Quand l’infini étoilé bouleverse l’intime: le passage d’une météorite a laissé bien des traces sur Ann Elizabeth Hodges, un Roché lui donne sa seconde chance

Faites-un voeu, vous dit-on, quand une étoile filante passe dans ce ciel encore très mystérieux pour le commun des mortels. Les voeux chanceux de certains font le malheur d’autres. Ainsi, après des apparitions dans la toujours aussi formatrice Revue Dessinée, Fabien Roché publie-t-il son premier album BD, très personnel tout en s’invitant dans le quotidien bouleversé d’une anonyme, restée pourtant dans les annales.

© Fabien Roché chez Delcourt

Résumé de l’éditeur : 1954, Sylacauga, Alabama, une météorite tombe du ciel et vient frapper Ann Elizabeth Hodges dans sa maison. Elle vit sa vie transformée par la célébrité, elle qui était devenue la première humaine heurtée par un corps céleste. Fabien Roché vous propose de découvrir cette histoire vraie sous différents angles : personnel, astronomique, historique, judiciaire, poétique et bien sûr… émouvant.

© Fabien Roché chez Delcourt

Dame ! Je dois bien avouer mon inculture. Si je connaissais de nom la météorite de Hodges, j’aurais été bien incapable de la resituer. Je me disais qu’Hodges était un scientifique, vénérable et masculin (ben oui, on a tellement l’esprit formaté), qui avait permis à la science des étoiles de progresser. J’étais à des lieues de m’imaginer le drame. Hodges, quel était son prénom ? Même ça, je ne le savais pas. La mémoire et les médias sont tels, que tous les raccourcis sont bons pour signifier les choses, sans toujours aller en profondeur.

S’il y a un nom, pourquoi y’aurait-il besoin du prénom. Or appeler quelqu’un son nom, c’est le comble de l’impolitesse ? Bon, ça arrive entre potes, quand les échanges sont codés, mais pour le reste, quand il s’agit d’une inconnue, qui vivait dans l’Alabama du milieu des années 50, il faut rendre à Ann Elizabeth ce qui lui est dû. D’autant plus que Hodges, c’est vague, c’est répandu. Car il y avait bien deux entités dans la météorite de Hodges, avant que l’objet intersidéral ne prenne le dessus.

© Fabien Roché chez Delcourt

Hodges avait donc un prénom et était bel et bien une femme, Ann Elizabeth. Elle n’avait rien demandé. Aimait-elle regarder la nuit qui lui de mille étincelles? On n’en sait rien, toujours est-il qu’une après-midi que les lumières bleues et les sirènes viendraient bientôt dynamiter, le ciel l’a choisie ! Un bout de pierre a fait le tour de la terre, à travers la couche d’ozone, des nuages puis le toit et le plancher de la maison des Hodges. Chance autant que malchance, en dernier recours, c’est la hanche d’Ann Elizabeth qui arrêta la course folle de l’objet extra-terrestre. Encore chaud mais définitivement éteint alors qu’il allait prendre la lumière de celle à qui il venait de prendre une vie. Car après ça, portée dans les colonnes des journaux mais aussi devant les instances judiciaires, Ann Elizabeth ne serait plus jamais la même.

© Fabien Roché chez Delcourt

En 2021 (enfin jusqu’en 2020, où l’on a appris qu’un Irakien avait été mortellement touché par une météorite en 1888), l’histoire, le fait divers même, tient en une ligne, Ann Elizabeth était la première femme recensée à avoir été percutée par une météorite. Pourtant, il y avait moyen de creuser, de remonter le temps. Et c’est ce que fait Fabien Roché, enquêteur graphique à la recherche d’un sens à cet épiphénomène. Avec les surpuissants moyens de documentation actuels, le trentenaire a étudié de proche en proche et de loin en loin les répercussions de cette chondrite H4. En une soixantaine de planches, l’auteur complet plonge donc dans le passé, y compris dans le rendu de ses pages vintages et surpeuplées de petites vignettes et de grands textes. On ne fait presque plus des BD comme ça, si ce n’est peut-être Chris Ware avec qui Roché entretient un air de famille, pourtant c’est la force de cet auteur qui donne à Ann Elizabeth une seconde chance de surpasser l’épreuve.

© Fabien Roché chez Delcourt

Car dans les années 50, le buzz existe déjà, pousse des médias faussement souriants à essorer un sujet avant de passer à un autre, sans se soucier des invités qu’ils ont pu laisser sur le bas-côté. Avec cet album, Fabien Roché amène toute son humanité pour comprendre comme Ann Elizabeth, finalement si peu touchée par la météorite, ne s’en est pas relevée. Comme son couple. Procédant par doubles planches, Roché livre une brillante analyse sociologique, à chaud plutôt qu’à froid, de l’environnement de ce fait divers. La relation entre Hodges mari et femme, les intérêts scientifiques mais aussi financiers que ce bout de caillou va susciter (l’occasion de remettre en perspective un cours de la météorite qui oscille entre tout et rien), la guerre pour une garde et une propriété qui ne seront pas partagées, le traitement médiatique, le contrôle aérien, les rêves de cinéma (avec Sissy Spacek) autour de cette histoire anormale, la société américaine des années 50, l’origine de la petite ville de Sylacauga… Tout est passé au crible, faisant oeuvre de répétitions textuelle comme iconique pour appuyer les choses et les faire comprendre au mieux, dans un emballage, un cadrage et une mise en page toujours plus inventifs. Reprenant la poignée d’images qui ont marqué les esprits, l’auteur soigne les détails pour les remettre en perspective. En commençant par rendre sa pudeur à l’héroïne malgré elle, dont le corps dévêtu, marqué par le passage de la météorite, ferait l’objet d’une photo volée qui la ferait encore plus entrer dans la légende. Du moins sa jambe, sa hanche.

© Fabien Roché chez Delcourt

Le dessein de Fabien Roché prend tout son sens quand il noie ses dessins, dans le labyrinthe ou le tumulte d’un monde qui s’est arrêté autour d’Ann Elizabeth à l’heure où il s’emballait. La météorite de Hodges est un OVNI, jusqu’au boutiste, et terriblement attachant tant il donne la grille d’analyse de bien d’autres drames, forgés par le ciel ou bien plus terre à terre.

Titre : La météorite de Hodges

Récit complet

D’après le fait divers arrivé à Ann Elizabeth Hodges à Sylacauga en 1954

Scénario et dessin : Fabien Roché

Noir et blanc

Genre : Chronique sociale, Documentaire, Enquête

Éditeur : Delcourt

Nbre de pages : 64

Prix : 18,95€

Date de sortie : le 03/03/2021

Extraits : 

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