peux vous en montrer un petit aperçu :
Au fil du temps, comment l’histoire a-t-elle évolué ? À cause de quoi ?
Yoann : Si l’idée derrière le récit n’a pas vraiment bougé, il manquait à cette histoire un enjeu immédiat, quelque chose qui lui ajouterait du rythme et de l’intérêt. J’aurais pu raconter la déambulation de ce petit cerf jusqu’à la fin de son voyage, en faisant de chaque planète une péripétie avec des monstres et des obstacles, mais j’allais vite tourner en rond. Il me semblait plus pertinent d’alterner les scènes de déambulation et de contemplation avec d’autres plus dynamiques, pour qu’elles ressortent d’autant plus.

J’ai laissé le temps à cette histoire de s’écrire toute seule, sans forcer, jusqu’à ce que les bons éléments viennent s’y greffer, comme cette antagoniste qui est partie d’un simple croquis dans un carnet, mais qui devenait un parfait moteur pour ajouter de l’action, de la tension et densifier l’histoire. Même chose pour l’œuf comme artefact à protéger, qui, entre autres significations, inspire cette image très précieuse et fragile, qui était immédiatement parlante.

J’avoue, quand le récit s’est enfin figé, j’ai eu peur d’avoir perdu une partie de l’ambiance initiale, mais ça s’est vite estompé. La déambulation a laissé la place – ou plutôt s’est mêlée – à la course poursuite. Des films comme Mad Max : Fury Road ou avant lui Duel ont montré qu’une course poursuite pouvait structurer un récit tout en y amenant des moments de pause et même de la construction d’univers. Pourquoi ne pas essayer ça en bd ?

Aujourd’hui, quelle est votre technique de travail ? De manière traditionnelle ou numérique ?
Yoann : C’est un mélange des deux. J’ai fait le story-board au crayon que j’ai retravaillé à l’ordinateur, notamment pour y apporter les modifications dont on discutait avec l’éditeur, puis je dessine mes planches au feutre à peinture noir, sur papier, en utilisant directement le story-board comme brouillon. Enfin, je fais la couleur à l’ordinateur et lui ajoute des textures d’aquarelle et de crayon que j’ai créées traditionnellement.



C’est une méthode de travail que je n’ai utilisée que pour Moon Deer, étant plus habitué au tout numérique avec mes études d’animation. C’est plaisir de travailler sur papier d’ailleurs, et j’aimerais continuer pour les prochaines BD, même si je n’ai encore aucune idée du style ou de la technique que j’emploierai. J’aime adapter le style graphique au récit et j’ai pris l’habitude d’écrire des histoires dans des styles et des registres très différents.
J’imagine que des projets, des envies, on peut en avoir cent à la minute, qu’est-ce qui fait que Moon Deer est resté, que vous vous y êtes accroché ?
Yoann : Je trouve le personnage vraiment attachant et agréable à dessiner, on peut le mettre dans n’importe quel décor et il semble à sa place. Je trouve aussi que son histoire et son design, même dans leur forme initiale, avaient une sorte de simplicité et d’évidence qui me confortaient dans l’idée que le projet avait un intérêt narratif et graphique.

Mais, quand j’y réfléchis, il n’y a pas quelque chose de précis qui a fait que je m’y sois accroché jusqu’à le sortir aujourd’hui, c’est plutôt parce qu’il s’est accroché malgré moi que je me dis que ça devait être mon premier album.
L’avez-vous soumis à d’autres éditeurs que Bubble ?
Yoann : Oui, étant donné que Bubble éditions n’existait pas encore, j’avais également envoyé le dossier à des éditeurs plus installés. La période étant très mauvaise et le projet difficile à vendre – de la SF, jeunesse, mais pas vraiment, quasi muette, et j’ai envoyé le projet presque en sortie de premier confinement quand l’agenda des éditeurs avait été chamboulé… -, c’était compliqué ! Le projet rentrait difficilement dans les lignes éditoriales établies. Mais j’ai pu avoir quelques bons conseils et retours encourageants au passage.

