On ne va pas jouer aux innocents, de quelque manière que ce soit, borderline par rapport aux règles liberticides du moment ou en faisant preuve d’imagination, les liens sociaux depuis ce sinistre mois de mars 2020 ont été distendus, soumis à rude épreuve, mais ont tenu. Du moins dans le cercle des très proches. Par contre, il est indéniable que cette pandémie et les confinements successifs qu’elle a fait subir ont hypothéqué les possibilités de rentrer en contact avec de nouveaux venus, d’élargir son cercle de connaissances. Chloé Cruchaudet, dans le tourbillon du monde, nous en offre l’opportunité de papier, avec quatorze portraits: Les Belles Personnes. Et nous rend vivants.

Résumé de l’éditeur : « Faire des portraits d’anonymes ». Cette idée, impulsée par le festival Lyon BD, a assez vite interpellé Chloé Cruchaudet. Elle a alors modelé cette proposition pour rendre le dispositif interactif : un appel à contributions a été lancé, afin de recueillir des éloges de « belles personnes » ; l’objectif étant d’inciter les gens à ne pas se fier aux apparences. Son choix s’est orienté vers quatorze témoignages parmi ceux qu’elle a jugés les plus étonnants ou touchants : Denise, présumée sorcière, Mint, chien d’aveugle, ou encore Mme Neuville, professeure de philosophie… Chacune de ces belles personnes étant singulière, l’autrice a souhaité adapter son traité graphique à chaque récit.


Après nous avoir emmenés au plus profond de la noirceur moyenâgeuse dans le roman graphique La croisade des innocents, inspiré de faits divers, Chloé Cruchaudet fait plus court, toujours en se basant sur des histoires vraies, mais trouve la lumière, la chaleur humaine, qui nous fait tant défaut en ces temps inimaginables. Dans les pages de son nouvel album, c’est tout un petit monde qui s’anime, le nôtre dans ses pulsions et ses exaltations, sa quête de beauté et de bonheur pas toujours accomplie mais s’y efforçant.

Ces passants qui marquent la rétine une demi-seconde, d’ordinaire, le trait de l’auteure les a arrêtés. Oh, elle a arrêté leur image, par leurs espoirs ni leur danse. Chacun la sienne. Faisant appel à ses amis, ses connaissances ou des anonymes, Chloé Cruchaudet a donc réuni matière à concevoir ce recueil d’histoires courtes partant dans tous les sens mais touchant toujours celui de l’humanité. Même masquée par des décors ordinaires voire crasseux (hé oui, l’éboueur qui a le coeur en joie et la voix enchanteresse fait aussi partie du casting).

Alors que le festival de Lyon (où se trame l’essentiel de ces tranches de vie, tout en touchant à l’universel) lui avait mis la puce à l’oreille, l’auteure a donc reçu des lettres, argumentées ou sommaires, imagées ou réalistes, dénonçant la beauté de gens ordinaires mais exceptionnels. Au moins pour quelqu’un et désormais pour tous les lecteurs de cette admirable et enlevée bouffée d’air frais et de lumière. Oh, à l’identique, tous les messages reçus et ayant servi de support sont regroupés en fin d’ouvrage, assortis de différents portraits réalisés selon différentes techniques de peinture.

Pour le reste, Chloé Cruchaudet s’est laissée faire par sa nature d’inventrice, se laissant porter plus ou moins loin par son imagination, sa licence artistique et poétique, pour faire devenir ces personnages qu’elle ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, ses propres personnages. Les nôtres aussi: de l’inconnu de l’abribus à la voisine un peu sorcière en dépit de son grand âge, en passant par le frère malade mais capable de miracle ou ce chien turbulent, qu’on dit trop anormal pour convenir à un malvoyant. Enfin, il y en a tout de même une, Seï, que Chloé a véritablement côtoyé, peut-être pas assez, et dont elle s’est donné le défi de retranscrire un peu de son intensité de vie. Bouleversante.


Engouffrant dans chaque mini-récit la volonté de réinventer son dessin (par des anthropomorphes, des lignes de fuite ou d’encrage, du noir ou des couleurs) pour coller plus à la vivacité de ses acteurs, Chloé Cruchaudet fait entrer dans notre vie une galerie de personnages inoubliables, avec des forces et des failles, des idées noires, parfois, mais aussi beaucoup d’espoir que l’humanité prenne le dessus.

Titre : Les belles personnes
Recueil d’histoires courtes
Contributions : Roxanne Caty-Leslé, Mai et Ben, Morgane Z., Pierre B., Samantha Barendson, Catherine, Bernard V., Charlotte F., Séverine Garrel, Benoît L., Raphaël Ruffier-Fossoul, Anonyme, Jules C.
Scénario, dessin et couleurs : Chloé Cruchaudet
Genre : Biographie, Docu-Fiction, Récits de vie, Société
Éditeur : Soleil
Collection : Noctambule
Nbre de pages : 144
Prix : 17,95€
Date de sortie : le 21/10/2020
Extraits :