« Aujourd’hui, nos regards sont suspendus, résidents, résidents de la République, où le rose a des reflets bleus. Résidents, résidents de la République. Chérie, des atomes, fais ce que tu veux » chantait un Alain Bashung qui savait pas pas pas pas. Rendons à Jules César ce qui lui appartient et remettons un « P » pour prendre possession de l’Élysée. Le Pouvoir à la Française continue de séduire les créateurs de fictions plus ou moins poussées dans le délire, comme les essayistes et les biographes. C’est plus dans les différentes nuances de la première catégorie que se déclinent les trois (+1) albums que j’ai retenus pour vous ici. Entre super-aventure super-héroïque (pourtant « normale ») complètement folle et télé-réalité du futur.

Le Ministère secret, Sarko-llande sauveur du monde, face aux reptiliens, à Éric Cantona et Albert de Monaco


Résumé de l’éditeur : En République française, les anciens présidents sont obligés de devenir des super héros au service d’une société secrète. À la fin de son mandat, l’ancien président de la République française François Hollande découvre qu’il a l’obligation de devenir un super héros. Pour l’assister dans sa mission de sauver le monde, il fait appel au dessinateur Mathieu Sapin, déjà initié aux coulisses du pouvoir. Le premier tome d’un feuilleton à l’humour explosif où se mêlent géopolitique et science-fiction, avec dans leurs propres rôles Poutine, Cantona, Sarkozy, le prince Albert de Monaco et la grand-mère de Mathieu Sapin.
Complètement barré ! M. Night Shymalan avait surpris tout le monde en créant une suite improbable d’Incassable avec Split (puis Glass), voilà que Mathieu Sapin fait pareil en livrant avec le premier épisode du Ministère secret la suite, basculant du reportage à la totale invention, de Campagne présidentielle ou Le Château. Cette fois, François Hollande a rejoint l’anonymat (enfin… n’exagérons rien) mais le voilà réquisitionné auprès de… Nicolas Sarkozy (!) pour, dans le plus grand secret, sauver le monde et affronter une menace planétaire, entre reptiliens et une montagne de muscles cousine de la Chose des 4 Fantastiques (et portant le nom originel d’un certain Jack Kirby).

L’éditeur annonçait une espèce de réunion entre Le bureau des légendes et les Avengers. Force est de constater, aussi incroyable cela puisse paraître, qu’on peut difficilement mieux résumer cet OVNI, cette auto-politique-fiction à grand spectacle. En effet, aux côtés de Joann Sfar, Mathieu Sapin officie au dessin mais également en vedette. Non content de décrire le quotidien du président normal, de manière à bluffer et perturber celui-ci dans ses petites habitudes intimes répercutées en BD, Mathieu Sapin a été choisi par François Hollande dans son appel à un ami. Et le BD-reporter de basculer dans la science-fiction la plus perchée. Parce que Sfar et Sapin se défoulent, à la liaison des genres mais aussi dans le foutage de gueule intégral.


Le duo d’auteurs met aux prises de la fiction la plus foutraque un casting d’enfer: Éric Cantona (d’ailleurs, Mathieu Sapin aurait-il un autre projet avec Le Voyageur puisqu’il est, parmi les sujets de ses autres albums, dans ses préférences Twitter?), Donald Trump, Vladimir Poutine, Albert de Monaco… Rien n’est usurpé, l’essence des personnages est conservée, jusqu’à un certain point, et Mathieu Sapin se sert de son pouvoir magique, le crayon, pour redéfinir ces anti-héros en super-héros… ou super-vilains.

Dans ce maelstrom mettant les gadgets de Batman ou James Bond dans les mains de Men in Black, face à des monstres de la Hammer, le duo réussit à équilibrer le texte et l’image (ce qu’on pouvait redouter face à deux bavards comme Sfar et Sapin), tout en abusant volontairement et de manière jouissive des récitatifs. De quoi offrir un moment intemporel. Bref, un album totalement inattendu, qui a la bougeotte. Du pur entertainment (dont les deux trublions contournent les danger: faire vraiment passer les polarisants Hollande et Sarkozy pour des héros, des bons, ce qui n’aurait pas été leur rôle) sans temps mort asseyant un peu plus Sapin comme un dessinateur tout-terrain.

L’avenir dans une boule… d’écran plasma : Cyril Hanouna candidat, fanzouze parmi les fanzouzes
Publicité 📺 LE PRÉSIDENT est en librairie. Réalisé avec @moreauchevrolet au scénario pour @les_arenes 📺 Et si l’animateur de @TPMP se présentait aux présidentielles de 2022? pic.twitter.com/bXhESQatcI
— Morgan Navarro (@MorganNavarro) December 9, 2020
Résumé de l’éditeur : Après l’animateur de télé-réalité Donald Trump devenu président des États-Unis, le succès du Mouvement 5 étoiles de l’humoriste Beppe Grillo en Italie, l’accession au pouvoir du satiriste Volodymyr Zelensky en Ukraine… à qui le tour ? Le conseiller en communication Philippe Moreau Chevrolet a imaginé l’ascension politique surprise de l’animateur télé le plus populaire et le plus clivant de France : Cyril Hanouna. Convoqué par son patron, Vincent Bolloré, un jeune et brillant communicant fraîchement émoulu de Sciences Po, Julien, s’attend à se voir confier une mission prestigieuse – à l’Élysée ou à Bercy. En fait, Bolloré l’envoie s’occuper de l’image de Cyril Hanouna. Entre jets de chocolat, courses de mini-scooters électriques, crises de nerfs et déluges de SMS, Julien bascule dans un univers cruel et violent, qui tourne tout entier autour d’un animateur à la fois délirant et attachant. Jusqu’au jour où un Emmanuel Macron en chute vertigineuse dans les sondages s’invite sur le plateau de « Touche pas à mon poste ». Presque malgré lui, l’animateur humilie le président devant des millions de téléspectateurs. Les réseaux sociaux s’enflamment… Une campagne inédite commence.


