Échappe-t-on jamais à son passé? La question est posée, retournée dans tous les sens dans de nombreuses oeuvres, éclairées par d’autres cultures. C’est le cas dans Le Mpoue, drame aussi horrifique et fantastique que psychologique que nous proposent Blanche Lancezeur et Martini Ngola.

Résumé de l’éditeur : L’éminent professeur Jacques Mékamgang présente les résultats de ses derniers travaux dans le grand amphithéâtre de la Faculté de Physique des Matériaux de Lausanne. Devant un parterre de confrères venus de toute la planète, il parle avec passion des alliages de métaux à mémoire de forme. Soudain, il est pris de tremblements et cherche sa respiration en ouvrant le col de sa chemise. L’assistance s’inquiète des pauses dans le flux de son discours. Alors que des projecteurs l’éblouissent, le regard fiévreux de Jacques scrute le fond de l’amphithéâtre. Là-bas, dans la pénombre, l’espace d’un instant, il a vu une silhouette étrange aux yeux rouges incandescents qui le fixaient. La chose porte un grand manteau orné de coquillages, peaux de léopard et tissus traditionnels africains. C’est le Mpoue.

Sosie de Lucien Jean-Baptiste, Jacques Mékamgang n’est pas devenu acteur mais professeur émérite dont le charabia concernant les alliages métalliques à mémoire de forme échappera au commun des mortels mais qui le conduit dans les plus grands colloques du monde. À Lausanne, par exemple. Qu’il profite encore un peu de ses heures de gloire: en coulisses, ses projets sont en sursis, il n’obtiendra pas le budget escompté. Mais, bientôt, sa carrière sera le cadet de ses soucis, le voilà rattrapé par le passé, ses actes et ce qu’il a été amené à conclure pour survivre à un horrible drame carnassier. La dette n’a pas été payée et Le Mpoue vous retrouve toujours, même si vous avez changé de continent, que vous avez bien changé depuis votre enfance au pays, à l’ouest du Cameroun, dans le Bafang.


Les images horrifiques ne laissent aucune échappatoire à Jacques, tôt ou tard, il devra se rendre à l’évidence, affronter le mal plutôt que le fuir. Mais le lecteur est en droit de se demander ce qui, vraiment, joue des tours au héros malmené. Est-ce vraiment une emprise fantastique ou les affres de sa mémoire et de ses démons intérieurs ? Entre les deux, le fil est ténu mais le genre, assez démoniaque et noir sous l’inspiration de Martini Ngola pour son premier album plus largement diffusé (tout peintre de formation qu’il est), permet aux auteurs d’explorer une thématique intime et psychologique, alliant culture ancestrale et déterminisme.

Car le choix de quitter son pays, ses racines, n’est jamais anodin. On ne peut pas les refouler, les oublier, car tôt ou tard ils reviennent se mettre à table. Bien sûr, tout cela peut être transposé à la réalité des migrants fuyant la guerre, la répression ou misant sur leur survie ailleurs pour une série d’autres raisons; ici, ce n’est pas le cas, juste celui d’un homme qui a peut-être trahi les siens en les quittant pour d’autres raisons. Il s’agit aussi avant tout du mal qu’on peut se faire, viscéral, quand on imagine avoir le monde entier, et ses diables, contre soi sans pour autant se remettre en question.


Dans cet album marabouté, Lancezeur et Ngola livrent un album qui fait frissonner et incarne pleinement le malaise. Cependant, c’est par flashs que l’horreur s’invite, s’équilibrant avec la vie quotidienne, banale mais de plus en plus impactée par l’autre, le démon qui se rappelle à votre bon souvenir. Pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. La lecture est rapide, saisissante pendant que le style Ngola, entre passages plus réalistes et autres plus caricaturaux, lorgnant vers le manga, finit de convaincre avec sa force de caractère et symbolique.


En bonus, Les Éditions Félès ont proposé une version ultra-limitée incroyable. Plaisir des yeux.
Titre : Le Mpoue
Récit complet
Scénario : Blanche Lancezeur
Dessin et couleurs : Martini Ngola
Genre : Drame, Épouvante-Horreur, Psychologique
Éditeur : Félès
Nbre de pages : 52
Prix : 18 €
Date de sortie : le 13/11/2020
Extraits :