Et pour être transparent, j’étais très proche de signer ailleurs avant que Bubble n’arrive dans l’équation, mais l’optique de travailler avec Sullivan et le premier contact agréable avec l’équipe, en plus d’une rémunération plus intéressante et de l’ambition de Bubble à en faire leur première BD qu’ils allaient pousser à fond, ont motivé ce choix.
Le nom d’origine du projet était donc déjà bien là. Comme le personnage. Avez-vous néanmoins fait plusieurs recherches pour trouver son rendu ?
Yoann : Comme je l’ai suggéré plus tôt, le projet est né du titre Moon Deer, qui a directement inspiré le personnage puis l’histoire. Son design est venu immédiatement, et son évolution est plus liée à mes progrès en dessin qu’à une volonté de changer son apparence. Mais je pense qu’il fonctionne aussi bien, car derrière sa simplicité, il a tout de même été décliné et peaufiné pendant plus de quatre ans !
Il est mignon, kawaii, non ? À contre-emploi physique par rapport à la quête qu’il mène ? Une manière de dire que quand on veut on peut qu’on soit petit et avec l’air inoffensif ?
Yoann : Peut-être, en tout cas je veux insister dans l’album sur sa débrouillardise et sa motivation, c’est un petit bonhomme tenace. Mais comme beaucoup d’éléments de cette histoire, son côté mignon est venu instantanément, comme une évidence. Le nom Moon Deer m’a immédiatement inspiré ce petit astronaute et son adorable bouille.

Que doit-on savoir de son ennemi qui le prend en chasse ?
Yoann : Comme pour le reste de l’intrigue, on ne sait quasiment rien sur elle au début du récit. Mais il était important pour moi d’avoir une antagoniste immédiatement classe, mystérieuse et menaçante. Elle était toute petite et mignonne comme lui dans mes premières recherches, mais le contraste de sa silhouette avec celle de Moon Deer était plus approprié au ton de l’album, et leur donnait à chacun une identité visuelle propre.


C’est donc une BD… muette ?
Yoann : Presque muette, j’ai voulu limiter les dialogues au strict nécessaire. Je voulais d’abord raconter l’histoire par l’action et les décors, mais en étoffant l’univers, certains éléments risquaient d’être trop cryptiques s’il n’y avait eu aucune bulle.
Et comme on suit Moon Deer seul dans l’espace pendant l’essentiel du récit, le muet était cohérent, il n’aurait pas été intéressant de le faire monologuer pour meubler.

Une difficulté supplémentaire ? Qu’est-ce que ça implique ?
Yoann : Ça gonfle déjà la pagination, car des choses faciles à décrire en une phrase sont parfois plus longues à expliquer par le dessin. J’ai quand même fait attention à ne pas augmenter artificiellement le nombre de pages pour que toutes soient essentielles. Ça force aussi le récit à être clair à tout instant, et particulièrement bien rythmé. C’est un vrai challenge je ne vais pas vous mentir ! Mais un très bon entraînement aussi.
Ça m’a amené à beaucoup simplifier le design des armes, des vaisseaux, des environnements, pour que tout soit immédiatement compréhensible par le plus grand nombre, sans aller dans des concepts de science-fiction trop élaborés ou bizarres. Mais j’ai quand même réussi à m’amuser. Je suis par exemple très content de l’arme de l’antagoniste, qui est visuellement très simple, mais dont j’explore toutes les utilisations possibles dans l’album.