Méfions-nous des clowns, dit la pastille même pas autocollante sur la couverture de cet autre album politique et plus réaliste (quoique). Si Sapin et Sfar sont des clowns, celui qu’ont « mis en examen » Philippe Moreau Chevrolet et Morgan Navarro est d’un autre type. Ils ont vu l’avenir dans une boule de… plasma, d’écran plasma. Parmi les figures du Paf les plus aimées et détestées à la fois par différentes parties du public, Cyril Hanouna a une aura et une puissance médiatique assez folle qui, on peut l’imaginer, pourrait l’amener dans d’autres sphères.

L’imaginer, sur un modèle Coluche 2.0, c’est ce qu’ont fait les deux auteurs de cet album qui est le pendant plus comique de La Présidente qui mettait, chez le même éditeur, Marine Le Pen au pouvoir sous la précision de François Durpaire et Farid Boudjellal. Qu’on ne s’y trompe pas, si Morgan Navarro a adapté son trait en rondeur, avec du gras et des expressions exacerbées (ben oui, sur un plateau d’une émission où on se force à rire pour ne pas pleurer), nous ne sommes pas là face à un album de gags. Le lecteur se retrouve devant un ouvrage multi-facettes explorant les lignes biographiques d’un animateur dont il gratte le vernis (tout en redorant sa médaille, en n’inventant pas sa vie d’avant le succès et sa passion, peut-être mal assaisonnée, pour l’humain, le peuple, les plus faibles, les condamnés aussi… quitte à s’adonner au dangereux mélange des genres) mais aussi le monstre que peut être la télé ainsi que la communication sous toutes ses formes telle qu’elle s’exerce pour séduire un audimat, des électeurs, d’égal à égal ou avec déférence, dans un but de séduire ou de jeter l’opprobre. De manipuler aussi. Les deux auteurs nous apprennent à ne pas juger sur pièce, sur une image cathodique, sur les débats bas de plafond (et plus encore) menés sur les plateaux de C8. Créant buzz et polémique et faisant regarder ailleurs qu’à l’essentiel. Clivant.

Le XXIe siècle sera communicationnel ou ne sera pas. À l’heure, en pleine gestion d’une pandémie qui ne fait que trop durer, où elle prend l’eau de toutes parts dans nos démocraties, chez les experts, les élus, les médias; la communication est la clé ou l’enfer. Un outil surpuissant ou fragilisant en fonction et la manière dont on la mène. Résistant à la tentation de mettre Cyril Hanouna au pouvoir (du moins politique), les deux auteurs se servent de ses ambiguïtés pour le rendre intime, sympathique par endroits, quand il ne joue pas son rôle télévisuel, toujours aussi détestable à d’autres, dans le petit écran. Ils n’en font pas le candidat, le winner, idéal mis montrent l’arme que peut-être cette machine de guerre qu’est le bon usage des mots et des concepts, au bon moment, pour en faire le favori d’un scrutin.

Mettant cette machine en route, le duo réussit un album fou mais bien senti, fictionnel mais assez proche de la réalité que pour en tirer des leçons et en faire un exemple étoffé et argumenté d’une élection en 2022 et du monde qui gravite autour, dans les coulisses ou en premier plan.

(Parenthèse) Stop Work : courir après une promotion n’est-ce pas se présenter à une mini-élection dans un monde de brutes

Résumé de l’éditeur : Acheteur et cadre « à l’ancienne », Fabrice adore son travail. Il attend impatiemment une promotion, qui, patatras, lui passe sous le nez. Aigri, il est de plus en plus insupporté par les nouvelles règles de conduite dans l’entreprise, dictées par l’EHS : Environnement, Hygiène et Sécurité, le service qui forme les employés à descendre des escaliers sans se casser le sacrum ou encore à manipuler des feuilles de papiers sans s’ouvrir les veines. Mais dans cette absurdité, Fabrice voit soudain une manière de se venger et de sabrer le fonctionnement de son entreprise…

Petite parenthèse dans ce topic pour parler de Stop Work, autre album dessiné par Morgan Navarro sur un scénario de Jacky Schwartzmann, et paru un peu plus tôt l’année passée. Toujours à l’aise dans les thématiques sociales, semblant banales et pourtant très fortes, motrices du changement ou du statu-quo, Morgan Navarro trempe sa plume acide et burlesque dans le monde d’une entreprise de pointe, du futur, malgré toutes ses incohérences. C’est ainsi que nous suivons Fabrice Couturier, homme du passé qui croit encore être dans la course.

Derrière son écran, quand il ne regarde pas des scènes de porno, il complote pour que la promotion ne lui échappe pas. Mais, attention, dans les rouages de cette société de plus en plus régie par l’EHS – Environnement Hygiène Sécurité – prête à instituer les règles les plus folles et inconcevables pour préserver le personnel du moindre faux pas (on lui apprend même comment descendre l’escalier pour ne pas se tordre la cheville).

La gestion des risques fait qu’on ne vit plus, qu’on travaille comme des robots et, avec son stagiaire (esclave), Fabrice doit jouer de plus en plus serré pour arriver à ses fins. Dans cet univers de poissons et de requins, les deux auteurs signent une chronique sociale corrosive et lucide, moins douce qu’amère, ancrée dans le réel mais animée d’entorses pour partir en live et promettre quelques surprises et échanges musclés entre les personnages de cet enfer bureautique.

Quand le héros est le protagoniste le moins pire de ce monde de requins, mordant et compétitif mais désillusionné dans l’âme par la musique qu’il écoute (du Souchon, du Higelin, du Prince, aux paroles bien choisies).

Coluche, président du Schmilblick, défenseur du râlisme

Résumé de l’éditeur : Mai 1981. Après une campagne acharnée, Coluche devient Président de la République. Sa première mesure : l’instauration d’un Apéro général et continu. Dès lors, grèves et manifestations font rages. Certains Français réclament que l’apéro soit inclus dans le temps de travail, d’autres qu’il soit inscrit dans la Constitution ou soit remboursé par la Sécu… De mesures en mesures, Coluche découvrira les difficultés de gouverner ce pays si prompt à la critique des dirigeants.

Si Cyril Hanouna a pu se rêver en Coluche 2.0, jugé comme un clown qui voulait se frotter au pouvoir quitte à se brûler ses ailes d’ange de la téléréalité, en juin passé, les fr’Erre (Jean-Marcel, l’écrivain, Fabrice, le bédéaste) reviennent à la base: Coluche. Sous la couverture iconique sans doute la plus « gros plan » de l’histoire de la politique française, mais il est vrai présentant des arguments reconnaissables entre tous (t-shirt jaune et salopette rayée bleue surmontée d’un pin’s aux couleurs de la république, ça ne montre rien et tout à la fois), les Erre ne jouent eux pas le jeu de la politique-fiction du futur mais plutôt du passé. Ils refont l’histoire, comme dans ces comics relatant les What if des super-héros.

Dans cet album de 56 pages, les deux auteurs imaginent donc le quinquennat d’un mec qui en avait, qui aurait faix exploser le schmilblick et les plumes dans le cul, avec du pinard à l’apéro. Partouze à l’Élysée et tutti quanti. Au sommet de la France gros nez, c’est ainsi le destin d’un président original (parce qu’au plus près du peuple) qui est retracé, rock’n’roll et pop, avec de la gouaille. Au pays du râlisme, les auteurs livrent un album rondouillard et titillant les zygomatiques entre élucubrations, restitution d’expressions fameuses, coluchiennes ou d’ailleurs, et inventions de leur cru. Sans nous épargner la facilité. C’est cartoon mais ça aurait pu l’être encore plus. Au-delà de ses fulgurances, peut-être ce Coluche-là est-il trop réaliste encore que pour rendre pleinement honneur à l’éditeur qui publie les nouvelles aventures que le comique avait en son temps saborder, Fluide Glacial. Un one-president-show qui nous change de ces élus dont on préfère rire plutôt que de pleurer.

Série : Le ministère secret
Tome : 1 – Héros de la république
Scénario : Joann Sfar
Dessin : Mathieu Sapin
Couleurs : Walter
Genre : Horreur, Humour, Politique-fiction, Super-Héros
Éditeur : Dupuis
Nbre de pages : 54
Prix : 14,95€
Date de sortie : le 05/03/2021
Extraits :
Titre : Le président
Récit complet
Scénario : Philippe Moreau Chevrolet
Dessin : Morgan Navarro
Couleurs : Christian Lerolle
Genre : Docu-fiction, Humour, Politique, Société
Éditeur : Les Arènes
Nbre de pages : 152
Prix : 22€
Date de sortie : le 02/12/2020
Extraits :
Titre : Stop Work
Sous-titre : Les joies de l’entreprise moderne
Récit complet
Scénario : Jacky Scwhartzmann
Dessin et couleurs : Morgan Navarro
Genre : Drame, Humour, Société
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 136
Prix : 18€
Date de sortie : le 15/05/2020
Extraits :
Titre : Coluche président !
Récit complet
Scénario : Jean-Marcel Erre
Dessin : Fabrice Erre
Couleurs : Sandrine Greff
Genre : Humour, Politique-Fiction
Éditeur : Fluide Glacial
Nbre de pages : 56
Prix : 12,90€
Date de sortie : le 03/06/2020
Extraits :