Bon, il y a quand même des onomatopées, des bruits. Comment les négociez-vous ? Vous les comptez pour ne pas en faire trop ?
Yoann : Les onomatopées ont en effet une place importante pour combler l’absence de dialogue, et c’était un tout autre aspect de travail de dessinateur que de se poser la question de comment bien les intégrer. La règle a toujours été de ne mettre que celles qui aident à la compréhension ou amplifient l’impact d’une case. Le bruit et le calme sont des notions importantes dans l’histoire de Moon Deer, le fameux « Grand Silence » ne s’appelle pas comme ça pour rien. C’était intéressant de travailler le son en BD, d’alterner son omniprésence et son absence. Pour m’embêter encore plus j’ai respecté une règle d’or : pas de son dans l’espace !

Êtes-vous plus, du coup, parti pour faire des romans graphiques ou un format classique (48, 56 pages) est-il envisageable ?
Yoann : Ça dépendra des histoires que je veux raconter, je ne m’interdis rien et tout m’intéresse, j’ai beaucoup fait d’histoires courtes pour l’école par exemple.
Ya-t-il beaucoup de personnages dans cette histoire ou avez-vous utilisé un casting minimaliste dans cet espace sidéral ?
Yoann : Je préfère garder la surprise, mais le cœur du récit reste bien la course poursuite entre Moon Deer et sa poursuivante.
Ce premier album que vous publiez, pourrait-il être le début d’une série racontant les aventures de ce renne cosmonaute ?
Yoann : Pour le moment, je ne me vois pas raconter une autre aventure dont Moon Deer est le héros. Il est pour moi intimement lié à cette histoire depuis ses débuts, je n’ai en tout cas pas encore réfléchi à ce que je pourrais faire de lui par la suite, même si son aspect mascotte appelle forcément à cela.

Si une autre histoire devait se dérouler dans cet univers, à ce stade je verrais plutôt une préquelle centrée sur l’autre personnage, dans une toute autre ambiance et dans un autre style de récit.
Comment vous investissez-vous dans ce crowdfunding ?
Yoann : Je suis très attentif à tout ce qu’il s’y passe, j’essaye d’être actif sur les réseaux et de proposer du contenu assez souvent (même s’il est dur de révéler les pages les plus intéressantes sans spoiler), et j’ai réalisé le trailer ainsi que quelques contenus inédits comme les ex-libris de certaines contreparties. Mais j’essaye de ne pas me laisser dépasser par le boulot que représente la campagne pour ne pas prendre de retard sur les planches. J’y arrive… moyennement !

Comment avez-vous créé la couverture de cet album ? Y’a-t-il eu plusieurs recherches ? L’avez-vous aussi envisagée comme une affiche pouvant promouvoir le crowdfunding ?
Yoann : Il était essentiel de l’avoir avant le crowdfunding. J’ai fait plusieurs croquis, mais nous nous sommes très vite accordés sur cette composition, j’ai fait une version couleur du croquis qui m’a directement servi pour la version finale, ça a été assez vite. Là encore, elle m’a semblé être une évidence, j’ai suivi mon instinct et j’en suis assez fier ! Enfin, ça c’était avant de voir ce que Mathieu Bablet prépare…
Pour la version de luxe, il est en effet question d’une couverture signée par Mathieu Bablet ! Vous le connaissez ? Il fait partie de vos influences ? Quel honneur, non ? Sans parler des autres artistes qui signeront peut-être, si la campagne atteint les paliers fixés (c’est tout le mal qu’on vous souhaite), un hommage à votre univers !
Yoann : Je ne le connais pas personnellement, je ne l’ai croisé qu’une seule fois pour une dédicace en ma personne de lecteur (il m’a fait un Batman), mais nous avons un peu échangé pour la création de la couverture, même si très vite il savait comment aborder le projet. Lui comme les autres artistes ont tous et toutes parfaitement réinterprété Moon Deer, toujours pile dans le ton de ce que j’espérais dans mes rêves les plus fous, en plus de pouvoir creuser des aspects du livre que je n’avais pas forcément eu le temps de développer.

Je suis honoré et très ému de voir mon univers se transformer sous leurs crayons, et j’espère vraiment que tous les paliers qui débloquent les prints seront atteints !


Quelles sont vos autres envies d’histoire ? Déjà des projets signés ?
Yoann : Je me concentre sur Moon Deer pour l’instant, c’est déjà un gros morceau ! Les autres histoires n’en sont qu’au stade de pitch. J’aimerais peut-être faire quelque chose de plus militant à l’avenir, ainsi qu’un récit érotique, mais pas nécessairement pour le prochain album. J’aurais envie de m’attaquer à un projet plus écrit c’est certain, surtout que les dialogues étaient un temps mon point fort, mais je verrai bien quelle histoire m’accroche !
Parlez-nous un peu de Starbucks ? et Juggernaut ?
Yoann : Ce sont des projets d’école, des histoires courtes réalisées en trop peu de temps et de pages pour être pleinement satisfaisantes, mais qui m’ont permis de me faire la main. Tout est lisible sur Instagram ou Artstation pour plus de confort.

Et Comment naissent les forêts ?
Yoann : C’était le seul autre projet de BD auquel je pensais pendant mon cursus d’animation, mais il n’a jamais abouti, et l’essentiel de ce que je voulais raconter avec cette histoire se retrouve finalement dans Moon Deer, donc c’est tant mieux ! Ils partagent d’ailleurs la caractéristique d’être d’abord inspirés par leurs titres avant même d’avoir une vraie idée derrière, ce qui, je m’en rends compte, est le cas pour quasiment toutes mes BD.


On peut évidemment vous suivre sur vos comptes Instagram. Dont un dédié aux inkless tattoos, c’est quoi ? Vous avez dû trouver un style à part entière, non, un peu Picasso, mais aussi une marque de fabrique ?
Yoann : C’est un style de dessin à part du reste de mes travaux, moins technique et plus reposant, né pendant l’Inktober 2017 quand il ne me restait que 5 minutes avant minuit pour proposer mon dessin du jour ! Le trait vient forcément en partie de Picasso, au moins inconsciemment, car ce n’est pas un artiste pour lequel j’ai une grande sympathie et j’ai plutôt été inspiré par le travail d’une amie.

C’est donc presque né d’une blague, mais j’ai finalement pris du plaisir à dessiner ainsi et, comme pour Moon Deer, je laisse le temps à cet aspect de mon travail d’arriver à maturité, en déclinant ce style jusqu’à trouver à quoi il correspond le mieux. Je ferai peut-être une BD dans ce style si l’histoire s’y prête, je m’y étais déjà essayé avec Michelle & Marianne, des strips lisibles sur mon Instagram inspirés (encore !) par le titre d’un article de presse.

En faire des motifs pour tatouages (je vends juste les dessins, je ne tatoue pas moi-même) est plus venu de demandes intéressées que d’une volonté personnelle, alors j’ai joué le jeu avec un compte dédié pour leur donner une meilleure visibilité, sachant qu’ils dénoteraient beaucoup avec Moon Deer.
Un autre compte s’intéresse lui à vos kinky stuff, « vos trucs salaces, pervers » avec des corps nus, des ébats. Comment vous êtes-vous frottés à ce côté X du dessin ? Un album érotique, voire porno, ça pourrait être dans vos projets ? Est-ce encore un tabou, choquant, de nos jours ?
Yoann : Je ne pense pas que ce soit tabou dans la BD, on trouve des rayons érotiques et pornos dans toutes les librairies, et la BD même mainstream, en tout cas en France, ne se prive pas de parler de sexe et d’en montrer. C’est un genre qui m’intéresse beaucoup en tout cas, mais qui demande, même pour les dessins les plus lâchés, une certaine maîtrise anatomique que je n’ai pas encore pour être pleinement satisfait.


De plus, la BD est un milieu encore trop masculin où une certaine vision des corps et des ébats prédomine. Je ne me retrouve pas du tout chez des gros noms comme Manara ou Crepax par exemple, je préfère les travaux d’Aude Picault ou d’Axel. J’aimerais me frotter à ce genre un jour, mais uniquement lorsque j’aurai trouvé un angle que je trouve sain, et accessoirement quand j’aurais assez de sécurité financière pour me le permettre, la BD c’est difficile de ce côté-là, alors la niche érotique, je me demande si ça paye…

En tout cas, il y a Boytoy. Quel est ce projet ?
Yoann : C’est à nouveau un travail d’école, avec le jouet comme thème imposé et l’autobiographie en 30 pages noir & blanc comme contrainte. C’était très chouette à faire malgré le peu de jours que j’ai pu y consacrer, d’où le style maladroit et la fin un peu brusque. La page 4 reste néanmoins l’une de mes planches préférées tous projets confondus. C’est aussi trouvable sur Instagram et Artstation pour les intéressé.e.s !

Enfin, il y a votre compte Instagram « classique » qui recense beaucoup de vos travaux. On y trouve les projets déjà mentionnés plus haut, mais aussi des variations autour d’un super-héros mythique. Batman ! C’est le meilleur ?
Yoann : Le MEILLEUR.
Vous avez fait un film d’animation Batman, tout seul, c’est ça ? C’est dingue ! Les images et concept art sont complètement fous ! Peut-on voir ce film quelque part ?
Yoann : Haha, ça me fait plaisir tant d’enthousiasme autour de Batman Down et ça me fait toujours aussi mal de dire qu’il n’y a pas de film derrière le trailer, qui était l’exercice en soi ! Un long métrage tout seul et sans budget n’était pas tenable, et réaliser cette fausse bande-annonce représentait déjà un gros travail. Mais j’avais bien écrit un synopsis complet à l’époque (le trailer, trouvable sur Youtube, a déjà quelques années !) qui devrait beaucoup changer aujourd’hui pour éviter la ressemblance avec d’autres histoires de Batman que j’ai découvertes par la suite.
Je ne désespère pas d’en faire quelque chose un jour, peut-être en BD, et j’ai d’autres idées peut-être plus intéressantes autour du chevalier noir que j’aimerais creuser. Dessiner une histoire de Batman chez DC est un rêve que je compte bien réaliser un jour, soyons fous !

Quand Moon Deer arrivera dans nos mains, quelle BO (suggestion de titres), nous conseillez-vous ?
Yoann : La notion de silence ayant une place importante dans l’album, je ne sais pas si une BO lui correspondrait, mais peut-être que la bande-son du jeu Hyper Light Drifter par Disasterpeace collerait bien à l’aventure, que ce soit dans les moments d’action, de contemplation ou de mystère.
Autrement, je ne peux que vous inviter à vous repasser le trailer et sa musique pour vous mettre dans l’ambiance avant de vous lancer, puisque Moon Deer a plus ou moins un thème officiel maintenant !
Quelque chose à rajouter ?
Je vais en profiter pour remercier infiniment tous les soutiens sur Ulule qui rendent ce projet possible et qui laissent un peu partout des commentaires adorables et très motivants. J’espère que la BD vous plaira, qu’elle saura vous emporter et vous surprendre.
Enfin merci à vous pour cette interview très complète et à vous qui l’avez lue jusqu’au bout ! Au fait, je vous ai déjà parlé de Radiohead ?
Une prochaine fois ? Merci d’avoir levé le voile sur cet univers qu’on n’est pas près de lâcher. Longue vie au… cerf des étoiles ! Et n’oublions pas que le crowdfunding est disponible jusqu’au 30 avril, chers lecteurs, n’hésitez pas.

Titre : Moon Deer
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Yoann Kavege
Genre : Science-fiction
Éditeur : Bubble Éditions
Nbre de pages : 192/208 (pour la version collector)
Prix : 25€
Date de sortie : Décembre 2021
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